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Le compte pénibilité : un nouveau défi pour les DRH

Actualités | publié le : 03.09.2013 | HÉLÈNE TRUFFAUT

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Le compte pénibilité : un nouveau défi pour les DRH

Crédit photo HÉLÈNE TRUFFAUT

Ajuster les droits des salariés exposés à des conditions de travail réduisant l’espérance de vie : une mesure d’équité qui réclame encore quelques éclaircissements. Le compte pénibilité promet bien du tracas aux services ressources humaines.

« Corriger bon nombre d’injustices » : c’est, avec le rééquilibrage des comptes, l’autre ambition de la nouvelle réforme des retraites, ainsi que l’affirmait Jean-Marc Ayrault lors de la présentation du projet, le 27 août dernier, à l’issue des deux dernières journées de rencontres avec les partenaires sociaux.

Point clé de ce projet “de gauche” devant contribuer à atténuer les crispations face aux efforts demandés : la création, dès 2015, d’un “compte personnel de prévention de la pénibilité”, tiré des propositions du rapport Moreau. « Ouvert pour tout salarié du secteur privé exposé à des conditions de travail réduisant l’espérance de vie, [il] permettra de cumuler des points en fonction de l’exposition à un ou plusieurs facteurs de pénibilité », sur la base des dix facteurs de risques professionnels mentionnés dans le décret du 30 mars 2011* relatif à la définition des facteurs de risques professionnels.

Compte à points

Dans le détail, chaque trimestre d’exposition donnera droit à un point (deux points si le salarié est exposé à plusieurs facteurs), le compte étant plafonné à 100 points. Les droits acquis permettront aux personnes concernées de suivre une formation pour se réorienter vers un métier moins pénible, de financer un passage à temps partiel en fin de carrière ou de bénéficier de trimestres supplémentaires pour partir plus tôt. Le barème de conversion ? Pour les trois options, dix points correspondent à un trimestre, mais « les vingt premiers points seront obligatoirement consacrés à la formation ».

Selon le Premier ministre, « le coût du volet pénibilité devrait représenter moins d’un milliard d’euros à l’horizon 2020 et quel­que 2 à 2,5 milliards à l’horizon 2035 ». Il serait financé, à compter de 2016, par une cotisation payée par toutes les entreprises et une cotisation modulée en fonction de la pénibilité propre à chacune.

Selon Atequacy, cabinet spécialisé en optimisation des coûts sociaux, cette nouvelle mesure viserait notamment à pallier l’échec du dispositif préexistant de retraite anticipée pour pénibilité (lire l’encadré p. 5). Avec une conséquence immédiate : un élargissement de la cible, puisqu’il suffirait, pour en bénéficier, d’être soumis à un seul facteur de risque. De fait, « environ 20 % des salariés du privé sont concernés », estime le gouvernement.

Pour le président de l’ANDRH, c’est une mesure d’équité : « Les espérances de vie sont différentes entre les salariés selon l’usure professionnelle et, par ailleurs, on ne rentre pas tous dans la vie active au même âge. On ne peut donc pas traiter tout le monde de la même façon en matière de retraite, convient Jean-Christophe Sciberras. Depuis la réforme de 2010, beaucoup de choses se sont améliorées, notamment en termes de prévention de la pénibilité, mais il est impossible de parer à tout. La question de l’usure reste pertinente. Les questions délicates de mise en œuvre ne peuvent pas conduire à écarter cet aspect important de la réforme. »

Car l’exercice s’avère ardu. D’autant que, selon le projet qui a été présenté, « le dispositif n’est pas réservé qu’aux nouveaux entrants sur le marché du travail, insiste David Ser, directeur général d’Atequacy. Tous les salariés, aujourd’hui, sont potentiellement concernés, avec un compteur vierge ». Le gouvernement a cependant prévu une mesure spécifique pour les salariés proches de la retraite « qui ne pourraient accumuler suffisamment de points » (dont le doublement des points acquis).

Fiches de prévention des expositions

Par ailleurs, si le sujet “pénibilité” a effectivement pris de l’ampleur à la faveur de la précédente réforme, les entreprises s’en sont diversement saisies. Certaines avaient certes mis en place, et depuis longtemps, leur propre mécanisme de départs anticipés, dont on peut se demander ce qu’ils deviendront dans le nouveau contexte (lire p. 6). Mais d’autres auront bien du mal à s’appuyer sur l’existant pour se conformer à leurs nouvelles obligations. « Les fiches de prévention des expositions aux facteurs de risques professionnels [obligatoires pour toutes les entreprises, sans condition d’effectif, NDLR] semblent le moyen le plus cohérent pour mettre en place le compte personnel de prévention de la pénibilité, analyse Mouna Elgamali, juriste auditeur chez Atequacy. Or, selon l’enquête que nous avons menée en février dernier, seules 55 % des entreprises interrogées avaient mis en place ces fiches, tandis que 20 % estimaient ne pas être concernées. »

