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« On ne peut pas déconnecter les effets des horaires de travail de la pénibilité »

Enquête | publié le : 17.12.2013 | V. L.

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« On ne peut pas déconnecter les effets des horaires de travail de la pénibilité »

Crédit photo V. L.

E & C : De nombreux travaux scientifiques font état des effets néfastes du travail de nuit sur la santé des salariés. Vous travaillez depuis plus de quinze ans sur le sujet du travail de nuit et des horaires en travail posté. Quelles solutions préconiseriez-vous pour atténuer ces effets ?

B. B. : La meilleure solution serait d’arrêter le travail de nuit ! Bien entendu, je ne parle pas des secteurs où cela est impossible, comme les domaines de la santé, de la sécurité, des communications, des transports ou certains secteurs productifs comme la sidérurgie ou les entreprises à feu continu. Dans d’autres secteurs, c’est souvent un choix de l’entreprise, pour des raisons économiques et commerciales. Dans ce cas, peut-être peut-on se poser la question de l’absolue nécessité du travail de nuit.

E & C : Quels conseils peuvent suivre les entreprises qui font, malgré tout, travailler leurs salariés en horaire atypique ?

B. B. : Elles peuvent d’abord agir sur le système horaire. On sait par exemple que travailler plus de trois nuits consécutives présente des risques. La fatigue accumulée a des incidences sur la performance et les risques d’accident. Il est également préférable de prendre son poste du matin à 6 heures plutôt qu’à 4 heures, moment de creux de vigilance. Pour les travailleurs postés, il est conseillé de favoriser une rotation dans le sens matin/après-midi/nuit. Il semblerait aussi que le travail en 2 x 12 soit moins néfaste sur la santé, mais il n’est pas envisageable de l’appliquer partout, notamment en cas de contraintes physiques fortes, difficiles à supporter sur cette longue durée du poste. Au-delà du système horaire, mes recherches en ergonomie me conduisent à considérer que l’aménagement des horaires de nuit passe aussi par l’aménagement du travail réalisé dans cet espace de temps. Par exemple, lorsqu’on travaille de nuit dans un atelier où il fait froid, où le niveau sonore est élevé et les cadences serrées, il y a alors d’autres contraintes à améliorer que celles liées aux horaires. On ne peut pas déconnecter les effets des horaires de travail de la pénibilité du travail prise dans son ensemble.

E & C : Les salariés peuvent-ils aussi jouer un rôle pour la préservation de leur santé ?

B. B. : Les salariés travaillant de nuit mettent en place des stratégies visant à atteindre leurs objectifs de travail tout en préservant leur santé et leur confort. Ils savent que leur vigilance sera spécialement affaiblie entre 2 heures et 4 heures du matin, que la fin de poste sera difficile compte tenu de la fatigue accumulée. Le fait de le savoir les conduit à mettre en place des façons de travailler particulières. Par exemple, rechercher activement des informations et augmenter les contrôles en début de poste afin d’anticiper tous les événements qui pourraient survenir au cours de la nuit, prendre du repos ou faire une sieste au cours du poste, lorsque les exigences du travail le permettent. Se reposer ou dormir est en effet une pratique courante officieuse, mais, officiellement, elle n’est pas souvent acceptée. Dans certaines entreprises ou hôpitaux, des temps de repos sont tolérés, voire encadrés, et des espaces sont aménagés pour cela. Cela permet de restaurer le niveau de vigilance. Autre ressource que les salariés utilisent pour faire face: le collectif de travail. Le fait de travailler la nuit soude et facilite l’entraide. À cet égard, les entreprises doivent aussi prêter attention à l’outillage de la relève de poste, pour faire en sorte que les transmissions d’informations soient fiables, et organiser un temps d’échange entre les équipes. Ce n’est pas forcément prévu, or c’est une période critique et il y a malheureusement des exemples d’accidents dramatiques dus à des consignes non ou mal transmises.

E & C : On sait que la durée d’exposition est un facteur aggravant des risques sur la santé des salariés. Quelles sont les marges de manœuvre des employeurs sur ce point ?

B. B. : Il est nécessaire d’anticiper et d’agir sur les parcours professionnels, en proposant par exemple au cours de la carrière des aménagements du temps plus favorables tels qu’un allègement d’horaires, des périodes de repos compensateur… voire, lorsque c’est possible, un passage en horaires de jour. De plus, nous sommes dans un système où l’on monnaie la santé: les salariés continuent à travailler là car ils sont payés, dans certains cas, jusqu’à 30 % de plus. Cela ne les aide pas à arbitrer en faveur de leur santé. Les marges de manœuvre des employeurs se situent donc au niveau de l’aménagement de la situation de travail prise dans son ensemble, mais également au niveau de la gestion des carrières et des parcours professionnels.

Auteur

  • V. L.