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Syndicats et salariés veulent se faire rembourser la hausse du temps de travail

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 10.12.2013 | STÉPHANIE MAURICE

Whirlpool vient d’être condamné aux prud’hommes d’Amiens pour le non-respect de l’accord Optima, signé en 2008. Celui-ci se voulait exemplaire, avec augmentation du temps de travail contre garantie de production.

Le 21 novembre, le tribunal des prud’hommes d’Amiens a condamné Whirlpool. Il a suivi l’argumentaire syndical : l’accord Optima, signé en juin 2008 à l’usine Whirlpool d’Amiens, n’a pas été respecté, ce qui ouvre donc droit à remboursement des heures travaillées en plus. Les syndicats de l’usine évoquent une production de 360 000 sèche-linge pour 2013, alors que l’accord assurait un minimum de 550 000 par an. Erwin Prudhomme, DRH de l’usine, n’a pas la même interprétation des faits : « Nous nous étions engagés à ce que la production de sèche-linge en Europe reste sur le site d’Amiens jusqu’à 550 000 pièces. Au-delà, nous avions la possibilité d’aller fabriquer sur un autre site. »

5 000 euros par salarié

Sur les cinquante premiers dossiers traités, soutenus par la CFDT, Whirlpool doit verser une somme moyenne de 5 000 euros par salarié. La direction, qui a décidé de faire appel, n’est pas au bout de ses peines : une autre action aux prud’hommes est en cours pour la même raison, celle-ci soutenue par la CGT et la CFTC. L’usine compte, en tout, 340 salariés, dont 200 en production, directement concernés par le litige en cours.

Optima, c’était le nom de code d’une restructuration en profondeur. En 2008, le challenge était clair : il fallait baisser de 18 % les coûts de production et s’assurer ainsi que le nouveau modèle innovant de la gamme, le Green Generation, revienne à l’usine d’Amiens. La direction a mis dans la balance la survie de l’usine pour justifier la renégociation des conditions et du temps de travail. Le site avait déjà souffert d’une délocalisation en 2002, 360 emplois en moins sur 980. Suivi d’un autre PSE trois ans plus tard, avec 63 postes perdus.

Restructuration en profondeur

À la production, les salariés ont alors accepté la perte de 14 jours de RTT, ce qui faisait passer le temps de travail hebdomadaire de 32 heures (payées 38 heures) à 35 heures. De plus, pendant la haute saison, de septembre à février (les sèche-linge se vendent mal pendant les beaux jours), chacun devait travailler quatre samedis en plus. Pour faire passer la pilule, l’entreprise a versé une prime exceptionnelle de 1 200 euros et a augmenté les salaires de 2 %. Les autres collèges de salariés ont aussi été touchés : les employés de jour travaillent désormais 37,5 heures, avec 15 jours de RTT au lieu de 23. Les cadres n’étaient pas concernés par Optima, mais sont passés à un forfait de 218 jours, perdant 13 jours de RTT. Cette réorganisation s’est accompagnée d’un plan de départs volontaires, avec 153 suppressions de postes sur 500 entre 2008 et 2010. « On a réduit les effectifs au minimum, on les a fait travailler plus, et on aurait complété en cas de besoin avec des intérimaires », commente-t-on, de source syndicale.

En contrepartie, le site s’est modernisé. Whirlpool a ouvert deux nouvelles lignes d’assemblage pour tenir le défi technologique du nouveau sèche-linge à condensateur et pompe à chaleur, le Green Generation, avec un investissement de 14 millions d’euros. Et une autre méthode de travail, à flux continu : auparavant, la chaîne était en stop and go ; l’ouvrier pouvait choisir son rythme de travail. Désormais, la vitesse est identique pour tout le monde, afin de fluidifier la production. « C’est la machine qui domine l’homme », résume Frédéric Chantrelle, délégué CFDT. « Sur la ligne, c’est beaucoup plus dur maintenant. En cadence haute, on tourne à 900 machines/jour, jusqu’à 46 heures par semaine quand on travaille le samedi, alors que la moyenne d’âge des salariés est de 43 ans. »

En grève tous les samedis

Mais le Green Generation ne réussit pas son pari technologique, être le premier classe A du marché ; 10 % des sèche-linge ne respectaient pas les normes requises. Sa production, lancée en novembre 2010, s’est arrêtée six mois plus tard. Depuis, l’usine produit de moins en moins, même si elle reste la seule en Europe à sortir des sèche-linge. « On n’a pas besoin de prendre nos jours de travail en plus », en conclut Frédéric Chantrelle, de la CFDT. À l’appel des syndicats, les salariés sont en grève tous les samedis depuis le mois de septembre pour réclamer l’arrêt du travail du samedi et le remboursement de l’augmentation du temps de travail.

Garantie de pérennité

L’usine devrait cependant atteindre son seuil de rentabilité à la fin de l’année, grâce aux investissements réalisés. Une garantie de pérennité, estime la direction, et la preuve que l’esprit de l’accord Optima a été respecté. Sandrine Maguin, en charge du marketing France, en est persuadée : « Sur un marché en déclin, sans innovation, l’usine aurait été dans une mauvaise passe. » De fait, le site produit désormais des gammes supérieures aux sèche-linge à air ventilé, classe C, qui ne représentent plus aujourd’hui que 5 % de sa production. Mais l’argumentaire n’a pas convaincu le tribunal. En 2008, les syndicats voulaient un engagement ferme sur la pérennité du site, qu’Amiens soit l’unique usine européenne productrice de sèche-linge. « Mais la direction a préféré prendre un engagement de quantité », se souvient Cécile Delpirou-Kromwel, de la CFE-CGC.

À l’époque, Amiens produisait 520 000 sèche-linge par an. Une garantie à 550 000 pièces paraissait raisonnable. Cinq ans plus tard, elle vaut à l’entreprise un passage aux prud’hommes.

Auteur

  • STÉPHANIE MAURICE