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« La parentalité masculine est un levier pour l’égalité entre hommes et femmes »

Enjeux | publié le : 03.09.2013 | VIOLETTE QUEUNIET

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« La parentalité masculine est un levier pour l’égalité entre hommes et femmes »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Les contraintes familiales freinent les carrières des femmes. Une véritable politique d’égalité professionnelle doit promouvoir auprès des hommes les dispositifs leur permettant de s’investir, eux aussi, dans la parentalité.

E & C : Le sujet de la parentalité est une problématique récente dans les entreprises. Pourquoi s’y intéressent-elles ?

François Fatoux : Elles s’y intéressent au travers de l’articulation des temps. Dans tous les accords qui sont négociés en matière d’égalité professionnelle, les entreprises doivent choisir, parmi huit thèmes imposés, d’en traiter trois ou quatre en fonction de leur taille. Parmi ces thèmes, il y a la question de l’articulation des temps, qu’on retrouve dans beaucoup d’accords. Il y a donc à la fois une obligation de s’y intéresser et un véritable intérêt autour des questions de bien-être et d’équilibre des temps dans un contexte de montée des risques psychosociaux [RPS]. Dès lors qu’on s’attaque aux RPS, on ne peut que constater les tensions qui s’expriment entre les aspirations à avoir une vie en dehors du travail et la pression au sein du travail.

E & C : Depuis 2008, l’Orse cherche à sensibiliser les DRH et les syndicats sur la parentalité en entreprise en l’abordant du côté des hommes. Pourquoi ce choix ?

F. F. : L’Orse, mais aussi d’autres organismes, ainsi que la Commission européenne, font le constat qu’il ne peut pas y avoir d’égalité dans l’entreprise et dans l’emploi s’il n’y a pas d’égalité dans la sphère domestique. Les femmes auront toujours du mal à faire carrière tant qu’elles assumeront l’essentiel des tâches parentales. Cela se mesure par le nombre de femmes à temps partiel choisi, par le nombre de celles qui prennent un congé parental par rapport à la très faible proportion des hommes qui le font. Ces derniers sont perçus dans les entreprises comme n’ayant aucun problème de disponibilité et de mobilité, à la différence des femmes. Nous avons fait le constat que, si les hommes n’investissent pas la sphère familiale et de la parentalité, les femmes ne pourront pas faire carrière et les discriminations se perpétueront.

E & C : Que préconisez– vous pour sensibiliser les hommes à la parentalité ?

F. F. : Tout le problème des dispositifs existants – congé parental, temps partiel –, c’est qu’ils s’adressent aussi bien aux hommes qu’aux femmes, mais que les hommes s’interdisent souvent de les utiliser. Il faut donc s’attaquer aux représentations sociales par la communication et la pédagogie. Dans les outils de communication, il faut cibler les hommes. Nous citons dans notre guide Promouvoir la parentalité auprès des salariés masculins (1) de bonnes pratiques d’entreprises. Axa, par exemple, a conçu un guide avec des questions-réponses destinées aux hommes, du type “Ai-je le droit de prendre un temps partiel ?” Bien entendu, sur le plan juridique, il est évident que l’autorisation de temps partiel est accordée aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Mais, en étant cités nommément, les hommes se sentent autorisés à investir la parentalité. Dans cette optique, il est intéressant de faire témoigner les dirigeants sur leur propre paternité, comme nous l’avons fait avec l’ouvrage Patrons papas (2).

Il faut aussi montrer aux hommes ce qu’ils pourront gagner à la mise en place d’une démarche d’égalité. Celle-ci est une démarche d’équilibre qui va permettre aux femmes de mieux faire carrière mais qui donne aussi le droit aux hommes de faire carrière tout en menant une vie de famille.

E & C : Aujourd’hui, où en sont les entreprises sur la question de la parentalité au masculin ?

F. F. : Lorsque nous avons commencé à en débattre il y a cinq ans, on était loin du consensus. Certaines directions d’entreprise avaient du mal à comprendre l’intérêt d’aborder cette question qu’elles estimaient être du ressort de la vie privée. Aujourd’hui, le problème ne se pose plus, les esprits ont progressé. Signe de l’intérêt croissant des entreprises pour la question de l’implication des hommes dans la parentalité, elles sont de plus en plus nombreuses à maintenir le salaire lors du congé de paternité. C’était le cas dans 63 % des 165 accords d’égalité professionnelle que nous avons analysés en 2011. On trouve aussi dans les accords des mesures telles que l’autorisation d’absence pour accompagner sa femme aux séances de préparation à l’accouchement. Cela reste symbolique, mais c’est important pour faire évoluer les représentations. Dans certaines entreprises se sont constitués des groupes de parole de pères, une piste que nous encourageons. Il y a eu aussi en 2012 ces débats autour du congé de paternité obligatoire. L’Orse et la présidente du Medef de l’époque ont pris position pour un congé obligatoire.

E & C : En revanche, comme vous le constatez dans l’analyse des accords, rien n’a bougé sur la prise de temps partiel ou de congé parental par les pères.

F. F. : On touche là à un problème qui pénalise ceux qui veulent faire carrière. C’est ce que nous appelons le modèle de “l’engagement sacrificiel”. Pour réussir dans l’entreprise, mais aussi dans les autres formes de la vie sociale (syndicalisme, politique), il faut sacrifier sa vie de famille. Le modèle est tellement contraignant que le seul moyen d’y échapper est de refuser de prendre des responsabilités pour préserver la vie familiale, comme l’a montré une enquête du Céreq en 2012 auprès de non-cadres.

Quand un modèle devient si peu attractif, c’est qu’il est en bout de course et qu’il faut repenser les modes d’organisation. Derrière ce modèle, il y a l’injonction à la virilité : je sacrifie tout, je m’interdis d’avoir une vie de famille mais aussi de m’occuper de ma santé. Nous travaillons en ce moment sur le coût du modèle de masculinité, porteur de risques sur la santé et de coûts pour l’entreprise.

E & C : Le projet de loi pour favoriser l’égalité femmes-hommes présenté le 3 juillet prévoit de raccourcir le congé parental si un seul parent – généralement la mère – l’utilise. Qu’en pensez-vous ?

F. F. : Cela va dans le bon sens, mais ce n’est pas suffisant, car l’allocation versée par la branche famille pendant le congé parental est une allocation forfaitaire. Donc très peu d’hommes utiliseront ce dispositif. Mieux vaut des congés courts et bien rémunérés que le contraire, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. D’ailleurs, plus le congé est long, plus la personne aura des difficultés à réintégrer l’entreprise.

1) Guide paru en 2008, téléchargeable sur le site de l’Orse <www.orse.org>.

2) Éditions du Cherche Midi.

PARCOURS

• François Fatoux est délégué général de Orse, membre du Haut conseil de l’égalité entre les femmes et les hommes et membre de l’Observatoire de la parité au ministère de l’Intérieur. Il a débuté sa carrière au Centre national d’information sur les droits des femmes (CNIDFF). Il a ensuite été responsable de la protection sociale de la CFE-CGC.

• Il est coauteur de Patrons papas, paroles de dix dirigeants sur l’équilibre entre travail et vie privée (Le Cherche Midi, 2010) et de l’étude Les hommes : sujets et acteurs de l’égalité professionnelle (Orse, 2013).

LECTURES

• L’Engagement des hommes pour l’égalité des sexes (XIVe-XXIe siècles), ouvrage collectif, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2013.

• Boys don’t cry ! Les coûts de la domination masculine, D. Dulong, C. Guionnet, É. Neveu, Presses universitaires de Rennes, 2012.

• Souffrance en France, Christophe Dejours, Seuil, 2009.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET