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La difficulté d’anticiper l’évolution des maladies invalidantes

Pratiques | publié le : 17.12.2013 | ROZENN LE SAINT

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La difficulté d’anticiper l’évolution des maladies invalidantes

Crédit photo ROZENN LE SAINT

Cancer, polyarthrite, Parkinson, Alzheimer… Les impacts de ces pathologies chroniques sont difficilement prévisibles et, dans l’entreprise, même les politiques handicap les plus développées peinent à adapter l’organisation du travail.

L’âge moyen du diagnostic de la mucoviscidose est de 20 ans ; 31 ans pour la sclérose en plaque, 45 ans pour l’hépatite, 50 ans pour une insuffisance rénale. Au cœur de leur vie professionnelle, des salariés sont foudroyés par une maladie invalidante, aux évolutions imprévisibles. Dans une entreprise, 2 % à 3 % des effectifs sont concernés et, depuis 2005, ces pathologies sont reconnues comme handicap. Même les sociétés les plus sensibilisées au sujet ont du mal à anticiper les aménagements possibles d’une pathologie évolutive telle que les cancers, le diabète ou les insuffisances cardiaques. « Ces maladies évoluent et on ne peut pas prévoir de quelle manière, d’où la difficulté d’anticiper. Un salarié peut exercer son activité dans des conditions classiques et, d’un coup, être atteint d’une lombalgie aiguë et devoir être arrêté », témoigne Florence Déchelette, responsable insertion et égalité des chances à Generali France.

Accompagnement

Et, même quand il est possible d’anticiper les évolutions d’une pathologie, encore faut-il que les salariés soient prêts. « Certaines personnes diabétiques aujourd’hui peuvent se retrouver en fauteuil roulant demain. Aménager leur poste en fonction requiert du temps, or cela revient à demander au salarié de faire le deuil de ses capacités antérieures. Même si les médecins et les ergonomes valorisent ses capacités restantes, ce n’est pas évident », témoigne Christine Braunshausen, consultante RH spécialisée dans l’accompganement des politiques handicap, qui est notamment intervenue à GDF-Suez, Carrefour, Veolia… Les aménagements de poste nécessaires démarrent donc souvent plus tard. « Le diabète lié à l’obésité implique une baisse de la vision. L’anticipation serait possible en ayant recours à des aides de vie qui enseignent aux personnes à réorganiser leurs affaires sur leur poste pour pouvoir continuer de travailler », assure la consultante.

Jouer l’interdisciplinarité avec les services de santé

Mais les salariés atteints d’une maladie invalidante ont encore beaucoup de réticences à l’annoncer à leur entreprise, selon elle. « Le relais des associations est nécessaire : elles connaissent bien ce qu’ils vivent et trouvent des solutions concrètes. L’assistante sociale peut servir d’interlocuteur avec l’employeur. » « Il faut faire jouer l’interdisciplinarité avec les services de santé au travail », confirme Stéphanie Galvan, directrice générale d’Ariane Conseil.

Une fois le dialogue établi, reste à dégager des pistes de solutions flexibles pour faciliter le maintien dans l’emploi de ces salariés, en fonction des hauts et des bas de leur état de santé. La SNCF par exemple a opté pour du temps de télétravail (lire l’encadré).

Mais il n’est pas facile de faire accepter aux managers et aux équipes les « différences de traitement » pour les personnes atteintes de maladies invalidantes, souvent invisibles : « Les équipes prennent très mal le fait que certains aient droit à davantage de journées de télétravail, ou encore, à une nuit d’hôtel supplémentaire défrayée, alors que c’est pour permettre aux agents atteints d’une pathologie invalidante d’être en forme pour assister à une formation ou de présenterun projet professionnel », regrette Michèle Delaporte, responsable de la mission handi­cap à la SNCF. « On ne devine pas forcément qu’une personne est atteinte d’un cancer. La variabilité de la pathologie déroute les collègues », confirme Anne-Sophie Tuszynski, cofondatrice de Cancer at work. « Cela pose beaucoup de difficultés aux cadres supérieurs : leurs équipes comportent très peu de personnes handicapées. Le vivier de personnes handicapées diplômées du supérieur et qualifiées est très restreint », assure Christelle Room, responsable diversité du groupe Elior.

Aider à prendre conscience

Pour y remédier, une seule option : poursuivre la sensibilisation. Sur le site de la SNCF à Bordeaux, une séance d’information sur la sclérose en plaques a été menée auprès d’une équipe à laquelle appartient un agent atteint de cette maladie, mais sans lui. « Ses collègues ont pu poser toutes les questions qu’ils ont voulues, sans tabou, et ont mieux compris les conséquences possibles de cette maladie », assure Michèle Delaporte. Certaines pathologies demandent des aménagements techniques pas si difficiles à mettre en place, comme « cette personne qui devait se déplacer avec une glacière particulière pour sa prise de traitement. Cela demande beaucoup d’échanges entre le collaborateur et le manager, de bricolages et de créativité ! », estime Stéphanie Galvan, d’Ariane Conseil. Christine Braunshausen, elle, se souvient d’une ergonome qui avait demandé à une équipe d’essayer de travailler les yeux bandés, « pour mieux faire prendre conscience » de la perte de vision. « En revanche, la douleur chronique, elle, n’est pas palpable, estime la consultante. Elle est difficile à faire comprendre, tout comme les aménagements d’horaires réservés aux malades chroniques pour s’y adapter. »

L’ESSENTIEL

1 Le taux d’emploi d’une classe d’âge est de 75 %. Il descend à 46 % pour les personnes handicapées et à 36 % pour les salariés atteints de maladie chronique.

2 Les pathologies invalidantes se caractérisent par la variabilité de l’état de santé qu’elles provoquent. D’où la difficulté d’anticiper les aménagements pour le maintien dans l’emploi.

3 Une sensibilisation des managers et des équipes est nécessaire pour que soient acceptées des organisations spécialement adaptées à ces salariés, comme un télétravail plus flexible.

La SNCF organise du télétravail

À la SNCF, les maladies invalidantes font l’objet d’un focus particulier du sixième accord handicap signé au sein de l’entreprise pour 2012-2015. « Si un chauffeur de train est diagnostiqué diabétique, par exemple, il est déclaré inapte à son poste. On procède à un reclassement dans les bureaux et le télétravail est facilité », assure Michèle Delaporte, responsable de la mission handicap.

Contrairement aux autres salariés, qui bénéficient du télétravail deux jours par semaine au maximum, il est possible pour raison médicale d’y avoir recours tous les jours travaillés de manière aléatoire en fonction des évolutions de la maladie. Avec, si possible, une présence hebdomadaire pour éviter l’exclusion de ces salariés. « Nous ressentons le besoin de plancher sur un télétravail annualisé. Si un agent atteint d’une maladie invalidante se lève et sent qu’il ne va pas supporter la fatigue du transport pour aller au bureau, il peut se mettre à travailler de chez lui. Mais il faut éviter que le télétravail ne se substitue à l’arrêt maladie », souligne Michèle Delaporte.

L’organisation de forums sur le sujet au sein de la SNCF a aussi fait remonter la difficulté d’accès à la formation des cheminots atteints de maladies invalidantes. « La plupart de nos formations internes se déroulent pendant une semaine, à Paris. La fatigue du voyage est un frein important, qui empêche bon nombre d’agents atteints de pathologies invalidantes de s’y rendre, témoigne la responsable de la mission handicap. Certains managers y vont à leur place et leur restituent le contenu du stage, mais ce n’est pas pareil. À l’avenir, nous demanderons davantage aux formateurs de se déplacer. »

Auteur

  • ROZENN LE SAINT