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L’enseigne peine toujours à attirer les tempes grises

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 03.12.2013 | R. L. S.

Le distributeur d’articles de sport a beau multiplier ses efforts depuis fin 2009 pour rééquilibrer sa pyramide des âges, les conditions de travail attirent moins les quinquas que les jeunes et les étudiants.

À Decathlon, on reste travailler en moyenne cinq ans et demi. Et seulement 5 % du personnel, soit 750 des 15 000 salariés français, ont plus de 45 ans. « L’entreprise est née il y a 37 ans, se défend Yann Thomas, DRH de Décathlon pour la zone Nord et Ouest. Même ceux qui y travaillent depuis ses débuts ont à peine atteint l’âge seuil des seniors. » L’âge moyen ? 28 ans. Cette enseigne de la galaxie Mulliez a donc conclu, fin 2009, un accord seniors avec les deux syndicats majoritaires, la CFTC et l’Unsa-Snad, pour rééquilibrer sa pyramide des âges. Objectif : embaucher 120 personnes de plus de 50 ans en trois ans.

Mais avec des horaires à rallonge pour les chefs de rayons, et le temps partiel qui concerne la moitié des 9 000 vendeurs, pas facile d’attirer d’autres profils que les étudiants ou les jeunes passionnés de sport. La mission seniors, instituée par l’accord a tout essayé.

En plus d’une présence accrue de l’entreprise sur les forums de recrutement spécialisés, elle a mis en place un partenariat avec plusieurs rectorats pour partir à la pêche des professeurs d’EPS en fin de carrière, tentés par une reconversion. Aucun n’a mordu à l’hameçon.

Autre piste explorée : l’armée française. Le distributeur d’articles de sport participe au programme “Défense mobilité” consacré à la reconversion des militaires en fin de carrière et piloté par le ministère de la Défense. « Les candidatures proposées sont très intéressantes, car il s’agit d’un public souvent passionné de sport, à fort esprit de responsabilité et de service, assure Yann Thomas. Au-delà de la mission senior, c’est un vrai partenariat de recrutement RH. Mais ce sont surtout les jeunes militaires retraités de moins de 50 ans qui se sont montrés intéressés. »

Complément de revenu

Un responsable de la CFDT, qui a refusé de signer l’accord seniors, fait par ailleurs remarquer que ces militaires retraités touchent déjà une pension. « Leur emploi à Decathlon est seulement un complément de revenu, ce qui les pousse à accepter des bas salaires. » Selon la direction, les vendeurs touchent un salaire proche du smic. Les chefs de rayon, eux, gagnent environ 27 000 euros bruts annuels (34 000 euros avec les primes, l’intéressement et la participation). Mais, d’après différentes sources syndicales, ils dépassent très souvent cinquante heures hebdomadaires.

De plus, poursuit le délégué CFDT, « les anciens militaires ne restent généralement pas. Ils sont très carrés et ont du mal à s’adapter aux méthodes de management scolaires. À 50 ans, on vous parle comme à un môme de 15 ans », déplore-t-il. Il faut dire qu’avec la politique soutenue de promotion interne – 60 % des patrons de magasin sont d’anciens vendeurs –, la plupart des managers ont la trentaine. « Nos directeurs de magasin sont très jeunes, admet Yann Thomas. Au moment du recrutement, ils peuvent se demander s’ils seront capables de manager des personnes plus âgées. » Afin de lever les a priori, Decathlon a lancé, il y a un an, une campagne de sensibilisation interne pour promouvoir l’emploi des aînés. Les rares têtes grises qui dépassent des rayons témoignent ainsi de leur parcours au sein du magasin.

Malgré ses efforts, l’enseigne de sport est épinglée, le 11 octobre 2012, par une enquête d’Envoyé spécial sur l’emploi des seniors. Sur les 120 embauches promises fin 2009, « seules 70 étaient effectives à l’époque, mais l’accord n’était pas arrivé à son terme », justifie le DRH. Durant les quatre mois suivants, Decathlon a décuplé ses efforts pour recruter 90 quinquagénaires supplémentaires. Et renforcer ainsi ses effectifs de 160 seniors au total, sur la période 2010-2012.

« Des embauches express de personnes plus proches des 50 ans que des 60 ans, et souvent en contrat à durée déterminée, commente le responsable CFDT. En 2012, Decathlon a recruté 17 000 CDD ! » Le syndicat a d’ailleurs refusé de signer le nouvel accord sur le contrat de génération, conclu en septembre dernier. Celui-ci vise à bâtir des passerelles entre les jeunes et les plus de 57 ans – qui représentent 0,4 % des effectifs (l’objectif étant d’atteindre 1,2 % d’ici à trois ans) –, en misant sur le tutorat et l’alternance. Et le texte met l’accent, cette fois, sur l’embauche des plus de 55 ans. Il n’en prévoit cependant que 72 entre le 1er octobre 2013 et le 30 septembre 2016, dont seulement la moitié en CDI, alors que, dans l’ensemble, 80 % des Decathloniens ont un contrat à durée indéterminée. « La direction n’a pas une réelle volonté d’embaucher des seniors, ni de les maintenir dans l’emploi », estime le délégué CFDT, pour qui « les anciens montent davantage au créneau que les jeunes sur les questions d’emplois du temps malléables ou de travail les samedis… La politique RH de Decathlon consiste à entretenir la précarité pour se garantir une fausse paix sociale. »

Et d’enfoncer le clou : « Quand vous avez vingt ans de boîte et qu’on vous propose une formation basique sur la manière de dire bonjour à un client plutôt que de vous aider à développer des compétences informatiques, qui sont aussi utiles aux vieux qu’aux jeunes, on ne peut pas dire que tout soit mis en œuvre pour maintenir les seniors dans l’emploi », regrette le syndicaliste, qui raille la cinquième place décernée à Decathlon dans le classement des entreprises françaises où il fait bon travailler par l’institut Great place to work.

Auteur

  • R. L. S.