logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

CRÉATION DE VALEUR LA FONCTION RH INVENTE SES INDICATEURS

Enquête | publié le : 03.12.2013 | EMMANUEL FRANCK

Image

CRÉATION DE VALEUR LA FONCTION RH INVENTE SES INDICATEURS

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Peu à peu, les directions des ressources humaines entrent dans l’ère de l’évaluation des performances RH. Pour le moment, elles se concentrent sur l’évaluation des politiques RH, pas encore sur celle de la fonction.

Ce n’est pas toujours de gaîté de cœur ; les limites de l’exercice apparaissent rapidement ; la méthode n’est pas encore bien standardisée ; toutes les entreprises ne sont pas au même niveau de maturité ; mais un mouvement des entreprises semble enclenché afin de mesurer la performance RH. Les enjeux sont nombreux pour la fonction. Il s’agit de valider sa contribution à la performance globale de l’entreprise, de justifier les investissements consentis en matière de RH, de renforcer la position du DRH vis-à-vis des autres directions pour en faire un véritable business partner, et, in fine, de prendre enfin en compte les conséquences humaines des décisions des directions. Ce dernier point est d’ailleurs l’objet même de la norme ISO sur la “gouvernance humaine” en cours d’élaboration, qui permettra peut-être de doter la profession d’indicateurs communs (lire Entreprise & Carrières n° 1132 du 19 février 2013).

Une mesure de la contribution de la DRH à la valeur ajoutée

Certaines directions des ressources humaines ont commencé à s’atteler à la mesure de leur performance. « Elles font le calcul que, plutôt que d’attendre que les financiers disent que la DRH coûte trop cher, mieux vaut montrer sa contribution à la valeur ajoutée », explique Grégoire Forbin, associé du cabinet Equinox Consulting et auteur, en 2012, d’une étude sur la mesure de la performance RH(1).

La question ne concerne pas seulement les entreprises privées. Par exemple, dans les secteurs hospitalier et médico-social, une Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) a été créée en 2009. Elle a récemment publié un “outil d’analyse de la fonction ressources humaines”. « Dans le secteur public aussi, la direction des RH doit de plus en plus justifier son existence », remarque Claude Bernard, directeur associé de l’Anap, en charge des ressources humaines.

Dans une étude réalisée en 2010, le cabinet Markess international constatait que « la prise de conscience de l’utilité [d’indicateurs RH] est bien réelle puisque 40 % des entreprises et des administrations publiques interrogées avancent être en cours de déploiement de tels indicateurs ou mener des réflexions qui devraient aboutir à la mise en place d’indicateurs d’ici à 2012 »(2). Trois ans plus tard, le même cabinet constate qu’« un peu plus d’un tiers [des décideurs RH] indique recourir à des indicateurs RH et, à terme, ce sont plus des trois quarts des décideurs qui souhaitent en bénéficier »(3). La mesure de la performance RH est donc une pratique qui, sans être exceptionnelle, est loin d’être généralisée, et que les DRH ne semblent pas très pressés d’engager. Quand ils le font, c’est d’ailleurs, en général, dans un contexte contraint. Pour la moitié des entreprises, la mise en place de la mesure de la performance RH « a été conditionnée par le contexte de crise économique », remarquait le cabinet Kurt Salmon, dans une enquête de 2011(4). Le plus souvent, l’événement déclencheur a été la mise en place d’un centre de services partagés RH ou d’une optimisation des processus. Ce qui n’est pas contradictoire avec une anticipation des attentes de la direction financière, évoquée par Grégoire Forbin.

Lorsqu’ils étudient les entreprises qui se sont lancées, les observateurs constatent qu’elles ne sont pas si nombreuses à avoir atteint la maturité dans l’évaluation de leurs performances RH. Selon Equinox, seul un quart des entreprises – toutes avec au moins dix ans de recul – a atteint ce stade : indicateurs et tableaux de bord stabilisés, outils de collecte performants et fiables, périmètre de la mesure arrêté, culture de pilotage de la fonction RH établie et reconnue. Mais plus d’une entreprise sur deux centralise les mesures dans une structure spécifique, baptisée HR Metrics, HR Data Management ou HR Analytics. Ce qui « témoigne de l’attention croissante portée » au sujet, estime Equinox.

Les entreprises qui mettent en place une mesure de leur performance RH font état de difficultés structurelles, culturelles et techniques. La complexité des phénomènes humains ne se laisse pas décrire avec des chiffres, relève Charles-Henri Besseyre des Horts, professeur à HEC (lire p. 27).

C’est vrai, admet Grégoire Forbin, « mais n’est-ce pas une façon commode, pour certaines fonctions RH, de rejeter la mesure de leurs contributions et ainsi de ne pas avoir à se remettre en question ? » Pour lui, le problème provient plutôt des résistances au changement, au sein de la fonction RH et de l’entreprise, dont font état 60 % des décideurs RH interrogés par Equinox. Les entreprises font en tout cas preuve d’une grande opacité sur ce sujet pourtant largement débattu dans la profession ; nombre d’entre elles n’ont pas souhaité répondre aux questions d’Entreprise & Carrières.

