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Le plan du gouvernement pour intensifier la lutte contre les fraudes

Actualités | publié le : 03.12.2013 | NICOLAS LAGRANGE

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Le plan du gouvernement pour intensifier la lutte contre les fraudes

Crédit photo NICOLAS LAGRANGE

Michel Sapin annonce de nouvelles mesures contre le détachement abusif de travailleurs sur le sol français, un phénomène en pleine expansion, qui crée de fortes distorsions de concurrence. Un chantier difficile, car les dérives et les fraudes sont multiples et complexes. Au plan européen, le gouvernement souhaite l’adoption de règles plus contraignantes.

Salariés polonais, en provenance de Chypre, à Flamanville, salariés roumains et lituaniens aux chantiers navals de Cherbourg, ouvriers portugais du bâtiment à Clermont-Ferrand… La pratique du détachement défraie de plus en plus la chronique médiatique et/ou judiciaire. Le 27 novembre, Michel Sapin a annoncé l’intensification des contrôles dans les secteurs les plus exposés, tels que le bâtiment et l’agriculture.

Pour le député socialiste Gilles Savary, coauteur d’un rapport sur le détachement, « ce coup d’accélérateur français à la demande de l’Élysée est la bonne stratégie pour faire monter la pression avant les négociations européennes » (lire ci-après). Didier Ridoret, président de la Fédération française du bâtiment, se réjouit aussi de « la vraie prise de conscience des pouvoirs publics ».

Des entreprises portugaises, espagnoles, baltes ou polonaises détachent des salariés en France et bénéficient de charges sociales réduites légalement, en vertu de la directive européenne de 1996. Certes, ces entreprises doivent appliquer les conditions de travail et les salaires français, mais elles paient les charges sociales dans leur pays. Des charges patronales qui représentent 20 % du salaire d’un non-cadre en Pologne et 30 % en Espagne, contre près de 39 % en France.

Cet avantage compétitif séduit des particuliers, des entreprises (notamment pour des chantiers en sous-traitance) et des collectivités locales… à tel point que le nombre de salariés détachés déclarés auprès des Direccte est passé de 7 500 en 2000 à 144 000 en 2011. Mais les salariés non déclarés seraient au moins aussi nombreux. Avec de multiples cas de fraudes : minima salariaux non respectés, nombreuses heures supplémentaires peu ou pas rémunérées, logements indécents et parfois payants, facturation des repas…

De 70 à 140 inspecteurs

Les contrôles de l’inspection du travail, très renforcés ces dernières années avec les plans pluriannuels de lutte contre le travail illégal, devraient être « plus nombreux le matin, le soir et le week-end, indique Didier Ridoret, ce qui devrait permettre de mieux détecter les abus. Mais attention à ne pas se focaliser sur les seules entreprises françaises ».

Les contrôles s’avèrent longs et ardus pour obtenir des informations sur le pays d’origine via des bureaux de liaison nationaux plus ou moins coopératifs et efficaces. La réforme de l’inspection du travail en 2014 pourrait s’accompagner du doublement du nombre d’inspecteurs spécialisés (de 70 à 140) et de la création d’une cellule nationale d’alerte. « Mais les effectifs globaux vont diminuer l’an prochain, déplore Pierre Joanny, responsable de SUD Travail affaires sociales. De plus, près de 200 inspecteurs vont devenir responsables d’unités de contrôle et ne seront plus sur le terrain. »

Les sanctions tardent parfois à tomber, comme en témoigne l’affaire des salariés grecs de l’aéroport de Nice. L’entreprise allemande Arwe Service y emploie en permanence près de 80 salariés via sa filiale française, pour effectuer la réception et le nettoyage des véhicules de location. Pendant la haute saison, entre mars et octobre, elle détache une quarantaine de salariés grecs depuis l’Allemagne. « Ils travaillent six jours sur sept, une dizaine d’heures par jour, ne pointent pas, contrairement à nous, et ne bénéficient pas de l’égalité de traitement salarial, ce qui est contraire à la directive européenne », assure Philippe Coltat, délégué syndical CFDT, pour qui il est incompréhensible de se « retrouver en concurrence avec des salariés grecs détachés depuis l’Allemagne. Le syndicat CFDT de la métallurgie des Alpes-Maritimes s’est porté partie civile sur le PV d’infraction dressé en 2012 par l’inspection du travail mais, depuis un an, le parquet n’a toujours pas réagi ».

Des évolutions légales

Pour limiter les dérives, le gouvernement souhaite obliger les commanditaires à être plus regardants sur les conditions sociales de toute la chaîne de sous-traitance. « La responsabilité aujourd’hui limitée aux sociétés directement impliquées devrait être étendue aux donneurs d’ordre et maîtres d’ouvrage, ce qui pourrait avoir pour effet de réduire le nombre de niveaux de sous-traitance », analyse Fabienne Muller, directrice du master en droit social de l’université de Strasbourg. La possibilité pour les organisations syndicales ou professionnelles de se constituer partie civile pourrait être inscrite dans la loi (elle est actuellement jurisprudentielle), favorisant poursuites et sanctions. Dans sa proposition de loi en préparation, le député Gilles Savary souhaite aussi la création d’une liste noire des sociétés condamnées pour fraude au détachement.

Nombre de travailleurs détachés en France (déclarés)

→ 7 500 en 2000.

→ 26 500 en 2004.

→ 95 000 en 2008.

→ 144 000 en 2011.

Auteur

  • NICOLAS LAGRANGE