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COMPLÉMENTAIRES POUR TOUS : DES DÉBUTS INCERTAINS

Enquête | publié le : 12.11.2013 | VIRGINIE LEBLANC

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COMPLÉMENTAIRES POUR TOUS : DES DÉBUTS INCERTAINS

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Le 1er janvier 2016, toutes les entreprises françaises devront avoir mis en place une complémentaire santé collective et obligatoire. Depuis le printemps 2013, des négociations dans les branches professionnelles non couvertes ont démarré. Une première étape déjà semée d’embûches : des précisions attendues par décret, une décision du Conseil constitutionnel censurant les clauses de désignation, et, dernièrement, un amendement du gouvernement bouleversant encore les conditions de choix de l’organisme assureur. Une réforme qui s’engage en terrain instable.

Parmi les bouleversements induits par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, la généralisation du bénéfice d’une complémentaire santé à tous les salariés au 1er janvier 2016 n’est pas le moindre. La loi va changer la donne dans la répartition entre les marchés des complémentaires santé individuelle et collective. Si, aujourd’hui, 95 % des Français sont couverts par une complémentaire, le cabinet d’actuariat Actuaris a projeté une évolution significative dans la répartition parmi les salariés : on passerait de 61 % de salariés couverts par un contrat collectif à 98 % entre 2013 et 2018, et de 37 % à 2 % des salariés protégés de façon individuelle.

En outre, la loi améliore le mécanisme de la portabilité des droits en santé et en prévoyance pour les anciens salariés (lire p. 26) et le généralise à toutes les entreprises. D’ores et déjà, un calendrier précis est en place pour y parvenir.

Premier temps, les branches professionnelles n’offrant pas de couverture santé collective obligatoire au moins aussi favorable que la couverture minimale prévue par la loi devaient ouvrir des négociations avant le 1er juin 2013. À défaut d’accord de branche, au 1er juillet 2014, ce sera aux entreprises où a été désigné un délégué syndical d’intervenir pour négocier entre cette date et le 1er janvier 2016, date à laquelle la mise en place sera unilatérale.

Un financement à hauteur de 50 % par l’employeur

« Il faut noter que cette loi est d’ordre public et impose donc l’achat d’une assurance, ce qui est rare, souligne Frank Wismer, avocat associé au cabinet Fromont Briens. L’employeur ne pourra pas y déroger par convention. » Et ce dernier contribuera au financement de la couverture obligatoire, au moins à hauteur de 50 %. « Cette répartition concerne uniquement le socle minimal de couverture, précise Frank Wismer. Lorsqu’une entreprise veut prévoir un régime plus favorable, la clé de répartition pourra être l’objet de négociations, sous réserve de démontrer que le financement patronal est au moins équivalent à la moitié du panier de soins. »

En attendant, la loi privilégie la négociation de branches. Avec des thèmes imposés : la définition du contenu et du niveau des garanties, la répartition de la charge des cotisations entre employeurs et salariés, les modalités de choix de l’assureur et les dispenses d’affiliation. Mais, si certaines se sont lancées et ont conclu des accords – comme les entreprises du médicament (lire p. 28) ou les services de l’automobile (lire p. 30) – nombre d’entre elles ont fait preuve d’un certain attentisme ces derniers mois (lire p. 26). En cause : l’absence de définition officielle du panier de soins minimal et les rebondissements liés à la censure par le Conseil constitutionnel d’une disposition de la loi autorisant les clauses de désignation, qui permettent que toutes les entreprises d’une même branche soient liées avec un même organisme de prévoyance, déjà désigné par le contrat négocié au niveau de la branche.

Les contours du panier de soins esquissés

Les contours du panier de soins avaient toutefois été esquissés dans l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi : 100 % de la base de remboursement des consultations, actes techniques et pharmacie en ville et à l’hôpital, forfait journalier hospitalier, 125 % de la base de remboursement des prothèses dentaires et un forfait optique de 100 euros par an. Le dernier projet de décret spécifie que ce forfait serait de 200 euros par période de deux ans, en distinguant les soins optiques simples et complexes. Le texte final devrait paraître d’ici à la fin de l’année.