Des contraintes de reportings légaux

« La fonction RH est caractérisée par des contraintes fortes en matière de déclarations et reportings légaux (bilan social, NRE…), relève de son côté Kurt Salmon. Ces contraintes expliquent sans doute le retard qu’elle a pris dans la mesure de sa performance et sa difficulté à mettre en place des indicateurs de mesure qui peuvent être considérés comme venant s’ajouter à la batterie obligatoire d’indicateurs déjà suivis. » A contrario, Charles-Henri Besseyre des Horts estime que les contraintes légales de reporting social ont permis aux entreprises françaises de prendre de l’avance en matière de mesure de la performance RH.

Enfin, les entreprises doivent faire face à des problèmes techniques : manque de fiabilité des données ; hétérogénéité des outils informatiques ; manque de temps des personnels RH. Du coup, elles recourent à des indicateurs simples, faciles à utiliser et à interpréter : le taux de réalisation des entretiens annuels ; le nombre d’heures de formation par collaborateur et par an ; le taux de turnover ; la satisfaction des collaborateurs vis-à-vis de l’entreprise ; le ratio salariés gérés/employé RH, relève Markess. Cela se vérifie chez Otis, dont les indicateurs clés sont le délai de recrutement et le niveau d’engagement des salariés, mesuré par un baromètre social (lire p. 25).

Surtout, Kurt Salmon note que « les indicateurs RH semblent mesurer essentiellement la composante humaine et peu son coût ». Les entreprises rencontrées par le cabinet utilisent de nombreux indicateurs mesurant l’efficacité de leur politique RH (turnover, absentéisme, engagement et satisfaction des salariés, délai de vacance des postes, nombre de contentieux avec les IRP…), dont beaucoup se retrouvent dans le bilan social, mais peu d’indicateurs relatifs à l’efficacité de la fonction RH elle-même (conformité, coût, productivité). Et encore mesurent-elles de préférence l’efficacité des processus administratifs, d’ailleurs souvent externalisés (coût d’un bulletin de paie, nombre d’erreurs sur le bulletin). Le coût d’un recrutement(5), par exemple, est plus rarement mesuré (lire également p. 26).

Au final, la mesure de la performance RH se restreint en général à la mesure des résultats des programmes pilotés par la DRH, voire à la mesure des seuls moyens engagés dans ces programmes. Ce qui peut créer un hiatus avec les autres directions de l’entreprise qui, elles, peuvent mettre en avant une batterie de résultats quantifiés (chiffre d’affaires, Ebita, ventes…). Signe de ce hiatus, les directions financières sont rarement destinataires des indicateurs de performance RH, relève Kurt Salmon.

En revanche, il y a deux domaines dans lesquels l’évaluation de la performance RH s’aligne sur les autres directions : la formalisation des indicateurs et les benchmarks. Les tableaux de bord RH et les revues de performance sont désormais généralisés. Kurt Salmon et Equinox relèvent, en outre, que la moitié ou les deux tiers des entreprises utilisent des benchmarks internes ou externes.

Les statistiques de Cegos et d’ADP constituent des références dans leurs domaines (lire p. 26). La statistique établie par Cegos, selon laquelle les effectifs de la fonction RH pèsent en moyenne 1,6 % des effectifs de l’entreprise, est connue jusque dans le secteur public. C’est en tout cas un ratio que Claude Bernard, de l’Anap, cite spontanément. Mais il n’en fait pas une référence. « La productivité de la fonction RH est encore trop hétérogène d’un établissement à l’autre pour qu’on puisse proposer des benchmarks, explique-t-il. Dans un premier temps, nous mettrons en avant des exemples de bonnes pratiques ».

S’accorder sur quatre ou cinq objectifs majeurs

Enfin, relève Kurt Salmon, 86 % des entreprises utilisent moins de 15 indicateurs.

« Mettre trop d’informations en avant n’est pas forcément bénéfique, estime Hélène Mouiche, analyste senior en charge de l’expertise RH chez Markess international. Il faut être expert pour interpréter ces données. »

« Il ne faut pas rechercher le volume, mais se mettre d’accord sur quatre ou cinq objectifs majeurs et les suivre avec des indicateurs », renchérit Grégoire Forbin. Le tableau de bord de la DRH d’Otis en compte six, dont deux seulement sont examinés en comité de direction.

1) Mesure de la performance RH, Equinox Consulting et European Club of Human Resources, juillet 2012.

2) Performance de la fonction RH et indicateurs associés, Markess international, 2010.

3) Optimiser la gestion des processus RH pour contribuer à la performance de l’entreprise, Markess International, 2013.

4) Performance RH : les DRH se mobilisent, Cercle Humania, Kurt Salmon, 2011.

5) La mesure du coût du recrutement fait partie des indicateurs examinés par les créateurs de la future norme ISO sur la gouvernance humaine. C’est une demande des entreprises étasuniennes, pour lesquelles cet indicateur est obligatoire. De là à dire qu’il finira par s’imposer partout…

L’ESSENTIEL

1 Désormais membres des comités de direction, les DRH doivent démontrer les performances de leur service par des indicateurs chiffrés. Ils se donnent ainsi des arguments en faveur d’une meilleure prise en compte des conséquences humaines des décisions de l’entreprise.

2 Toutes les directions RH ne sont pas au même degré d’avancement dans l’utilisation d’indicateurs de performance, et celles qui se sont lancées se concentrent sur l’évaluation des politiques RH davantage que sur les performances de la fonction.

3 Au-delà de la difficulté à quantifier les phénomènes humains, l’enjeu est de trouver un juste équilibre entre trop et trop peu d’indicateurs.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK