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Enquête

PEUT-ON RÉDUIRE LA PRÉCARITÉ DES EMPLOIS ?

Enquête | publié le : 07.01.2014 | ÉLODIE SARFATI

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PEUT-ON RÉDUIRE LA PRÉCARITÉ DES EMPLOIS ?

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Contrats de génération, surcotisation des CDD courts… les politiques publiques tentent d’inciter les entreprises à revoir leurs pratiques de recrutement pour réduire la précarité des emplois. Mais leur effet promet d’être limité, même si, sur le terrain, des initiatives peuvent être prises pour agir sur la transformation des contrats courts en CDI.

« Trouver les leviers pour que le CDI demeure ou redevienne la forme normale d’embauche ». En matière de lutte contre la précarité, la feuille de route de ce qui est devenu, depuis, l’ANI du 11 janvier 2013, ne manquait pas d’ambition. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 83 % des embauches faites en CDD selon la Dares ; 80 % des CDD conclus pour une durée inférieure à un mois ; des missions d’intérim en moyenne inférieures à deux semaines…

Si le phénomène n’a rien de nouveau, pouvoirs publics et partenaires sociaux ont pris, ces dernières années, diverses initiatives pour tenter, sinon d’inverser, au moins de freiner la tendance. Ainsi l’ANI a consacré le principe du renchérissement de la part patronale des cotisations chômage pour certains CDD de moins de trois mois. Le mécanisme a été intégré en juillet dernier dans les règles de l’assurance chômage.

Au même moment, la branche de l’intérim s’entendait pour créer un CDI intérimaire (lire p. 25), que la profession s’est engagée à proposer à 20 000 intérimaires dans les trois prochaines années. Autant d’orientations venues s’ajouter à l’adoption, fin 2012, du contrat de génération, dont l’un des objectifs est de permettre aux jeunes d’accéder à l’emploi en CDI. Sans oublier la fonction publique. Issue d’un accord de 2011, la loi Sauvadet du 12 mars 2012 devait aboutir à “déprécariser” 150 000 agents non titulaires (sur 900 000), soit par transformation de CDD en CDI, soit par un accès facilité à la titularisation, jusqu’en 2016, via des dispositifs de recrutement basés sur la « reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle ».

Des effets à mesurer

Taxation, incitation, réglementation… Les effets de ces politiques sur les pratiques des établissements, privés et publics, restent encore à mesurer. Sur le terrain, elles ne semblent pas devoir révolutionner les usages. « L’impact de la surcotisation des CDD courts sera très réduit pour nous, témoigne Philippe Ganier, directeur de deux hôtels Best Western en région parisienne. Pour un CDD d’un mois à 1 800 euros brut, le coût du passage des cotisations chômage patronales de 4 % à 7 % sera de 55 euros. Et la plupart de nos contrats courts sont des extras, des CDD d’usage, dont la surcotisation a été limitée à 0,5 %. »

Dans la fonction publique, un premier bilan de la loi de 2012 doit être présenté en 2014. Mais le plan de déprécarisation aura des effets limités dans le temps, puisqu’il ne concerne que les contractuels répondant à certaines conditions d’ancienneté à la date de la loi. Mylène Jacquot, secrétaire générale adjointe de la CFDT Fonction publique, veut tout de même y croire : « La loi encadre plus fortement le recours aux contractuels, ce qui permettra de travailler, dans la durée, sur la résorption de la précarité. » Michel Pierre, son homologue à la CGT SNTRS (organismes de recherche), remarque que l’application de la loi connaît quelques heurts : « On a vu des agents être écartés de la CDIsation au motif que leurs CDD avaient été conclus par des employeurs différents. Il a fallu qu’une circulaire, début 2013, les intègre dans le dispositif. » Quant à la titularisation, poursuit-il, « le compte n’y est pas toujours. Seuls 148 postes seront ouverts d’ici à 2016 au CNRS, pour 444 contractuels éligibles, et bien souvent sur des spécialités scientifiques qui ne correspondent pas ! ».

