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Thales sécurise les parcours de ses salariés

Pratiques | publié le : 02.07.2013 | NICOLAS LAGRANGE

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Thales sécurise les parcours de ses salariés

Crédit photo NICOLAS LAGRANGE

Depuis 2006, le groupe d’électronique gère ses sureffectifs sans passer par des PSE ou des plans de départs volontaires, grâce à la gestion active de l’emploi. Un nouvel accord quinquennal a été signé en avril par l’ensemble des syndicats.

C’est un dispositif très atypique que les partenaires sociaux de Thales utilisent depuis bientôt sept ans. Lorsque l’une des sociétés du groupe fait face à des difficultés économiques prévisibles, ils activent la GAE (gestion active de l’emploi) pour inciter les salariés des secteurs fragilisés à se positionner sur des postes ou des métiers plus porteurs dans l’une des 30 filiales françaises. Et ça marche, puisque « près de 1 500 postes ont été adaptés depuis 2006, sans licenciements économiques ni plan de départs volontaires ou de mobilité contrainte », explique Pierre Groisy, DRH France.

Commission centrale d’anticipation

La démarche débute par une information de la commission centrale d’anticipation, une instance paritaire chargée d’examiner les orientations stratégiques du groupe et leurs impacts sur l’emploi. La direction lui présente le sureffectif qu’elle a identifié sur un site. Puis elle informe et consulte le CE de l’entité concernée sur la nature et le nombre de postes ou métiers fragilisés, les élus pouvant faire appel à un expert (dans des délais rapides). Des négociations peuvent localement s’engager parallèlement avec les organisations syndicales. Un schéma très proche d’une procédure de PSE classique (livre II, livre I), mais avec plusieurs différences majeures.

Sur la base du rapport d’expertise, les 20 membres de la commission centrale d’anticipation valident ou non le recours à la GAE. Puis le CE donne son avis sur le projet d’adaptation des effectifs et sur l’opportunité d’activer la GAE. Deuxième spécificité : les postes ou métiers fragilisés ne sont pas personnalisés, il n’y a donc pas de critères de licenciement ni de congés de reclassement à prévoir.

Lorsque la GAE est décidée, la direction informe les salariés des secteurs concernés des évolutions de métiers éventuelles et de la possiblité de s’inscrire dans un accompagnement renforcé. Objectif : favoriser leur repositionnement au sein du groupe. « Le système repose sur un double volontariat, insiste Didier Gladieu, délégué syndical central CFDT (1er syndicat) : le salarié doit être candidat, et la direction doit valider sa candidature. » Et s’il n’y a pas assez de volontaires ? « Il y en a toujours eu suffisamment jusque-là, assure le DRH France. Dans un PSE avec des départs contraints, les salariés ont peur, alors qu’avec la GAE, ils sont sécurisés par le maintien de leur contrat de travail. Si la GAE s’avère insuffisante, l’accord prévoit la possibilité de mettre sur pied un PSE, mais cela ne s’est jamais produit. » Or la GAE a déjà été activée une dizaine de fois.

Anticipation des évolutions métiers

Le salarié volontaire et son responsable RH signent une convention d’engagement précisant le projet de repositionnement du salarié et définissant les actions de formation et le calendrier (jusqu’à douze mois). « Le plus difficile est d’avoir un poste disponible au moment où la formation se termine, estime Pierre Groisy. Donc on construit le plus souvent un parcours en alternance, avec des périodes de travail sur le poste fragilisé et des briques de formation sur le futur poste. Dès que le poste est à pourvoir, on bascule le salarié. Ce qui nécessite un énorme travail d’anticipation des évolutions métiers. » Ainsi, certains techniciens spécialisés dans les hyperfréquences (hardware) sont passés sur la partie logiciels (software). Dans les métiers support, il y a eu des passerelles de la finance vers les achats. « Les salariés sont un peu surpris au départ par la proposition de démarche GAE, mais les retours sont vraiment positifs, juge Gilbert Brokmann, délégué syndical central CFE-CGC (2e syndicat). Il y a toujours une solution satisfaisante à l’issue de l’accompagnement. »

La GAE prévoit aussi, plus classiquement, des cessations anticipées d’activité avec mise à disposition. Jusqu’à deux ans et demi avant l’ouverture de leur droit à liquidation de la retraite, les seniors volontaires (dont le dossier a été accepté) sont dispensés d’activité, perçoivent 65 % de leur rémunération brute et peuvent être rappelés pour des missions courtes. Mais ce dispositif ne peut pas concerner plus d’un tiers du nombre de postes à supprimer, selon les termes de l’accord. « Il permet en moyenne de traiter 30 % des sureffectifs, mais la grande majorité des solutions trouvées passent par des mobilités internes accompagnées, également nombreuses en dehors de toute GAE », assure Pierre Groisy. Par ailleurs, la mobilité externe est facilitée par des dispositifs innovants (lire l’encadré p. 13).

Nouveau compromis

Signé à l’unanimité en 2006, le premier accord de GPEC-GAE a été renégocié à partir de fin 2011 pour aboutir, en avril 2013, à un nouvel accord avec tous les syndicats représentatifs (CFDT, CFE-CGC, CGT et CFTC) et le paraphe du Pdg lui-même, Jean-Bernard Lévy. Un seul accroc a eu lieu en sept ans. « Fin 2010, Luc Vigneron (ancien Pdg de Thales, NDLR) a annoncé un plan de 1 500 départs volontaires, relate Gilbert Brokmann. C’était en contradiction totale avec la philosophie de l’accord : rechercher systématiquement le maintien du contrat de travail. Le projet a finalement été abandonné, sauf au siège pour près de 90 emplois. »

Efficace, la GAE n’est-elle pas lourde et coûteuse pour le groupe « Mieux vaut consacrer une enveloppe importante à l’accompagnement plutôt que verser de grosses indemnités de licenciement, plaide le DRH France. On adapte la charge d’activité tout en conservant nos compétences et en les fortifiant. Une politique de stop and go serait préjudiciable à nos métiers d’ingénierie systèmes, qui requièrent un à deux ans pour être opérationnel. » Cerise sur le gâteau, la GAE préserve le climat social.

Le nouvel accord quinquennal insiste davantage sur l’anticipation. « La GAE première version a été utilisée pour pallier les urgences, affirme Didier Gladieu. Le volet GPEC n’a pas été suffisamment exploité. » D’où l’accent mis sur une meilleure connaissance prospective des métiers et sur un lien plus fort entre orientations stratégiques et plan de formation. Avec, de surcroît, la mise en place prochaine de “correspondants RH anticipation” dans chaque bassin d’emploi (idem côté syndical) pour mieux explorer les pistes métiers internes et externes (dans le cadre d’une GPEC territoriale).

Deux bémols toutefois… D’abord, la difficulté à partager certaines informations stratégiques, selon la CFE-CGC. « La direction ne met pas tout sur la table dans le cadre des instances d’anticipation, par crainte du délit d’entrave par rapport au CCE et des réactions sociales, regrette Gilbert Brokmann. Nous avions plaidé pour une confidentialité plus forte, avec obligation de réserve des IRP. »

Ensuite, selon l’ancien DRH du groupe, Loïc Mahé, la sécurité juridique de la GAE pourrait être confortée. Il a souligné à plusieurs reprises que des discussions avaient été nécessaires avec l’inspection du travail pour expliquer en quoi elle diffère d’un PSE, puisqu’elle entraîne parfois une adaptation importante des effectifs. « Ce dispositif, qui ne s’adresse qu’à des volontaires, n’entraîne pas de rupture du contrat de travail », rappelle le DRH actuel.

Le Cercle des DRH européens milite pour l’introduction de la GAE dans le Code du travail. Son président, Yves Barou, par ailleurs ancien DRH groupe de Thales, estime qu’elle pourrait permettre d’éviter la moitié des PSE en France, moyennant un dialogue social de qualité dans les entreprises.

L’ESSENTIEL

1 La gestion active de l’emploi (GAE) peut être utilisée lorsqu’un sureffectif structurel a été identifié sur certains postes ou métiers sensibles.

2 La démarche repose sur un double volontariat salarié-direction, permet l’adaptation des compétences et privilégie la mobilité interne.

3 La GAE interdit les licenciements économiques et les plans de départs volontaires, mais suppose un dialogue stratégique de qualité.

Des mobilités externes très encadrées

L’accord de GPEC-GAE prévoit deux modalités de mobilités externes volontaires.

– Une période de mobilité définie par l’accord de branche (métallurgie) de mai 2010. Elle permet la découverte d’un emploi dans un autre groupe, avec suspension du contrat de travail pendant une durée négociée et droit de retour sur un emploi équivalent avec une rémunération équivalente.

– Un changement d’employeur via une convention de mutation tripartite (salarié, société d’accueil, société d’origine), avec maintien des droits à ancienneté. Thales prend en charge les frais liés aux déplacements et aux démarches de mutation, verse une prime de mobilité en fonction de l’ancienneté au bout de six mois (entre 4 000 et 25 000 euros), compense l’éventuel différentiel de salaire durant deux ans et garantit un droit au retour pendant les douze premiers mois.

Auteur

  • NICOLAS LAGRANGE