Mais le second sujet qui a retardé les négociations fait toujours l’objet de polémiques. Petit rappel. L’ANI formulait que les partenaires sociaux laisseraient aux entreprises « la liberté de retenir le ou les organismes de leur choix », tout en accordant la possibilité de recommander un ou plusieurs organismes.

Le projet de loi du gouvernement, pour sa part, a réintroduit la possibilité de recourir à des clauses de désignation, suscitant la contestation des assureurs et des mutuelles, les institutions de prévoyance étant très majoritairement les organismes retenus lors de désignations des accords de branche. Critiquée par l’Autorité de la concurrence dans un avis rendu le 29 mars, la disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel le 13 juin 2013. L’atteinte à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle a été jugée « disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi de mutualisation des risques. »

C’est sur cet objectif de mutualisation que le lobbying a été intense. Onze fédérations professionnelles, dont le Leem (les entreprises du médicament), la Fédération des entreprises de propreté, l’Union des métiers de l’industrie hôtelière, le groupement interprofessionnel du transport et de la logistique (GITL), regroupés en un comité de liaison des entreprises pour la mutualisation, ont écrit au Conseil constitutionnel pour lui présenter leur argumentaire. Parmi les points sensibles mis en avant : l’absence de sélection médicale ; une tarification unique et négociée au niveau de la branche ; le maintien de la couverture des salariés même en cas de défaillance de l’entreprise ; l’absence de discrimination en fonction de la taille de l’entreprise, de son profil démographique ou de sa situation géographique ; et un suivi effectif et un pilotage transparent du régime.

Un risque de refus d’assurance

De son côté, Philippe Dabat, directeur général délégué d’AG2R La Mondiale, rappelle qu’il existe « un risque réel de refus d’assurance, notamment en prévoyance, pour certaines petites entreprises, hors mutualisation au niveau de la branche ». De plus, « certaines opérations de prévention qu’AG2R La Mondiale a organisées, comme des diagnostics TMS pour les entreprises du commerce de détail, ou la détection des caries chez les boulangers – qui sont plus de 10 000 à être allés consulter un dentiste –, seraient impossibles à réaliser sans l’effet de masse que représente une branche ». Un argument également mis en avant par Malakoff Médéric : « Une des meilleures façons de peser sur le risque est de mettre en place des actions de prévention et de recourir aux réseaux de soins dans lesquels les professionnels doivent satisfaire des critères de qualité et de modération tarifaire. Et, dans une branche professionnelle, la mutualisation est suffisamment importante pour permettre aux petites entreprises de bénéficier de toute cette ingénierie. »

Le gouvernement, afin de réécrire l’article censuré, a demandé un avis au Conseil d’État, rendu en septembre, et vient d’introduire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 une disposition relative au choix des organismes assureurs, assortie d’une incitation fiscale. Le texte a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 29 octobre. L’objet de l’amendement est de « limiter la possibilité pour les partenaires sociaux de recommander un ou plusieurs organismes d’assurance aux seuls accords instituant des garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité ».

À ce titre, le texte retient « des prestations autres que celles versées en contrepartie d’une cotisation, pouvant notamment prendre la forme d’une prise en charge gratuite de la cotisation pour certains salariés, d’une politique de prévention ou de prestations d’action sociale ». En outre, cette recommandation doit être précédée d’une procédure de mise en concurrence des organismes concernés, « dans des conditions de transparence, d’impartialité et d’égalité de traitement entre les candidats et selon des modalités prévues par décret » (lire l’encadré). Par ailleurs, les organismes ne peuvent refuser l’adhésion d’une entreprise relevant du champ de l’accord ; ils sont tenus d’appliquer un tarif unique et d’offrir des garanties identiques pour toutes les entreprises et les salariés.

Les entreprises qui choisiront un autre assureur que celui ou ceux recommandé(s) se verront appliquer un forfait social majoré : 20 % au lieu de 8 % pour les entreprises d’au moins 10 salariés et 8 % au lieu de 0 % pour celles de moins de 10 salariés.

