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« L’encadrement législatif du financement limite les modalités de formation »

Enjeux | publié le : 01.10.2013 | VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE

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« L’encadrement législatif du financement limite les modalités de formation »

Crédit photo VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE

Située parmi les pays européens les plus formateurs, la France privilégie les cours et les stages. Mais d’autres modalités sont possibles, comme le prouve l’expérience d’autres pays de l’Union européenne, même s’il n’existe pas pour autant de “recette”. Des évolutions passeraient par des changements institutionnels plus larges et par des politiques RH d’entreprise plus actives.

E & C : D’après une enquête sur la formation continue en Europe* que vous venez d’analyser, les salariés français semblent plutôt bien lotis. Pourquoi ?

Jean-François Mignot : Les salariés français sont ceux qui se forment le plus souvent et sur les durées les plus longues. Mais il s’agit essentiellement de formations sous forme de cours et de stages : en France, le taux d’accès à ces derniers est de 45 %, contre une moyenne de 36 % en Europe (lire Entreprise & Carrières n° 1155). En revanche, seuls 14 % des employés français sont formés selon d’autres modalités – en situation de travail, par rotation de postes, cercles d’apprentissage ou autoformation –, alors que la moyenne européenne est de 19 %. Ces écarts, qui existent depuis longtemps, sont en partie dus au cadre réglementaire français instauré par la loi de 1971 relative à la formation continue : à la demande des syndicats de salariés, des garanties ont été exigées – et le sont toujours – pour prouver qu’une formation est bien un temps d’apprentissage et non un travail dissimulé. Il est donc très compliqué pour une entreprise de faire financer une autre modalité que des cours et stages. Mais notre système législatif, en créant une obligation de versement à un Opca, favorise globalement la formation. C’est aussi le cas dans d’autres pays, comme récemment au Portugal.

E & C : L’encadrement législatif est-il une condition sine qua non pour qu’un pays soit “formateur” ?

J.-F. M. : Pas du tout. Les pays repérés comme “non formateurs” dans le cadre des enquêtes ont surtout pour point commun d’être des nations issues de l’ancien bloc de l’Est. C’est alors le poids particulièrement important des petites entités économiques qui explique le faible taux d’accès à la formation : les TPE et PME sont toujours et partout celles qui forment le moins. Même la durée moyenne des formations par salarié est basse dans ces pays. Seule la République tchèque – et cela semble confirmé par d’autres études – forme beaucoup, que ce soit par cours et stages ou en situation de travail. On peut avancer deux explications possibles : dans ce pays fortement industrialisé depuis le début du 20e siècle, le passage du socialisme au capitalisme a sans doute nécessité une modernisation de l’appareil productif, à laquelle les salariés ont dû être adaptés. Par ailleurs, peut-être ce pays a-t-il gardé des institutions et des formes d’encadrement des salariés datant de l’ère soviétique, qui ont pu servir de base à la création d’un système de formation continue.

À l’opposé, l’exemple du Royaume-Uni prouve que le libéralisme n’est pas défavorable à la formation. Dans ce pays, les entreprises n’ont pas à verser dans un pot commun et elles ne paient – au prestataire – que ce qui est effectivement réalisé. Or les salariés anglais accèdent malgré tout à des formations. Mais, au contraire de la France, 30 % le font en situation de travail… Quant à l’Allemagne, un autre type de cadre que celui de la France y existe : la réglementation en matière de formation n’y est pas interbranches ni nationale, mais propre à chaque branche – elles sont très puissantes –, qui plus est définie au niveau régional, celui du Land. Toute mobilité professionnelle est soumise là à une certification de compétences.

E & C : L’Allemagne présente elle aussi un taux élevé d’accès à des formations en situation de travail (28 %) ; quelles conditions réunit-elle que la France n’aurait pas ?

J.-F. M. : En Allemagne, une partie importante de chaque génération fait des études professionnelles, c’est-à-dire comportant un apprentissage en entreprise. Ces dernières sont donc traditionnellement habituées à former des personnes sur le lieu de travail, elles ont des formateurs et une culture internes en la matière. Le système de formation continue est une conséquence directe de celui de formation initiale. En France, au contraire, les élèves de lycées professionnels ne fréquentent en réalité pas beaucoup les entreprises qui, de fait, sont peu rompues à accueillir et à former des personnes.

On ne peut cependant pas tirer des enquêtes européennes une “recette” : tout dépend des spécificités nationales. Le système de formation continue d’un pays est à la croisée de son système de formation initiale, de la force de l’État providence et des caractéristiques du marché du travail national – une forte influence des syndicats de salariés et patronaux entraînant, par exemple, davantage de régulation, comme en France, en Allemagne ou encore en Suède. Il est de fait difficile de changer le système de formation continue si l’on ne fait pas évoluer le reste.

E & C : À l’heure où la France prépare une nouvelle réforme de la formation continue, quel pourrait être le processus de changement ?

J.-F. M. : Théoriquement, la première possibilité serait de supprimer l’obligation légale de financement. Mais ce n’est absolument pas le choix de la France. Une réforme plus limitée sera de préserver cette obligation faite aux entreprises, tout en essayant d’en assouplir les modalités. Mais il faut que l’on puisse contrôler ce qui est financé. Le coût d’une formation en situation de travail correspond-il par exemple à la production non réalisée pendant ce temps pédagogique par le salarié ainsi que par son formateur ? C’est ce dont discutent les partenaires sociaux. Ce qui est certain, c’est que les syndicats de salariés vont sans doute demander des contreparties à ces assouplissements. C’est le cas par exemple avec leur demande d’instauration d’un droit opposable à la formation, actuellement en débat.

Mais ils revendiquent aussi que l’on lutte contre les inégalités d’accès à la formation continue : les salariés les plus qualifiés et ceux des grandes entreprises sont ceux qui se forment le plus. Les études du Céreq prouvent que cette question ne perd pas de son importance. Une piste sérieuse, qui pourrait être étudiée pour agir sur cette question, est d’inciter les entreprises à avoir une politique RH active. Pour les PME, les Opca jouent un rôle dans ce domaine, mais il est encore trop récent pour que l’on évalue son impact. On constate que les entreprises qui font des propositions de formation à leurs salariés, qui les informent sur ce sujet, qui ont un système de remontée de leurs besoins, des entretiens individuels, etc. sont les plus formatrices.

* CVTS (Continuing vocational training survey) 1999, 2005, 2010, Eurostat.

PARCOURS

• Jean-François Mignot est chargé d’études au département formation continue et certification du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Il y est notamment chargé d’exploiter les enquêtes européennes auprès des entreprises relatives à la formation professionnelle des salariés.

• Il est l’auteur de Formation continue des salariés en Europe : les écarts entre pays se réduisent encore, Bref du Céreq n° 312, juillet 2013.

LECTURES

• Variété des politiques de formation continue dans les petites entreprises, Isabelle Marion-Vernoux, Bref du Céreq (4 p.), n° 310, mai 2013.

• Le DIF : la maturité modeste, Renaud Descamps, Bref du Céreq (4 p.), n° 299-2, mai 2012.

Auteur

  • VÉRONIQUE VIGNE-LEPAGE