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Prête-moi ton expérience !

Pratiques | publié le : 26.11.2013 | SABINE GERMAIN

Le détachement de cadres seniors dans les PME n’a a priori que des vertus : il donne de nouvelles perspectives de carrière aux premiers, tout en accélérant le développement des secondes. Mais la portée des dispositifs mis en place reste très limitée.

D’Alcatel à Thales, Marc Villemain (56 ans) a passé toute sa carrière dans de grandes entreprises, à des fonctions supports plutôt qu’opérationnelles, à la direction administrative et financière et aux ressources humaines notamment, avec plusieurs expériences d’expatriation. « Après deux ans en Turquie, où j’ai été responsable de programme délégué, j’ai préparé mon retour en France en cherchant un nouveau poste au sein du groupe Thales, explique-t-il. La DRH m’a parlé de Pass Compétences, en insistant sur le fait que mon profil généraliste intéresserait beaucoup une PME. » C’est ainsi que Marc Villemain est devenu directeur administratif, financier et RH de Systar, un éditeur de logiciels qui compte aujourd’hui 150 salariés.

Pass Compétences est le dispositif créé en 2011 par le pôle de compétitivité Systematic Paris-Région, en partenariat avec l’Agence régionale de développement (ARD) et avec le soutien du Fonds social européen (FSE). Une dizaine de grandes entreprises s’y sont associées : Schneider Electric, Sagem, EADS, Air France, Alcatel-Lucent, DCNS, Saint-Gobain, Sanofi, Total. Et Thales, « qui réfléchissait, depuis un moment déjà, à la possibilité de détacher des cadres en PME », se souvient André Galiana, chef de projet Pass Compétences à Géris, la filiale du groupe spécialisée dans l’anticipation et l’accompagnement des réorganisations industrielles. Cela n’est effectivement possible que depuis que la loi de sécurisation des parcours professionnels de juillet 2011 autorise et sécurise le prêt de main-d’œuvre et la mise à disposition de compétences.

Le sujet n’est toutefois pas porté par les entreprises elles-mêmes, mais par des spécialistes de la mise en relation entre grands groupes et PME : pôles de compétitivité ou réseaux d’entreprises, notamment. Outre Pass Compétences, le pôle de mobilité de la région Paca, Mapp (Mobilité et accompagnement des projets professionnels), qui regroupe CMA-CGM, Eurocopter, Lyondell Basell et STMicroelectronics, a ainsi créé le dispositif Passerelle ; l’association Parrainer la croissance, qui regroupe des PME franciliennes en croissance, a, elle, lancé son Accélérateur de croissance…

Objectif proclamé : dynamiser le développement des PME et les aider à se structurer en leur donnant accès aux cadres expérimentés qu’elles ne peuvent pas forcément s’offrir. Les grands groupes détachant leurs cadres continuent, en effet, à assumer une partie de leur rémunération (40 % dans le cas de Pass Compétences). « Dans un premier temps, nous avons pris le parti de détacher en priorité des cadres seniors, car cela nous permettait de bénéficier des fonds du programme européen “Innover ensemble pour l’emploi des seniors » (financés par le FSE), explique André Galiana. Mais comme nous n’avons aucune visibilité sur l’avenir de ces fonds, nous voulons que Pass Compétences s’autofinance.”

En attendant, les neuf détachements opérés dans ce cadre depuis début 2012 ont tous concerné des seniors. Ces derniers y trouvent leur compte : « Avec des circuits de décision plus courts, les PME leur donnent le sentiment de pouvoir agir sur le développement de l’entreprise et de percevoir très concrètement l’impact de leurs décisions », explique André Galiana.

« En définitive, ce n’est pas si différent de ce que j’ai connu à Thales, où l’on fonctionne beaucoup en mode projet, tempère Marc Villemain. Mais c’est une expérience très enrichissante que de confronter l’organisation des grands groupes à la culture d’une PME où chacun revendique son autonomie. Il faut donc faire preuve de pédagogie pour prouver la pertinence des processus mis en place. » In fine, ce cadre expérimenté a le sentiment de développer son employabilité au sein du groupe Thales. « Dans les grandes entreprises de culture high-tech, on s’intéresse surtout aux profils experts. Les profils plus généralistes comme le mien sont moins recherchés. » Il a pu s’en rendre compte à chaque retour d’expatriation… et n’a pas hésité une seconde quand, à l’issue de son contrat d’un an, Systar lui a proposé de le renouveler. De fait, sur les huit contrats de détachements arrivés à échéance dans le cadre du dispositif Pass Compétences, trois ont été reconduits.

Les seniors auraient-ils eu du mal à retrouver un point de chute dans leur entreprise d’origine ? « Depuis vingt ans, les grands groupes évacuent la population senior qui leur coûte très cher, explique Denis Jacquet, président fondateur de Parrainer la croissance. Jusqu’ici, les solutions proposées – préretraites ou temps partiel notamment – n’ont guère été satisfaisantes. » D’autant que « les cadres de haut niveau n’ont pas envie de s’arrêter de travailler. Le détachement leur offre de nouvelles perspectives ».

Le retour, principale difficulté

Des perspectives étudiées avec circonspection par les partenaires sociaux, qui sont, par principe, extrêmement réticents à l’égard du prêt de main-d’œuvre : « Quid des droits sociaux, du temps de travail et de la progression de salaire et du retour du salarié détaché ?, se demande-t-on à la CGT. Ce type de programme considère le salarié uniquement comme un individu et passe sous silence son appartenance à un collectif de travail. »

De fait, la CGT pose aussi la question de l’insertion de ce salarié dans un nouveau collectif, « alors qu’il ne partage pas les mêmes conditions de travail que ses nouveaux collègues ». Mais aussi celle de son retour dans l’organisation d’origine. Une enquête réalisée par le syndicat au sein de l’entreprise Soitec (pionnier du détachement de salariés dans le cadre du pôle de compétitivité rhônalpin Minalogic) montre en effet que les principales difficultés se posent au moment du retour.

Les syndicats n’en restent pas moins pragmatiques. Chez Thales, l’accord sur le contrat de génération du 23 juillet, qui reprend les grandes lignes de l’accord seniors de 2009, a été signé par la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et la CGT. Il prévoit notamment la poursuite du dispositif Pass Compétences et l’augmentation du taux d’emploi des salariés âgés de 57 ans et plus, qui doit atteindre 15 % de l’effectif d’ici à 2016.

« Nous avons obtenu que les mises à disposition ne soient pas intégrées dans ce calcul », explique la CFDT. De toute façon, la mise à disposition de cadres seniors en PME étant encore très anecdotique, son développement ne risque guère de bouleverser les statistiques…

L’ESSENTIEL

1 Le détachement de cadres expérimentés en PME permet aux grandes entreprises de donner de nouvelles perspectives de carrière à leurs seniors.

2 Le phénomène reste toutefois trop marginal pour vraiment représenter une solution au problème de l’emploi de cette population.

3 Très vigilants quant aux prêts de main-d’œuvre d’ouvriers et employés, les syndicats sont plus pragmatiques à l’égard des détachements de cadres expérimentés.

Auteur

  • SABINE GERMAIN