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De l’opportunité d’une clause de conscience pour les cadres dirigeants ?

Enjeux | LA CHRONIQUE D’AVOSIAL | publié le : 03.12.2013 |

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De l’opportunité d’une clause de conscience pour les cadres dirigeants ?

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La mondialisation, source de compétition entre les entreprises, mais aussi entre les salariés eux-mêmes, pose inéluctablement la problématique de la conciliation entre l’attachement du salarié à ses propres valeurs et son adhésion à celles proclamées par son entreprise.

Ce dilemme conduit de plus en plus de salariés à s’interroger sur le bien-fondé de leur “fidélité” à l’entreprise et sur la préservation de leur liberté de conscience.

La clause de conscience a été longtemps un privilège réservé aux journalistes. Dans le cas où la majorité du capital de son entreprise change de main, un journaliste peut la quitter sans préavis, en bénéficiant d’une indemnité de licenciement (art. L. 7112-5 Cdt) à condition que cela ait induit un changement notable dans le caractère ou l’orientation de son média.

Mais la jurisprudence a admis la validité de cette clause pour d’autres cas, notamment celui des cadres dirigeants. Cette évolution jurisprudentielle a été amorcée par la Cour de cassation dans un arrêt du 26 janvier 2011 (n° 09-71.271), puis confirmée dans un arrêt plus récent du 10 avril 2013 (n° 11-25841).

Quelles raisons pourraient pousser les employeurs à inclure de telles clauses dans les contrats de travail de leurs cadres dirigeants et quels avantages ces derniers en tirent-ils ?

Du point de vue du salarié :

Lors de fusion-acquisition ou d’OPA, les cadres dirigeants d’une entreprise peuvent craindre de subir les conséquences directes du changement d’actionnaire, qui risque de porter atteinte à certaines de leurs valeurs. D’où le souhait qu’ils peuvent avoir de négocier une telle clause.

Dans le premier arrêt de la Cour de cassation datant de 2011, une ancienne “chief performance officer” (d’Havas) poursuivait son employeur pour obtenir le bénéfice d’une « clause de changement de contrôle », incluse dans son contrat de travail et bâtie sur le modèle de la clause de conscience. Deux ans après son arrivée à ce poste, Vincent Bolloré avait pris le contrôle d’Havas. La Cour de cassation a reconnu la validité de la clause, et la dirigeante a pu bénéficier d’une indemnité de rupture.

L’arrêt de la Cour de cassation de 2013 confirme la décision de 2011 en ce qui concerne l’application d’une clause de conscience pour les dirigeants d’entreprise. Les juges en profitent pour rappeler les conditions nécessaires à l’application de cette clause. En effet, elle doit être justifiée par les fonctions du salarié au sein de l’entreprise, et ne doit pas faire échec à la faculté de résiliation unilatérale du contrat par l’une ou l’autre des parties.

Ces conditions permettent de relativiser l’étendue de la clause de conscience. En effet, si cette clause doit être justifiée par les fonctions du salarié au sein de l’entreprise, elle est donc plutôt réservée aux dirigeants ou aux cadres de direction pour qui le changement d’orientation ou de philosophie de l’entreprise a des conséquences importantes sur leur fonction et leur travail.

Du point de vue de l’employeur :

On peut déceler deux raisons principales pouvant pousser à la rédaction d’une clause de conscience dans les contrats de travail des cadres de direction.

Tout d’abord, la volonté de protéger ces cadres des conséquences directes d’un changement d’actionnaire sur leur travail, et leur garantir, en quelque sorte, leur liberté de conscience. Cette clause devient alors un gage de fidélité et d’attachement aux valeurs affichées lors des recrutements.

La deuxième raison est ce que certains avocats appellent la “poison pill”. Par ce biais, lors d’un rachat hostile d’une entreprise par un concurrent, cela permet de la vider d’une partie de sa substance humaine, constituée d’ingénieurs, de chercheurs, de cadres commerciaux et de leurs savoir-faire. De plus, le concurrent nouvellement propriétaire de l’entreprise risque de se retrouver contraint à payer de nombreuses indemnités rendant plus difficiles la réorganisation de l’entreprise et la mise en place des nouvelles politiques et projets.

Quelques points restent cependant troubles :

– La clause de conscience pour les cadres de direction n’étant pas prévue par le Code du travail, comme pour les journalistes, ce sont aux deux parties elles-mêmes de la négocier dans le contrat de travail.

– De plus, il n’est pas avéré que cette clause donne droit aux allocations chômage.

Jacques Brouillet, avocat au Cabinet ACD, membre d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.