Actions aux prud’hommes

Reste que les employeurs, publics ou privés, peuvent être rattrapés par la justice. En mars dernier, l’Inserm – dont les effectifs en CDD (28 %) ont été multipliés par quatre entre 2005 et 2010 selon la Cour des comptes – a été condamnée par le tribunal administratif de Nantes à embaucher en CDI une chercheuse en CDD depuis onze ans. Fin 2012, la cour d’appel de Paris a condamné France Télévisions à intégrer en CDI un technicien en CDD depuis plus de dix ans, et à lui verser 100 000 euros d’indemnités. « Tous les jours, des salariés viennent me voir pour lancer des actions aux prud’hommes, assène Éric Vial, délégué syndical central FO du groupe audiovisuel. Et il y aurait, d’après la direction elle-même, 300 dossiers en cours. »

Dans quelques entreprises, toutefois, la question des emplois précaires s’invite, sporadiquement, dans le dialogue social. Quelques accords sur le contrat de génération abordent timidement la question de l’intégration des précaires (lire p. 26). À La Poste, l’accord qualité de vie au travail signé en janvier 2013 fixe un objectif d’intégration en CDI de salariés en CDD (lire p. 22). À France Télévisions, la négociation sur la GPEC, interrompue par l’annonce du plan de départs volontaires, prévoyait un plan de déprécarisation pour les « “permanentisables”, raconte Éric Vial. Et les négociations sur le PDV, qui ont été suspendues jusque début 2014, devraient repartir sur la base de l’embauche de 361 précaires “historiques”, pour compenser les 361 postes supprimés. Mais cela reste insuffisant, quand plus de 20 % des effectifs sont sur des contrats précaires, parfois depuis plus de quinze ans ».

Chez Bombardier Transports, les NAO de 2013 ont abouti à la promesse d’embaucher 30 intérimaires en CDI. « Au final, il y en aura sans doute une cinquantaine, se réjouit Pascal Lussiez, secrétaire de la section CFDT, qui a porté cette revendication. Nous avons mis en évidence le fait qu’il y avait toujours au moins 70 à 100 intérimaires sur le site. Cet été, il y en aura sans doute 400. Or, c’est une population vieillissante : si l’on n’active pas des actions de recrutement, ils resteront dans la précarité. »

Outre l’intégration de CDD en CDI, certaines entreprises prennent également des initiatives pour éviter de (trop) recourir aux contrats précaires. Best Western a signé en octobre dernier un partenariat avec le groupement d’employeurs Reso, qui lui permettra de faire travailler des CDI à temps partagé : « C’est une façon de pérenniser des postes qui correspondent à des besoins récurrents, mais insuffisants pour rendre économiquement possible un recrutement en CDI à temps plein, explique Olivier Cohn, le directeur général. Les agents d’entretien, par exemple, sont souvent embauchés en CDD de deux ou trois mois, ou sur des petits temps partiels. Pour nous, l’enjeu est de fidéliser les collaborateurs de nos établissements. »

CDI “volants”

Chez Korian, « certains établissements embauchent des CDI “volants” pour assurer les remplacements ou renforcer les équipes, au lieu de multiplier les CDD », remarque Adnan Boulard, le responsable des relations sociales. Un modèle qui ne peut être généralisé – « il faut que l’établissement ait suffisamment de personnel, et les problèmes d’absentéisme ne se posent pas partout de la même façon » –, mais qu’il défend autant que possible sur le terrain. Il n’y voit que des avantages : « C’est une source d’optimisation de la masse salariale et de qualité des prestations, avec moins de paperasse et moins de risques prud’homaux. »

L’ESSENTIEL

1 Avec la surcotisation chômage des contrats courts et la création du CDI intérimaire, l’ANI du 11 janvier 2013 cherche à réduire la précarité des contrats de travail, alors que 83 % des embauches se font en CDD.

2 Dans certaines entreprises, la transformation des CDD en CDI fait l’objet de négociations avec les syndicats, et parfois d’engagements chiffrés, comme à La Poste.

3 Dans la fonction publique, la loi de 2012 vise à déprécariser les contractuels, mais son efficacité reste à prouver.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI