Trop souvent, les leaders chargés de conduire le changement croient que l’important est de créer la rupture. Quitte à brusquer l’organisation, autant le faire rapidement, à l’image d’un commando : on ne laisse aux personnes ni le temps de réfléchir, ni celui de résister.

Bien sûr, quand on donne un grand coup de pied dans une fourmilière, il en sort toujours quelque chose, car le système est choqué et va se reconfigurer autrement. Mais ces changements sont-ils durables, créent-ils de la valeur, permettent-ils à l’entreprise de réussir son avenir ? Souvent, le leader n’est même plus là pour répondre à ces questions. Il est reparti ailleurs, vers d’autres batailles.

Pourtant, les organisations ne sont pas des machines que l’on peut “reconfigurer” comme le ferait un bureau d’études industriel afin de les transformer: on enlève certaines pièces, on les remplace par d’autres, on change le moteur ou le système de direction, et tout va mieux fonctionner. À l’inverse de ce modèle, pourtant encore largement répandu, l’entreprise est un organisme vivant, et les règles qui s’y appliquent sont radicalement différentes.

Si l’on veut réussir un changement, il faut éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain. Dans toute organisation (même la plus mal en point) résident des atouts, des savoir-faire, des valeurs, des comportements qui méritent attention, car ils représentent des forces sur lesquelles va pouvoir s’ancrer la dynamique de changement. À quoi cela sert-il de dévaloriser l’entreprise, ses méthodes, ou de critiquer le passé, puisque la plupart des salariés s’étaient identifiés avec ce vécu et n’accepteront pas de voir rouler dans la boue une tranche de vie professionnelle dont ils ont fait partie. Chacun a sa fierté, et les groupes humains en particulier.

Plus les sciences de développement des organisations progressent, plus elles découvrent que certains ingrédients sont essentiels pour réussir des transformations durables, notamment la continuité et la fierté. Ce ne sont pourtant pas les deux mots que l’on citerait en priorité pour décrire l’art du changement !

La continuité est ce qui assure le sentiment de sécurité et la stabilité de l’organisation. Quand on conduit une transformation, il faut bien sûr expliciter ce qui va changer, mais aussi ce que l’on va garder identique. Souvent, ce sont des traits essentiels de l’identité de l’organisation, ses savoir-faire techniques, ses relations avec ses fournisseurs, ou d’autres facteurs qui se sont révélés de vrais atouts. L’analyse des histoires de succès permet d’identifier les éléments vitaux qui vont constituer les fondations du succès futur.

Pour les personnes, la reconnaissance positive de ce qui donne vie à cet “organisme vivant” qu’est l’entreprise permet de partager un sens et déclenche une belle motivation. Raviver le sentiment d’avoir accompli de belles choses, partager son attachement au métier, insister sur les valeurs humaines qui ont fait l’histoire de l’entreprise renforcent la fierté et constituent de vraies pépites de stabilité. Avant de s’engager dans de grands changements, et particulièrement dans l’innovation de rupture, il est judicieux que le bateau se dote d’une quille solide. À méditer…