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Enquête

33 000 TITULARISATIONS EN QUATRE ANS

Enquête | publié le : 07.01.2014 | LAURENT POILLOT

Un an après sa mise en œuvre, la loi Sauvadet de déprécarisation de l’emploi public s’annonce déjà comme un dispositif limité dans les collectivités locales.

Limiter les situations de précarité dans les trois fonctions publiques : c’est l’objectif phare de la loi du 12 mars 2012, dite loi Sauvadet, dont le dispositif d’accès aux corps et cadres d’emploi est ouvert aux agents contractuels (CDD et CDI de droit public) affichant au moins quatre ans d’ancienneté au cours de ces six dernières années. D’ici à 2016, ces salariés doivent pouvoir accéder au statut de fonctionnaire, au moyen de concours ou d’examens réservés. La loi prévoit également la possibilité, pour les CDD ayant cumulé six ans d’ancienneté dans les huit dernières années, d’obtenir un CDI.

Prise en compte des dérives

Dans la fonction publique territoriale, les non-titulaires pèsent lourd : de 10 % à plus de 60 % des effectifs, selon l’Insee. Pour Geneviève Iacono, professeur de droit public et de GRH à l’université Lyon 2, le dispositif Sauvadet atteste d’une « prise en compte des dérives occasionnées par une contractualisation abusive, qui a eu pour effet de précariser les agents à tous niveaux, mais en particulier les personnels les plus précaires, en contrats aidées et sur des temps partiels, qui sont durablement exclus du système de protection des personnels statutaires ». C’est ainsi qu’à Paris (60 000 agents), pour les quatre ans à venir, la ville a promis un millier de titularisations et autant de CDI à ses contractuels cumulant des CDD (lire ci-contre).

Sandrine, 40 ans, cadre supérieure dans une communauté de communes de Rhône-Alpes, a également bénéficié du dispositif de déprécarisation. Jusqu’ici, son CDI de droit public lui convenait. Elle avait su négocier son salaire et le maintenir au niveau de son dernier job de consultante dans le secteur privé. Mais l’offre que lui a faite sa collectivité l’a fait réfléchir : « Mon intérêt pour la titularisation a été le plus fort, confie-t-elle. Les services préfectoraux se montrent de plus en plus pointilleux vis-à-vis des choix de recrutements des collectivités : il est devenu moins facile de changer de poste avec un CDI, plutôt qu’en étant fonctionnaire. J’ai privilégié mes chances de mobilité professionnelle, quitte à perdre 6 % de mes revenus. »

Sans caractère contraignant

Tous ne bénéficieront pas, comme Sandrine, de cette faculté d’arbitrage, car la loi du 12 mars 2012 n’a pas de caractère contraignant. Si les collectivités ont eu l’obligation d’annoncer aux partenaires sociaux leur programme d’accès à l’emploi titulaire, les efforts de résorption de la précarité sont laissés à l’appréciation des élus locaux.

Selon la direction générale de l’administration et la fonction publique (DGAFP), sur 42 849 personnes éligibles, les collectivités promettent de n’en titulariser que 32 339 d’ici à 2016 (soit près de 75 %), dont 18 255 dès 2013. Elle tient ce nouveau plan de titularisations, le dix-neuvième depuis 1950, pour l’un des plus intégrateurs : « A titre de comparaison, (celles) effectuées au titre de la loi […] du 3 janvier 2001 […], dite “loi Sapin”, avait concerné moins de 40 000 agents dans l’ensemble de la fonction publique, dont 33 000 pour la seule fonction publique d’État », souligne son dernier rapport des politiques et pratiques de ressources humaines.

Pourtant, dans son rapport sur la fonction publique remis fin octobre au Premier ministre, le conseiller d’État Bernard Pêcheur se montre plutôt réservé : « Il est trop tôt pour dresser le bilan des titularisations opérées sur le fondement de la loi du 12 mars 2012, mais les premières indications permettent de penser que les flux seront limités » dans la fonction publique territoriale.

Qu’a-t-il donc manqué à cette loi ? « D’ouvrir des droits aux agents qui effectuent des remplacements longs, répond Valérie Chatel, présidente de DRH Attitude (association de DRH des grandes collectivités) et directrice générale adjointe, chargée du pôle Ressources, à la région Rhône-Alpes. Ce sont les contractuels les plus nombreux, mais ils ont été exclus de son périmètre. »

Une loi peu lisible

Par ailleurs, les seniors n’auront pas forcément intérêt à changer de statut, car les caisses sociales traitent différemment les titulaires et les non-titulaires. De plus, entre la titularisation et la CDIsation, « cette loi est peu lisible pour les intéressés, poursuit Valérie Chatel. À la région, près de 60 personnes pourraient passer l’examen, mais, à mon avis, moins de la moitié d’entre eux le feront ». Or, si la CDisation permet de régulariser la situation d’agents qui ont pu cumuler des CDD, elle leur offre toutefois une protection relative. Le Conseil d’État a fait observer que l’autorité administrative pouvait librement écarter un contractuel de son emploi pour affecter à la place un fonctionnaire.

En définitive, « la loi Sauvadet agit plus comme une solution provisoire que comme traitement préventif de la précarité, analyse Geneviève Iacono. Dans cinq ans, on sera à nouveau confronté à un stock de contractuels à CDiser ou à titulariser si les décideurs publics ne s’interrogent pas d’abord sur le modèle du service public à défendre. Souvent, dans les collectivités, le choix politique de recruter des contractuels ou des statutaires n’est pas clair. » Pourtant, elle reproche au dispositif cette ambiguïté : « À partir du moment où le législateur recourt au CDI pour sécuriser les agents non titulaires, il laisse supposer que la frontière entre les personnels contractuels et statutaires est de plus en plus floue. »

VILLE DE PARIS : LES CONTRATS AIDÉS ATTAQUENT AUX PRUD’HOMMES

En période préélectorale, les collectivités font assaut de statistiques pour attester de leur responsabilité sociale d’employeur. Ainsi, la ville de Paris (60 000 agents) dit avoir “CDisé” 1 026 agents et promet d’en titulariser autant sur la période 2013-2016.

« La priorité a été donnée aux agents contractuels de catégorie C », fait savoir une porte-parole, indiquant que plus de la moitié du volume des postes proposés à la titularisation sera attribuée à ces agents. Dans le même mouvement, « la Ville a également contractualisé depuis l’été – majoritairement en CDI – un nombre important de vacataires », ajoute cette porte-parole, qui avance le nombre de 1 214 personnes concernées. « Ce sont 10 % des vacataires », relativise Alain Derrien, délégué CGT.

Il fait aussi remarquer que la DRH doit faire face, depuis 2012, à une centaine de plaintes aux prud’hommes déposées par des personnes sous contrats aidés depuis belle lurette (CES, CEC, contrats d’avenir, CUI). « La Ville utilise massivement ces contrats, aussi bien pour des emplois administratifs que de production. En 2011, la masse salariale correspondante s’est élevée à 27 millions d’euros… dont 16 millions remboursés par les aides de l’État. »

Auteur

  • LAURENT POILLOT