Une disposition qui fait bondir Denis Campana, directeur activité santé prévoyance de Mercer : « Si l’objectif est de torpiller les complémentaires collectives, il va être atteint, prédit-il. Les entreprises ne vont plus pouvoir les proposer à un prix décent, alors que les salariés y sont très attachés. Elles n’auront plus de marges de manœuvre pour faire des économies supplémentaires sur ces dispositifs. On leur retire un sujet de discussions avec les partenaires sociaux, et leurs salariés seront livrés à eux-mêmes pour recourir à des couvertures individuelles complémentaires. » Tout aussi indigné, Michel Hallopeau, avocat au cabinet Fidal, estime que le gouvernement a, en quelque sorte, inventé une « recommandation sous contrainte ». Et, selon lui, la sanction pécuniaire pourrait être censurée, car elle conduit à ne pas laisser un « vrai libre choix de l’organisme assureur à égalité fiscale » parmi ceux qui offrent des garanties identiques à celles de l’organisme recommandé. De plus, les entreprises qui voudraient en choisir un autre auront aussi à « subir la pression de certains salariés et des syndicats pour que leurs employeurs optent pour un des contrats recommandés qui offrent des garanties de solidarité, alors que ce n’est pas le propre des contrats d’assurance collective classique », remarque-t-il.

Par ailleurs, « il semble qu’une entreprise qui accorderait, via un contrat antérieur, un régime plus favorable à ses salariés, se verrait également imposer la sanction financière si elle choisit de ne pas s’affilier à l’organisme recommandé », souligne Pascale Baron, avocate au cabinet Rigaud avocats.

Un risque de blocage des négociations

Frank Wismer considère de son côté que cette disposition engendrera un « blocage très probable » des négociations de branches (lire p. 31).

Mais, pour Jérôme Bonizec, directeur du développement d’Adéis, deux phénomènes vont interagir : les dispositions issues de l’ANI transposées dans la loi de sécurisation, relatives aux accords de branche, et la redéfinition du contrat responsable dans le sens d’une régulation des dépenses. « Les différences ne seront plus si grandes entre le niveau de garantie minimal fixé par un accord interprofessionnel ou professionnel et le contrat responsable. » À l’avenir, « avec la recommandation incitée fiscalement, assortie de garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité, et la nouvelle norme du contrat responsable, les DRH des grandes entreprises pourraient être incitées à renégocier leurs régimes avec les partenaires sociaux pour rejoindre le socle mutualisé des régimes de branche », estime-t-il.

L’ESSENTIEL

1 La généralisation de la complémentaire santé va conduire à un transfert de contrats individuels vers le collectif, qui va surtout bénéficier aux salariés de petites entreprises.

2 Les branches ont commencé à négocier des accords. 64 branches disposaient, en 2012, d’un accord en frais de santé et 250 d’un accord prévoyance.

3 Un amendement du gouvernement au PLFSS pour 2014 incite les entreprises, par le biais d’une hausse du forfait social, à recourir aux organismes assureurs recommandés par leur branche professionnelle. Une disposition qui suscite de vives contestations et qui fera l’objet de contentieux.

VERS UNE PROCÉDURE DE MISE EN CONCURRENCE TRANSPARENTE

Dès la première version de la loi, les partenaires sociaux avaient constitué un groupe de travail afin d’élaborer un document qui servirait de base au décret relatif à la procédure de mise en concurrence transparente. Les travaux ont abouti à deux textes distincts, l’un porté par la CFDT et le Medef, l’autre par la CGPME, l’UPA, la CFE-CGC, la CFTC et FO.

L’objectif est d’encadrer le contenu du cahier des charges, d’affirmer le principe d’égalité de traitement entre les organismes assureurs, de détailler les conditions et le déroulement des candidatures, et de préciser des règles de déontologie. Ainsi est considéré comme une situation de conflit d’intérêts le cas où l’un des membres de la commission paritaire exerce ou a exercé au cours des cinq dernières années une activité salariée et/ou des fonctions délibérantes ou dirigeantes au sein de l’organisme d’assurance candidat ou de son groupe.

« Il s’agit d’éviter que l’on confonde son rôle de négociateur avec celui de gestionnaire, affirme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT. Pour nous, il était très important d’affirmer ce principe de transparence dans la procédure d’appel d’offres et de mentionner l’incompatibilité totale de relations financières de la confédération avec un organisme y concourant. »

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC