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« Augmenter le nombre d’alternants n’est pas une réponse pertinente au chômage des jeunes »

Enquête | publié le : 03.09.2013 | ÉLODIE SARFATI

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« Augmenter le nombre d’alternants n’est pas une réponse pertinente au chômage des jeunes »

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

E & C : Dans une étude à paraître (2), vous étudiez la mobilité des jeunes à l’issue de leur contrat d’apprentissage. Quels sont vos constats ?

B. C. : Cette étude montre que, selon leur niveau d’études, une petite moitié des apprentis qui obtiennent leur diplôme sont embauchés par l’entreprise dans laquelle ils ont fait leur apprentissage. Si ce chiffre est relativement stable, quelle que soit la conjoncture, il est par contre assez variable selon le niveau de diplôme de ces apprentis, de 32 % pour les niveaux V à 48 % pour les niveaux IV. Mais ce qui est aussi intéressant, c’est de voir que, parmi ceux-ci, certains jeunes ont une mobilité différée, c’est-à-dire qu’ils quittent leur entreprise au bout de quelques mois. Pour certains, il s’agit d’un choix délibéré. Un choix qui s’avère une stratégie payante, car, à terme, leur salaire est plus élevé que celui des jeunes restés chez leur employeur. Sans doute rassurent-ils leurs nouveaux employeurs, qui constatent qu’ils ont passé le cap de la sélection à la fin de leur contrat d’apprentissage.

Quant à l’autre moitié – celle des jeunes qui ne sont pas embauchés par l’entreprise dans laquelle ils ont effectué leur contrat d’apprentissage –, il s’agit d’une décision d’autant plus contrainte que les niveaux de qualification sont bas. Cela se traduit sur leur salaire, qui est inférieur à celui des apprentis restant dans leur entreprise. Malgré tout, en termes d’insertion dans l’emploi, ces ex-apprentis conservent le bénéfice de leur expérience par rapport aux jeunes qui ne sont pas passés par l’alternance.

E & C : C’est-à-dire ? De quelle façon l’alternance favorise-t-elle l’insertion dans l’emploi durable ?

B. C. : Globalement, l’apprentissage conduit à des taux d’insertion, mesurés après une période de trois ans, supérieurs de 5 à 10 points par rapport aux autres jeunes sortant de formation sans alternance. Toutefois, s’il est manifeste que l’apprentissage améliore l’insertion des jeunes pour les niveaux V et IV, ce n’est pas significatif pour les niveaux supérieurs. Plus le niveau d’études s’élève, moins le bénéfice en termes d’insertion dans l’emploi durable existe.

E & C : Dès lors, l’objectif d’augmenter le nombre de contrats d’alternance est-il une réponse pertinente au chômage des jeunes ?

B. C. : Non, et ceci pour plusieurs raisons. D’une part, l’alternance est procyclique et non contracyclique. Quand la conjoncture se dégrade, les entreprises recrutent moins d’apprentis. Les entreprises conçoivent l’alternance comme un outil dans leur politique d’emploi, contrairement à l’Allemagne, où les entreprises sont convaincues qu’elles ont un rôle à jouer dans la formation des jeunes. C’est un compromis sociétal totalement différent. C’est aussi pourquoi c’est un leurre, à mon sens, de vouloir transposer le modèle allemand en France.

D’autre part, lorsque l’alternance se développe, elle le fait dans les niveaux d’études supérieurs. Cela conduit à surinvestir sur les individus déjà les mieux dotés en termes de formation, d’environnement familial et socio-économique et pour lesquels, nous l’avons dit, l’alternance n’apporte que peu de bénéfices. Au final, les incitations comme le bonus/malus conduisent les entreprises à embaucher en alternance des jeunes qu’elles auraient recrutés de toute façon, mais sans aide de l’État. Plutôt que de viser un objectif quantitatif, il me semble plus judicieux de reporter les moyens sur les individus qui en ont le plus besoin.

(1) Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, laboratoire CNRS/Université de Lille 1.

(2) Coécrite avec Alexandre Léné.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI