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Tensions sur les astreintes dans l’informatique, l’ingénierie et le conseil

Pratiques | publié le : 27.08.2013 | NICOLAS LAGRANGE

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Tensions sur les astreintes dans l’informatique, l’ingénierie et le conseil

Crédit photo NICOLAS LAGRANGE

Plusieurs entreprises de la branche Syntec-Cinov* renégocient leur accord d’astreintes ou envisagent de le faire, le plus souvent pour répondre aux appels d’offres ou réduire leurs coûts. Mais, dans ce secteur aux pratiques disparates, beaucoup ne disposent pas de cadre formel.

Depuis plusieurs mois, la direction d’Axones (groupe Neurones) négocie un accord d’astreintes avec le délégué syndical unique de la SSII de 140 salariés. « Certains collaborateurs effectuent des astreintes sans cadre formel, assure Mostafa Oubid (CFE-CGC). Nous planchons sur les types d’astreintes, les modalités de déclenchement – dont les plages horaires –, ainsi que la rémunération des soirs, week-ends et jours fériés. Les discussions sont également liées à la demande des clients grands comptes d’avoir des consultants disponibles pour les mises en production et des déploiements à l’étranger. »

Sécurisation

« Les astreintes figurent de plus en plus dans le cahier des charges des appels d’offres, estime Michel de La Force, président de la Fieci-CFE-CGC. Ce qui pousse un nombre croissant d’entreprises à négocier des accords ou à renégocier ceux qui existent. Certaines veulent aussi sécuriser les astreintes en matière d’accidents du travail et de respect des temps de repos. D’autres enfin cherchent surtout à en réduire le coût. »

Illustration à Steria, où la direction a annoncé, fin 2012, son intention de renégocier trois accords (temps de travail, travail posté, astreintes) pour réduire les coûts salariaux. « L’accord sur les astreintes de 2003, plutôt favorable aux salariés, n’est pas au menu des discussions à ce jour », explique Daniel Jehanno, délégué syndical CFE-CGC. Mais les accords sur le temps de travail et le travail posté sont en cours de renégociation, dans un climat marqué par un dialogue social crispé et de nombreux contentieux. Objectif, selon la direction : « Disposer d’offres de services compétitives face à la forte pression sur le prix et au net ralentissement des dépenses informatiques. »

Autre renégociation en cours chez Accor, dans les services informatiques (hors champ Syntec-Cinov). « Près de 100 salariés du pôle technologique et informatique d’Évry, soit presque la moitié, effectuent en moyenne une semaine d’astreinte par mois, indique Lionel Godec, délégué syndical CFDT du site (majoritaire). Il s’agit d’interventions presque exclusivement par téléphone et connexion à distance, notamment sur les serveurs de réservations de chambres d’hôtel (près de 120 000 par jour). » L’accord de 2004, déjà révisé en 2008, a été dénoncé début 2013 à l’initiative des syndicats pour assurer une meilleure traçabilité des astreintes, améliorer la rémunération, assurer le respect des récupérations et des temps de repos journaliers et hebdomadaires. Et accessoirement pour adapter l’accord aux nouvelles technologies. « Une semaine d’astreinte, soirs et week-end, est rémunérée près de 300 euros, soit 30 % à 40 % de moins en moyenne que dans les grands groupes que nous avons contactés, assure le cédétiste. Nous pouvons parvenir à une revalorisation des astreintes, tout en réduisant leur nombre et leur complexité pour tenir compte des contraintes budgétaires. Car elles sont trop systématiques aujourd’hui, tout comme les déclenchements d’intervention, y compris pour des dysfonctionnements non urgents. » Les négociations, interrompues en avril en raison d’un plan de départs volontaires, devraient reprendre en septembre.

Managers sollicités

« Pour réduire le coût global des astreintes, les entreprises sollicitent davantage les managers, joignables en dehors de leur temps de travail, pour valider le déclenchement des interventions, affirme Michel de La Force. Mais ce recours hiérarchique a souvent pour effet d’allonger les temps d’intervention. » Une tendance confirmée par la CFDT d’Atos France : « À côté de l’astreinte formelle, il y a un nouveau dispositif d’alerte, pour traiter les inci­dents graves, explique Marie-Christine Lebert, déléguée syndicale nationale de la SSII. L’entreprise a identifié les personnes clés et collecté les numéros de téléphone personnels. C’est aux managers de décider s’ils doivent les appeler, mais cette mise à disposition implicite n’est pas rémunérée. Cela ne pourra être acceptable que si ces interventions demeurent exceptionnelles. » Ce risque pointé par la CFDT « ne correspond pas à un projet managérial, insiste le DRH, Jean-Michel Estrade. D’ailleurs, nous aurions plus à y perdre qu’à y gagner, car la disponibilité du collaborateur n’est pas garantie ».

Parallèlement au dispositif des astreintes, « nous avons plaidé pour qu’il n’y ait plus d’envois de mails le week-end, souligne Djemel Drici, délégué syndical CFDT d’Atos Infogérance. La direction y veille, c’est devenu très rare même si, il y a cinq mois, un manager a annoncé par mail durant le week-end une opération programmée le lundi ». Une double infraction à la conciliation vie privée-vie professionnelle et à l’esprit “leading in the zero email company” [opération lancée en 2011, NDLR], selon le DRH. « Depuis mai, indique Jean-Michel Estrade, 300 managers ont suivi une journée de formation pour intégrer dans leur mode managérial les potentialités du réseau social interne reposant sur le logiciel BlueKiwi. »

Situations disparates

Au sein de la branche Syntec-Cinov, les situations sont disparates. Même si les partenaires sociaux sont très actifs (NAO, RPS, classifications…), la convention collective – bientôt renégociée – est, hormis quelques lignes génériques, quasiment muette sur les astreintes, pourtant indissociables des métiers de l’informatique, de l’ingénierie et du conseil. La plupart des grandes entreprises sont couvertes par un accord. Á Capgemini, celui de 2009 « organise les astreintes de manière satisfaisante » pour la CFDT (1er syndicat) et fait l’objet d’avenants réguliers de revalorisation. Pas d’accord, en revanche, à Alten (près de 15 000 salariés). « Les astreintes existent, mais sont rémunérées à la tête du client, assure le délégué syndical CFDT d’Alten SA. Les négociations n’ont pas abouti, parce que la direction voulait pouvoir imposer les astreintes aux salariés, alors que nous tenions au principe du volontariat, du moins à des garde-fous. » Et dans les très nombreuses PME du secteur, l’astreinte est souvent peu formalisée (lire l’encadré p. 13). Mais les arrêts de la Cour de cassation relatifs au forfait-jours concernant le suivi de la charge de travail et l’évaluation des risques pour la santé pourraient bien, à terme, avoir un impact sur le nombre et le contenu des accords.

* Cinov, ex-CICF : Fédération des syndicats des métiers de la prestation intellectuelle, du conseil, de l’ingénierie et du numérique.

L’ESSENTIEL

1 La négociation ou renégociation des astreintes répondent à une demande des clients. Elles visent la réduction des coûts ou la sécurisation des modalités d’application.

2 Plusieurs syndicats dénoncent le développement de systèmes informels ou visant à limiter les interventions des salariés.

3 Le dossier des astreintes n’est cependant pas prioritaire au niveau de la branche Syntec-Cinov, où de nombreuses PME ne disposent pas de dispositif structuré.

Des dispositifs très inégaux dans les PME

« Plus des deux tiers des entreprises de la branche Syntec-Cinov comptent moins de 200 salariés et sont dépourvues de délégué syndical », selon Chantal Guiolet, présidente CFE-CGC de la commission paritaire de validation des accords. Chaque mois, une quinzaine d’entre elles soumettent un projet à la commission, principalement sur le temps de travail et, dans une moindre mesure, sur les astreintes. « Quelques accords d’astreintes sont très bien ficelés, la plupart sont moyens, mais environ 30 % comportent des irrégularités, assure-t-elle. Exemple typique, l’absence de disposition pour garantir les 11 heures de repos entre deux journées de travail lorsque l’astreinte a donné lieu à une intervention. Nous pointons les failles, mais nous ne pouvons nous opposer à la validation des textes. »

« Certaines PME aimeraient pouvoir s’inscrire dans un dispositif cadré au niveau de la branche, estime Michel de La Force, président de la Fieci-CGC, mais les grandes entreprises ne veulent pas se lier les mains. A contrario, d’autres font intervenir leurs salariés en dehors de leur temps de travail, sans système cadré, d’où des distorsions de concurrence.

« Beaucoup de PME se démènent aujourd’hui pour maintenir leurs marges, mais tous les dispositifs que nous validons au niveau de la branche sont conformes au Code du travail, affirme Frédéric Lafage, vice-président de Cinov en charge du social et de la formation. Globalement, les astreintes concernent beaucoup moins les PME que les grosses SSII. » La fédération Syntec, elle, n’a pas donné suite à nos demandes.

Auteur

  • NICOLAS LAGRANGE