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Les fonds de secours des entreprises fonctionnent à plein régime

Pratiques | publié le : 16.07.2013 | SABINE GERMAIN

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Les fonds de secours des entreprises fonctionnent à plein régime

Crédit photo SABINE GERMAIN

Certains employeurs sont confrontés à la précarisation de leurs propres collaborateurs. Du coup, les commissions de solidarité interne réorientent leur budget en conséquence.

« Aujourd’hui, on peut être salarié, titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée et vivre dans la précarité », observe Fabienne Ciron, chef du service Ile-de-France au GIE Ressif (Réseau des services sociaux interentreprises de France). Son équipe de 60 assistants sociaux intervient auprès d’organisations de toutes tailles et de tous secteurs d’activité : « Dans les grandes entreprises, il ne se passe pas une semaine sans qu’on nous appelle pour une vraie situation d’urgence : perte de logement, gros problème de santé, endettement… »

Pour faire face à ce genre de situations, la plupart des entreprises disposent d’un “fonds de secours” : une enveloppe financière destinée à venir en aide aux salariés qui connaissant des difficultés passagères. Il est généralement géré de façon paritaire par la direction et les partenaires sociaux.

À Carrefour Market, par exemple, le fonds de solidarité est administré par une commission présidée par un représentant de la direction et composée d’un « représentant de chaque organisation syndicale ayant ratifié l’accord triennal sur le sujet » et d’un nombre « équivalent ou inférieur de représentants désignés par la direction ». Son montant est fixé annuellement, dans la limite de 300 000 euros par an. La commission se réunit tous les mois pour étudier les dossiers présentés par les institutions représentatives du personnel (CE, DP, RS et CHSCT), la direction ou les travailleurs sociaux du secteur. Elle peut accorder des aides allant jusqu’à 2 000 euros pour faire face à des impayés (loyers, factures d’eau ou d’énergie, à l’exclusion des crédits à la consommation), une séparation ou un décès, une expulsion, la perte d’emploi du conjoint, des frais médicaux non pris en charge, etc. Mais les membres de la commission s’assurent, au préalable, que toutes les autres voies de recours ont été épuisées : sécurité sociale, allocations familiales, conseil général ou institutions de prévoyance.

Des aides de plus en plus orientées vers les actifs

Les groupes paritaires de protection sociale (AG2R La Mondiale, Malakoff Médéric, Pro BTP, Réunica…) disposent en effet, en marge de leurs prestations de retraite, santé et prévoyance, d’un budget destiné à l’action sociale. « Historiquement tournées vers le handicap ou la perte d’autonomie, qui représentaient 80 % de nos interventions, ces aides financières sont de plus en plus orientées vers les actifs, explique Anne-Catherine Duveau, responsable du pôle action sociale régionale à Klesia (ex-Mornay). Aujourd’hui, entre l’explosion des coûts immobiliers dans les grandes agglomérations et la désindustrialisation de régions entières, de véritables poches de pauvreté sont apparues sur certains territoires. » Pauvreté dont les salariés ne sont pas exclus : « Les employeurs sont conscients des difficultés qu’il peut y avoir à vivre avec un smic ou un salaire à temps partiel, poursuit Anne-Catherine Duveau. Mais ils ne peuvent pas faire autrement. Du moins dans les PME. Pour les salariés de grandes entreprises, les cas de précarité sont essentiellement liés à des situations de rupture ou d’accident de la vie. »

Ce que confirme Bruno Largillière, délégué syndical central CFDT de Danone Produits Frais France et membre de la commission d’insertion et de solidarité : « Dans le groupe, les salaires sont corrects. Mais nous vivons une époque où un salaire correct permet juste de s’en sortir. Pas de surmonter les coups durs. » Créée il y a vingt ans à l’initiative de la CFDT pour accompagner des entreprises d’insertion extérieures au groupe, la commission a elle aussi réorienté son action depuis trois ans : « Nous sommes passés de 80 % d’aides attribuées à l’extérieur du groupe Danone à seulement 40 %. » Les 60 % restants sont destinés à aider les salariés confrontés à des difficultés : « Il suffit que la voiture tombe en panne ou que de gros frais de santé ne soient pas pris en charge par la mutuelle pour qu’un budget familial plonge dans le rouge. » La commission se réunit donc tous les trimestres pour étudier les 10 à 20 dossiers qui lui sont soumis : « Nous essayons de ne jamais intervenir seuls, explique Bruno Largillière. Et nous nous assurons que les demandeurs ont bien frappé à toutes les portes de l’action sociale avant de débloquer une aide. »

La commission solidarité et insertion est gérée par les trois syndicats représentatifs signataires de l’accord d’entreprise lui ayant donné naissance (CFDT, CFE-CGC et FO), ainsi que par la direction. Son budget – dont Bruno Largillière ne veut pas révéler le montant – est prélevé sur le résultat de Danone Produits Frais France, avant distribution de la participation. « Nous gérons ce budget bénévolement, en retirant notre casquette syndicale », insiste-t-il. Le délégué ne se voile pas la face et reconnaît un « sentiment d’impuissance » à colmater ainsi les brèches d’un modèle social en péril. Mais il refuse de tout mettre sur le dos de l’entreprise : « Les difficultés ne sont pas seulement liées au niveau des salaires. Elles découlent le plus souvent du désengagement de la puissance publique dans les domaines de la santé et de l’insertion », considère-t-il.

Loi du silence

Les difficultés frappent néanmoins en priorité les salariés au smic ou à temps partiel. Ce n’est donc pas un hasard si les activités de main-d’œuvre peu qualifiée sont particulièrement concernées par l’action sociale : logistique, grande distribution, BTP… Les DRH de ces secteurs disposent d’un indicateur particulièrement fiable pour suivre la précarisation de leurs effectifs : les demandes régulières d’avance et les saisies sur salaire. Ces données confidentielles ne peuvent toutefois être exploitées pour proposer un véritable accompagnement : le salarié doit se manifester lui-même (ce qu’à peine un tiers ose faire, selon les professionnels de l’action sociale) ou être signalé par une relation de travail ou un travailleur social. « Les gens qui sont véritablement au bout du rouleau n’appellent jamais à l’aide, confirme Fabienne Ciron. Nous sommes généralement avertis des vraies difficultés par des collègues qui, selon la culture de l’entreprise, s’en ouvrent à leur manager où à leurs représentants du personnel. » Cette loi du silence est l’un des grands problèmes de l’action sociale d’entreprise.

L’ESSENTIEL

1 Généralement gérés de façon paritaire, les fonds de secours aident les salariés à surmonter certains coups durs.

2 Mais la pauvreté n’épargne même plus les travailleurs en CDI, et les situations d’urgence se multiplient.

3 Les DRH n’ont guère de prise sur le phénomène, d’autant que les salariés les plus touchés ne se manifestent pas.

Auteur

  • SABINE GERMAIN