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« Les entreprises doivent penser le service comme un métier à part entière »

Enjeux | publié le : 09.07.2013 | PAULINE RABILLOUX

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« Les entreprises doivent penser le service comme un métier à part entière »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Les réponses standardisées apportées par les entreprises de service satisfont de moins en moins une clientèle devenue très exigeante. Pour répondre aux besoins spécifiques des clients, l’esprit de service doit être une valeur partagée par l’ensemble de l’organisation, dans sa culture comme dans sa gestion des ressources humaines.

E & C : Le secteur des services est en pleine mutation. Quels sont ses principaux changements ?

Muriel Jougleux : C’est une évidence depuis plusieurs décennies de dire que l’économie a basculé de l’industrie vers les services. Mais justement, ce développement s’est accompagné d’une massification qui nuit parfois à la spécificité du service, qui est toujours une co-conception et une coproduction entre une entreprise et un client particulier. Les entreprises de service ont largement standardisé leur offre, rationalisé leurs métiers et leurs processus, notamment au travers de démarches qualité, pour répondre de manière satisfaisante à la plupart des demandes, et ce au meilleur coût, en optimisant leur profitabilité. Pourtant, cette logique de qualité “du” service achoppe aujourd’hui sur la qualité “de” service, ou encore sur l’esprit de service, ce supplément d’âme qui permet de satisfaire vraiment les attentes du client en ce qu’elles ont de singulier. En effet, les organisations du travail néotayloriennes, qui permettent de traiter les demandes en nombre, trouvent leur limite dans le fait qu’elles génèrent potentiellement une insatisfaction du client. Ce dernier a l’impression de ne pas être écouté lorsqu’on lui propose une solution qui n’a pas été pensée en fonction de sa demande singulière. Lieu d’une rencontre entre l’entreprise et son client, le service est aussi souvent le révélateur de la contradiction entre l’intérêt de celle-ci et l’intérêt de celui-ci, entre l’intérêt du producteur et celui du consommateur.

E & C : Comment sortir de cette contradiction ?

M. J. : La notion d’esprit de service est à la fois évidente dans son usage courant et pourtant floue du point de vue des entreprises, puisque toutes ne mettent pas la même chose sous les mots. Pour certaines, l’esprit de service se réduit à l’écoute du client, pour d’autres, il s’agit d’une qualité individuelle des personnels, pour d’autres encore d’une évolution culturelle ; quand il ne s’agit pas simplement d’un effet de communication. Plus radicalement, on peut dire que l’amélioration de l’expérience client est un projet global qui engage l’ensemble de l’entreprise dans tous ses métiers et dans toutes ses fonctions. Dans tous ses métiers, puisque savoir gérer les demandes particulières exige d’abord de savoir gérer au mieux les demandes standards afin de libérer des marges de manœuvre. Et cela concerne aussi bien le front-office que le back-office. Dans toutes ses fonctions, puisque le service a évidemment une incidence matérielle, financière, organisationnelle et humaine.

E & C : Pouvez-vous préciser les enjeux RH ?

M. J. : Une des questions qui se pose aux organisations est de trouver le bon positionnement des salariés, à la charnière entre l’intérêt individuel du client et l’intérêt de l’entreprise, de préférence en conciliant les deux. Au plan RH, la compétence “service” recouvre aussi bien les compétences individuelles des salariés que des compétences collectives de l’entreprise. Concernant les premières, le recrutement de personnes est un axe majeur. À côté des connaissances techniques requises pour le poste, les candidats doivent être capables de faire preuve de suffisamment d’empathie pour entendre le client et communiquer avec lui. Mais si l’esprit de service est un savoir-être, c’est aussi un savoir-faire, c’est-à-dire que l’on apprend dans une certaine mesure à être courtois, aimable, centré sur la demande du client. La formation joue donc un rôle important. À charge pour les entreprises de penser le service comme un métier à part entière, au-delà des aspects techniques dont elles sont spécialistes, ce qui est souvent loin d’être le cas aujourd’hui.

E & C : Comment la compétence collective de l’esprit de service est-elle valorisée ?

M. J. : Il appartient bien sûr à l’entreprise d’organiser, de reconnaître, d’encadrer et de faciliter le travail de service. Valoriser l’esprit de service ne peut pas être simplement une question de dévouement personnel. L’entreprise doit savoir reconnaître cette compétence dans ses modes de management, d’évaluation, de rémunération, de gestion des évolutions de carrières. Plus profondément encore, le service doit être une valeur partagée par l’ensemble de l’organisation, et cela se situe bien sûr au niveau de la culture d’entreprise mais aussi des ressources mises à disposition du salarié pour l’aider à accomplir ses missions, donc aussi de la constitution des collectifs de travail fonctionnant pour le salarié comme espaces de soutien et de réassurance. On n’imagine pas une entreprise qui demanderait à ses salariés d’être à l’écoute du client tout en lui faisant clairement comprendre que seule leur productivité importe. Il faut être cohérent. Bien sûr, l’entreprise n’a pas de mission philanthropique, mais si l’on attend des salariés qu’ils fassent preuve d’esprit de service, il est nécessaire que ceux-ci aient les moyens de leurs missions et qu’ils sachent qu’il s’agit d’une vraie valeur pour l’entreprise. Une latitude suffisante doit être laissée aux employés pour qu’ils puissent s’ajuster avec une relative liberté à leur clientèle et à ses demandes, y compris en dépassant les formules standards. Sans oublier qu’un client qui ne rapporte rien tout de suite reste un client potentiel pour demain et un vecteur de l’image de l’entreprise. La gestion du temps est là une question importante : temps consacré à chaque client, c’est-à-dire gestion du court terme mais aussi du long terme. Il est de la compétence des entreprises de réfléchir à l’équilibre entre ces deux temporalités.

E & C : Quelle place occupent les services RH en la matière ?

M. J. : Les services RH sont a priori assez éloignés des enjeux de l’esprit de service que l’on aborde plus traditionnellement à partir des démarches qualité. Dans la mesure pourtant où le développement de l’esprit de service est un enjeu stratégique pour l’entreprise, on ne peut que regretter que les DRH ne s’impliquent pas plus étroitement qu’ils ne le font aujourd’hui dans cette question. Leur rôle est déterminant au plan du recrutement, de la formation, de l’évaluation, nous l’avons vu, mais aussi, plus généralement, du climat social. Pour répondre de manière satisfaisante aux exigences du client, les salariés doivent eux-mêmes se sentir bien dans leur travail : pas stressés, reconnus, soutenus, en phase avec leurs valeurs. C’est un vaste programme pour les ressources humaines. De la qualité de vie au travail dépend pour une bonne part la qualité du service fourni au client.

PARCOURS

• Muriel Jougleux est responsable du master marketing et production de services. Elle dirige l’UFR de sciences économiques et gestion de l’université Paris-Est Marne-la-vallée, et est directrice déléguée de l’IAE Gustave Eiffel.

• Elle a participé avec l’Anvie (Association nationale de valorisation interdisciplinaire de la recherche en sciences humaines et sociales auprès des entreprises) à l’organisation d’une journée de rencontres autour du thème “Esprit de service et innovation managériale fin 2012”. Les travaux du club Esprit de service et innovation managériale, créé par l’Anvie et Xavier Quérat-Hément, directeur de la qualité du Groupe La Poste, ont commencé le 14 juin 2013. <www.anvie.fr>

LECTURES

• Services marketing : Integrating customer focus across the firm, A. Wilson, V. A. Zeithaml, M. J. Bitner, D. D. Gremler, éd. McGraw-Hill, 2012.

• Delivering quality service, V. A. Zeithaml, A. Parasuraman, L. L. Berry, The Free Press, 1990.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX