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« L’employeur doit considérer le harcèlement sexuel comme un risque réel »

Enjeux | publié le : 17.12.2013 | VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE

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« L’employeur doit considérer le harcèlement sexuel comme un risque réel »

Crédit photo VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE

Les violences faites aux femmes au travail constituent un risque réel, notamment dans les entreprises où règnent inégalité des sexes et sexisme. La loi d’août 2012 a renforcé les responsabilités de l’employeur, qui peut être condamné pour discrimination si, par exemple, il licencie une salariée victime de harcèlement sexuel.

E & C : Comment le droit fait-il la part des choses en matière de violences faites aux femmes au travail, notamment entre ce qui est d’ordre sexuel ou sexiste ?

Maude Beckers : Les violences dans ce cadre sont peut-être encore plus taboues que dans la sphère conjugale. Cela dit, tous les comportements ne sont pas appréhendés, voire sanctionnés par la loi pénale, comme les propos ou attitudes sexistes qui, pourtant, mettent en cause l’égalité hommes-femmes. Ce qui l’est, c’est le droit commun des violences – agressions, attouchements, viols… – et le harcèlement sexuel tel qu’il est défini dans les textes. Mais il faut rester vigilant, car les comportements sexistes peuvent facilement glisser vers le harcèlement sexuel, la définition de ce dernier prenant notamment en compte la création d’une situation humiliante, intimidante ou portant atteinte à la dignité de la personne. Au regard des dossiers que j’ai à traiter, je constate qu’une ambiance très sexiste est un contexte favorable au harcèlement sexuel. Dans une entreprise du bâtiment à l’effectif majoritairement masculin, par exemple, les salariés s’amusaient en permanence à propos des fesses et des seins des clientes: ces propos sexistes étant banalisés, lorsque le gérant a harcelé l’une de ses employées, les témoins n’en ont pas été choqués, et la victime elle-même avait du mal à faire la part des choses. Idem lorsqu’une coach, salariée d’une salle de sport à l’ambiance malsaine, a été agressée par un client: son employeur n’a pas réagi et elle-même s’est demandé un moment si cela était « normal » !

E & C : Qu’a apporté la loi adoptée en août 2012 (1) sur le sujet ?

M. B. : Elle a permis de préciser la définition du harcèlement sexuel. En effet, l’ancienne loi de 1992, bien que modifiée plusieurs fois, en restait à une définition floue et s’appuyait sur un objectif du harceleur « d’obtenir des faveurs de natures sexuelles ». Des termes vraiment désuets ! Cela posait des problèmes au pénal, les auteurs de harcèlement sexuel se défendant sur la base des exigences constitutionnelles de précision. De fait, ce délit était peu poursuivi – environ 80 dossiers par an –, car ce but d’avoir des relations sexuelles était difficile à prouver. En 2002, une directive européenne plus précise et exigeante a été adoptée, et la jurisprudence s’est construite sur la base de ce texte. Bien que la loi de transposition en droit français, adoptée en 2008, n’ait jamais été codifiée!

Cependant, depuis août 2012, la définition du harcèlement sexuel, précisée et proche de celle de la directive européenne, est la même dans la loi et dans le Code du travail. Elle retient comme critères des propos ou des comportements à caractère sexuel, répétés et portant atteinte à la dignité de la personne. En cas de pression grave visant un but apparent ou réel d’avoir des relations sexuelles, un seul acte suffit.

E & C : Existe-t-il toujours une relation de pouvoir entre un harceleur et sa victime ?

M. B. : Jusqu’en 2002, pour qu’un harcèlement sexuel soit reconnu juridiquement, il fallait qu’il y ait un rapport hiérarchique entre eux. Ce critère a été supprimé, car cela peut arriver entre collègues. Mais il faut bien constater qu’il y a effectivement souvent une relation de pouvoir, quelle qu’elle soit. Ces faits s’inscrivent en général dans le contexte de sociétés où l’égalité n’existe pas, où les postes d’encadrement supérieur sont en majorité occupés par des hommes. Les femmes que je défends pour de telles situations sont souvent séparées, seules avec des enfants, parfois avec un problème de titre de séjour… Elles ont peur de perdre leur emploi. Le harceleur a connaissance d’une telle fragilité et en joue. C’est pourquoi les peines sont aggravées lorsqu’il s’agit d’un harceleur ayant abusé de l’autorité que lui confèrent ses fonctions: trois ans de prison et 45 000 euros d’amende, contre deux ans et 30 000 euros dans les autres cas.

E & C : Quels sont les responsabilités et les risques encourus par les employeurs ?

M. B. : Une victime de harcèlement sexuel au travail a deux champs d’action possibles: le tribunal correctionnel, qui jugera la personne physique harceleuse, mais aussi le conseil des prud’hommes, devant lequel elle peut attaquer son employeur parce qu’il ne l’a pas protégée. Celui-ci doit en effet mettre tout en œuvre pour que cela n’arrive pas, avec une obligation de sécurité imposée par la jurisprudence. C’est pourquoi des associations comme l’AVFT (2) proposent aux entreprises d’intervenir en prévention, par un affichage, par des formations de l’encadrement ou encore des recruteurs, etc. Les employeurs doivent considérer le harcèlement sexuel comme tous les autres risques, celui-ci étant même plus réel que d’autres, qui ne sont que potentiels.

La grande nouveauté, c’est la possibilité de faire condamner l’employeur pour discrimination, notamment dans les cas de rupture du contrat de travail de la victime à la suite du harcèlement, ce qui est fréquent. Un licenciement sous un prétexte fallacieux, une mutation ou une sanction salariale parce qu’une salariée a dénoncé des faits de harcèlement sexuel sont des discriminations: l’employeur est alors passible de dommages et intérêts devant les prud’hommes, et la personne physique ayant pris la décision discriminante, par exemple le DRH, peut encourir une peine de prison devant le tribunal correctionnel. C’est valable aussi pour les refus d’embauche pour ce motif. La loi étant récente, il n’y a pas encore eu de poursuites de ce type en France, mais ce risque juridique existe.

E & C : L’adoption de la loi en 2012 et la médiatisation de ce sujet ont-ils produit une inflation de plaintes ?

M. B. : Cela a permis de rendre le sujet moins tabou et a aidé à la prise de conscience de situations existantes. Des femmes ayant supporté des choses insupportables, qui s’entendaient dire, si elles en parlaient, qu’elles étaient prudes ou pas rigolotes, ont compris, en écoutant la radio, que ce qu’elles vivaient était du harcèlement sexuel. Mais, contrairement à ce qui se passe parfois en matière de harcèlement moral, lorsqu’une personne vient voir un avocat avec une telle demande, celle-ci relève bien de la loi sur le harcèlement sexuel et non pas d’un simple problème relationnel, par exemple. Enfin, grâce à la médiatisation, ces victimes sont aujourd’hui davantage soutenues par leur entourage, y compris par leur conjoint : le cliché selon lequel une femme est agressée ou harcelée sexuellement parce qu’elle a laissé entrevoir cette possibilité a la vie dure, mais les choses évoluent.

(1) Loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.

(2) Association européenne contre la violence faite aux femmes au travail.

PARCOURS

• Me Maude Beckers est avocate spécialisée en droit du travail, inscrite au barreau de Seine-Saint-Denis. Elle est également coprésidente de la commission de droit social du Syndicat des avocats de France.

• Elle enseigne le droit du travail à l’École de formation au barreau.

• Elle a été entendue par la commission qui a élaboré la loi d’août 2012 relative au harcèlement sexuel.

LECTURES

• Violences sexistes et sexuelles au travail : guide à l’attention des employeurs AVFT, 2009 (en cours d’actualisation et réédition).

• Pour une entreprise sans harcèlement sexuel, un guide pratique Véronique Ducret, Georg Éditeur, 2008.

Auteur

  • VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE