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« Le succès d’une fusion repose sur une transition identitaire réussie »

Enjeux | publié le : 03.12.2013 | ÉRIC DELON

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« Le succès d’une fusion repose sur une transition identitaire réussie »

Crédit photo ÉRIC DELON

Soucieuses d’obtenir le plus rapidement possible les synergies financières et organisationnelles escomptées, les entreprises qui se lancent dans des démarches de fusion-acquisition négligent bien trop souvent de prendre le temps de gérer les transitions identitaires de leurs salariés, pourtant indispensables à la réussite du projet.

E & C : Selon les études disponibles sur la question, la moitié des fusions-acquisitions aboutit à un échec. Comment l’expliquez-vous ?

Audrey Rouziès : Il faut distinguer deux types d’échec. Premier cas de figure : les entreprises n’atteignent pas les objectifs de synergies ou de réduction de coûts initialement définis. Deuxième possibilité : les entreprises divorcent ou défusionnent, à l’image des constructeurs automobiles Daimler et Chrysler. Si les causes expliquant l’absence de réussite d’une fusion sont multiples, elles relèvent presque toujours de la façon dont la phase d’intégration est gérée. Prenons une image. Lors d’une fusion, si les fiançailles sont prometteuses et que le jour du mariage est une belle fête, la lune de miel n’est pas toujours réussie. La vie quotidienne étant, quant à elle, encore plus difficile à gérer. Durant la phase d’intégration, il s’agit, pour la nouvelle entité, de définir les frontières de l’organisation fusionnée, de déterminer les nouveaux processus de coordination et de travailler à la construction des nouvelles culture et identité d’entreprise. Pendant cette phase, les enjeux humains sont centraux et les mots clés tels que communication, confiance, respect et coordination sont essentiels afin d’assurer l’engagement des salariés et la performance future de la nouvelle entité.

E & C : La précipitation des entreprises à acter la fusion est-elle l’une des causes de ces échecs ?

A. R. : Le management du rythme et du temps est, en effet, essentiel dans la réussite d’une fusion. Durant la phase de préfusion, à savoir la négociation et le due diligence [voir encadré], il est fréquent que le rythme soit soutenu, une conclusion rapide de l’accord de fusion ayant pour avantage d’empêcher qu’un concurrent n’entre dans la course. Durant la phase d’intégration, il est nécessaire, en revanche, de ralentir le rythme.

Certains projets de synergies ou d’harmonisation peuvent être mis en œuvre rapidement, comme la fusion d’une base de données clients. D’autres projets impliquant des enjeux humains du type harmonisation des politiques RH sont, en revanche, plus longs à réussir. Quoi qu’il en soit, l’adage de l’intégration totale en cent jours ne tient plus. Dans les semaines et les mois qui suivent la fusion, les managers ont tout intérêt à réaliser des quick wins – synergies rapides.

Ces dernières sont autant de signaux favorables à l’endroit des parties prenantes – salariés, clients, investisseurs… Il est ensuite nécessaire de ralentir le rythme et d’accepter que des projets plus impliquants et plus complexes ne se concrétisent que sur des durées plus longues. Le temps est nécessaire pour que les salariés de deux entreprises anciennement concurrentes, tenus à l’écart des négociations, principalement réalisées par les cadres dirigeants, apprennent à se connaître et à travailler ensemble. Intégrer à marche forcée est une erreur.

Par ailleurs, il est capital de laisser le temps à la transition identitaire de se réaliser.

E & C : Qu’entendez-vous par “transition identitaire” ?

A. R. : Tout salarié, lorsqu’il travaille depuis plusieurs années dans une entreprise où il est à l’aise, développe naturellement une identification à cette entreprise. Il éprouve le sentiment d’être partie prenante d’un groupe social et de s’en approprier les valeurs. L’appartenance à l’entreprise devient une partie de son identité personnelle. Ce sentiment d’identification est si prégnant que, lorsque l’entreprise fusionne, une partie de l’identité du salarié est soudain remise en question. Le salarié “identifié à l’entreprise” peut percevoir une menace identitaire se traduisant par des questionnements du type : qui suis-je dans cette nouvelle entreprise ? Ses nouvelles valeurs me correspondent-elles toujours ? Abandonner le salarié à son incertitude identitaire peut générer des effets néfastes sur son engagement, sa motivation et sa volonté de rester dans l’entreprise. Il est donc nécessaire de gérer cette transition identitaire, cette ré-identification au nouveau groupe. Plutôt que de brusquer cette phase délicate en contraignant le salarié à se départir immédiatement de son ancienne identité, une transition lente permettant la coexistence d’identifications multiples est à privilégier. Celle-ci favorise une perception de stabilité et de continuité pour le salarié, ce qui assure un maintien de son engagement dans les projets d’intégration. Dans ce contexte, une identité métier forte constitue un appui, car les salariés sont habitués à se définir à la fois comme faisant partie de leur entreprise, et comme membre à part entière de leur profession, ce qui les aide à appréhender plus facilement le changement.

E & C : Quels rôles jouent les DRH et leur direction dans une fusion ?

A. R. : Les études montrent que, trop souvent, les DRH sont tenus à l’écart des phases de négociation, alors même qu’ils sont chargés de la mise œuvre de l’intégration.

Ils devraient, au contraire, être impliqués le plus tôt possible dans le processus de décision lorsqu’une fusion se dessine. Ils pourraient ainsi proposer des due diligences sur les aspects humains et élaborer une véritable stratégie d’intégration sociale. Ils pourraient également attirer l’attention des autres fonctions supports quant à l’importance de l’harmonisation de deux entreprises différentes, possédant des histoires, des cultures et des pratiques spécifiques. Une fois la fusion annoncée, les DRH doivent gérer le changement organisationnel. La communication devient alors un enjeu central afin d’éviter les rumeurs, les imprécisions, systématiquement sources d’inquiétude et de blocage pour les salariés.

Cette communication doit être honnête, claire et transparente. Les DRH devraient chercher à créer des relais dans l’ensemble de l’entreprise afin de diffuser cette information et d’éviter le piège d’une communication générale et centralisée. Chaque salarié doit être à même de comprendre les raisons, les objectifs stratégiques de la fusion, mais également la façon dont cette dernière va l’affecter dans son travail et ses responsabilités quotidiennes. Les études le montrent : le succès d’une fusion dépend avant tout de l’engagement des salariés dans sa mise en œuvre.

PARCOURS

• Audrey Rouziès est maître de conférences en sciences de gestion, directrice du département stratégie à l’Institut d’administration des entreprises de Toulouse et chercheuse au Centre de recherche en management. Ses travaux se situent à mi-chemin entre la stratégie et le management des ressources humaines.

• Elle est coauteur, avec Philippe Monin, de Entre fusions & acquisitions et alliances stratégiques, Renault Nissan et Air France KLM comme formes organisationnelles hybrides d’avant-garde (EM Lyon, 2005).

LECTURES

• Quand les décideurs s’inspirent des moines – Neuf principes pour donner du sens à votre action, Sébastien Henry, Dunod, 2012.

• Les restructurations d’entreprises, Rachel Beaujolin-Bellet et Géraldine Schmidt, La Découverte, 2012.

• Petits deuils en entreprise, Jacques-Antoine Malarewicz, Pearson, 2011.

Due dilligence : ensemble des vérifications qu’un éventuel acquéreur ou investisseur réalise avant une transaction afin de se faire une idée précise de la situation d’une entreprise.

Auteur

  • ÉRIC DELON