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Un projet maison mené par étapes

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 03.09.2013 | LAURENT POILLOT

L’entreprise familiale de location de véhicules industriels vient de fêter les 20 ans de son dispositif, dont la gestion interne l’a mise à l’abri des revers des marchés.

Bordeaux, 1988. Éric et Michel Sarrat s’intéressent à la façon dont les Papeteries de Gascogne communiquent sur l’ouverture du capital aux salariés. Pour ces deux héritiers du groupe de transport logistique GT, voilà un bon moyen d’associer le personnel à la prise de valeur de l’entreprise et d’envoyer un signal d’indépendance aux créanciers qui financent le parc de véhicules de leur activité de location de camion avec chauffeur.

L’entrée des salariés au capital se fera par étapes. La famille Sarrat, qui possède 100 % des parts, commence d’abord par émettre des obligations d’entreprise, via le plan d’épargne tout juste issu de son accord d’intéressement de 1987. « Nous avons mis en place un système qui reste valable aujourd’hui, explique Michel Sarrat, le Pdg de GT Location : pas d’appel public à l’épargne et des versements gérés en interne, sans l’intermédiaire d’un fonds commun de placement. »

Un souci de pédagogie

Il valait mieux, selon lui, lancer d’abord des obligations, dans un souci de « pédagogie » : « Nous voulions à tout prix éviter l’exemple de Majorette où, lorsque les difficultés étaient devenues trop grandes, les salariés avaient fini par perdre à la fois leur emploi et leur épargne », raconte-t-il. Au moment de se voir verser leur intéressement, les salariés ont le choix de souscrire leurs premières obligations d’entreprise. Les avantages de la défiscalisation, sur ce type de placement, suscitent assez vite l’engouement de plus d’un tiers des salariés, y compris parmi les conducteurs qui forment le gros des troupes.

Régime fiscal favorable

Ce n’est que trois ans plus tard, en 1991, que l’entreprise s’oriente vers l’actionnariat en tant que tel. Le régime fiscal de l’époque est favorable. L’entreprise propose des plans de souscription d’actions permettant aux salariés, en plus des obligations, de détenir aussi des stock-options. En avril 1993, les premiers actionnaires non familiaux entrent au capital. Certes pour une part marginale (5,9 %), mais cela oblige la direction à ouvrir son assemblée générale et à fournir plusieurs bulletins d’information chaque année.

L’entreprise n’étant pas cotée en bourse, la valeur de l’action ne change qu’une fois par an. « Elle n’a jamais baissé en vingt ans, se félicite le DRH, David Bordessoules. Le calcul de son rendement est simple : le principe est de diviser les bénéfices par les fonds propres. » Près de 500 des 1 300 salariés sont actionnaires, 150 autres ont conservé leurs titres alors qu’ils ne font plus partie de l’entreprise. « Chacun est libre de les garder, mais nous avons défini que seule la holding pouvait racheter les actions qu’un salarié voulait céder », précise-t-il. Autre caractéristique : aucun dividende n’est versé aux actionnaires. La valorisation de l’action ne repose que sur l’augmentation des bénéfices.

Les propriétaires se sont laissé d’autres marges de manœuvre, comme la liberté de fractionner le montant de la souscription proposée aux salariés. « Il y a quelques années, nous l’avons divisé par dix. Ce qui compte n’est pas la valeur du portefeuille du salarié, mais le fait que ce dernier détienne une fraction du capital de l’entreprise – et de l’outil de production, souligne le DRH. L’actionnariat salarié est généralement guidé par deux approches : la méthode anglo-saxonne, qui poursuit un objectif managérial, et celle des pays du nord de l’Europe, consistant à partager la propriété. La nôtre est à la croisée des chemins. »

Responsabilisation individuelle

L’objectif managérial ? Il vise la responsabilisation individuelle : « Les chauffeurs actionnaires ont eu tendance à prendre plus d’initiatives que les autres pour protéger leur matériel », estime le Pdg. Quant au partage de la propriété, il est surtout symbolique. « Les gens estiment avant tout qu’ils sont dans une entreprise sérieuse, témoigne Pierre Olivo, délégué CFDT. Chez nous, il y a plus d’entrées que de départs. »

Aujourd’hui, une action GT vaut 39,52 euros. Elle a gagné près de 3 % en 2012, tandis que les obligations à prime ont augmenté de 2,5 %. Le stock des actions et des obligations des salariés s’élève aujourd’hui à 3,2 millions d’euros, GT Location ayant versé 600 000 euros d’intéressement en 2012.

Pour stimuler l’entrée de nouveaux actionnaires, la direction a pris deux mesures : offrir une action pour les trois premières actions achetées, et une obligation à partir de cinq souscrites (en dehors du dispositif d’intéressement).

DES DISPOSITIONS DIVERSEMENT APPRÉCIÉES

Dans l’autre entité du groupe dédiée à la logistique, créée en 2001, le même dispositif a été proposé à 600 salariés (près de 10 % sont actionnaires). Comme dans l’entité location, la direction utilise le logiciel de traitement Pandore de Sages Software, et le prix de l’action vaut également 39,52 euros, mais l’épargne est gérée séparément. Et pour sa part, le délégué CFDT, Pierre Prat, juge sèchement un « pur effet de communication ». « En réalité, la famille garde le complet contrôle de l’entreprise », soutient-il. Selon lui, l’actionnariat salarié chez GT Logistics masque un niveau de rémunération « globalement pas plus intéressant qu’ailleurs ». « Une vraie avancée serait de proposer de meilleures conditions d’emploi, notamment en appliquant le treizième mois dans tout le groupe et en installant un comité central d’entreprise. Ce qui permettrait de tourner la page de 2008. » Cette année-là, la direction s’était fait condamner pour avoir proposé de rémunérer des salariés casseurs de grève.

Auteur

  • LAURENT POILLOT