Selon Bernard Cottet, directeur général de Didacthem (spécialiste de la prévention santé), l’incidence directe du compte individuel pénibilité sur la fin de carrière du salarié imposera aux entreprises davantage de rigueur : « Le diagnostic qui leur incombe devra être beaucoup plus précis. Il ne suffit pas d’avoir des seuils, qui n’ont d’ailleurs pas été clairement définis, ni par les pouvoirs publics, ni par les branches, encore faut-il ensuite mesurer objectivement l’exposition aux facteurs de pénibilité », souligne-t-il.

Plusieurs autres questions restent en suspens, observe le cabinet Atequacy : « Qui va vérifier les années d’exposition ? Qui informera le salarié du nombre de points acquis ? La liste des dix facteurs légaux de pénibilité est-elle exhaustive ou l’employeur pourra-t-il intégrer un autre facteur de pénibilité, comme par exemple le stress ? Auprès de quel organisme le salarié devra-t-il faire sa demande de préretraite ? En termes de finan­cement, la contribution des entreprises va-t-elle s’ajouter ou non à la majoration pénibilité ? », énumère Mouna Elgamali.

La juriste relève également une incohérence dans le discours de Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales et de la Santé, qui a récemment déclaré que le compte pénibilité « ne sera pas rétroactif, puisque nous n’avons pas les moyens, aujourd’hui, de retracer la carrière de chaque individu ». Pourtant, « dans le système existant, les salariés ayant une incapacité de 10 % à 20 % au titre d’un accident de travail et qui veulent partir de manière anticipée à la retraite doivent justifier d’une exposition de dix-sept ans à des facteurs de pénibilité (lire l’encadré p.5). La traçabilité est donc possible », rappelle Mouna Elgamali.

Précisions attendues

Le projet de loi, qui sera présenté en Conseil des ministres le 18 septembre et discuté à l’Assemblée nationale à compter du 7 octobre, demande donc à être précisé. Mais, entre la mise en place ou l’actualisation des fiches individuelles de suivi et la comptabilisation des points affectés sur cette base à chaque salarié, « les services RH peuvent d’ores et déjà s’attendre à une charge de travail conséquente », conclut-elle.

*Manutentions manuelles de charges lourdes ; postures pénibles définies comme positions forcées des articulations ; vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées ; activités exercées en milieu hyperbare ; températures extrêmes ; bruit ; travail de nuit ; travail en équipes successives alternantes ; travail répétitif.

LES MESURES DE RÉÉQUILIBRAGE

Pour combler le déficit, l’augmentation de la CSG a finalement été écartée au profit d’une hausse progressive des cotisations vieillesse sur quatre ans. Fixée à 0,15 point pour les actifs et pour les employeurs en 2014, elle plafonnera ensuite à 0,05 point au cours des trois années suivantes, l’accroissement global s’établissant ainsi à 0,6 point en 2017, également réparti entre les entreprises et les salariés. « Tous les régimes seront concernés » par cette mesure, qui vise à renflouer les comptes à court et moyen terme*.

Et ce n’est qu’à partir de 2020 que la durée de cotisation pour atteindre une retraite à taux plein poursuivra sa progression, à raison d’un trimestre par an. De 41 ans et 3 trimestres pour les assurés nés en 1958 atteignant 62 ans en 2020, elle passera à 43 ans en 2035, pour les assurés nés en 1973 – et au-delà.

*À l’horizon 2020, le déficit prévisionnel des différents régimes de retraite est de 20,7 milliards d’euros, dont 7,6 milliards pour le régime général et les régimes assimilés.

Retraite anticipée pour travail pénible

Le dispositif de retraite pour pénibilité est entré en vigueur le 1er juillet 2011. Il permet le maintien de l’âge légal de départ à 60 ans pour les salariés justifiant d’une incapacité permanente au moins égale à 20 %, reconnue au titre d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail. Les salariés justifiant d’une incapacité permanente au moins égale à 10 % doivent avoir été exposés pendant dix-sept ans à un ou plusieurs facteurs de risques. Le lien doit être établi entre l’incapacité et l’exposition, une commission disciplinaire ayant la charge d’apprécier les preuves apportées.

Depuis cette date, 6 139 pensions ont été attribuées à ce titre (chiffres au 5 août 2013), alors que le ministère du Travail tablait à l’époque sur 10 000 bénéficiaires par an (source Cnav).

Auteur

  • HÉLÈNE TRUFFAUT