L’ensemble du personnel a choisi d’entrer au capital du fabricant, adhérant au discours d’indépendance du dirigeant fondateur de la maison mère britannique.
Spécialiste des systèmes de suspension pour le bâtiment, Gripple Europe a touché au but : faire de l’ensemble de ses 70 salariés ses actionnaires. Mi-mai, les derniers collaborateurs qui n’avaient pas franchi le pas ont souscrit leurs parts sociales. Celles-ci sont investies dans la société mère britannique qui détient les filiales dans différents pays européens, la plus importante étant la française (40 salariés), qui pilote l’activité Europe depuis Obernai (Bas-Rhin).
Si le capital était ouvert aux salariés depuis l’origine de Gripple Europe en 1999, seul un sur sept avait souscrit jusqu’en 2011. C’est à ce moment-là que le projet a décollé, sous l’impulsion de l’atypique fondateur de Gripple, Hugh Facey. Rétif à l’achat par un repreneur extérieur, à l’introduction en bourse (exclue par les statuts de la société) comme à la transmission à ses enfants, le dirigeant britannique, devenu sexagénaire, ainsi que son bras droit ont décidé de transmettre toutes leurs actions aux quelque 400 salariés du groupe. Les employés britanniques sont tenus d’y donner suite, selon une clause de leur contrat de travail.
La législation française ne permettant pas une telle obligation, la direction du site d’Obernai a dû miser sur le volontariat. Plutôt qu’une grand-messe, elle a procédé par petites touches, « par le discours et les actions de tous les jours », souligne Denis Anthoni, directeur de Gripple Europe. Elle distille subtilement le message de l’appartenance à une même communauté de valeurs, en affichant une trentaine de mots clés aux murs des bureaux en open space, organise un repas commun toutes les deux semaines, propose de consacrer du temps (un jour par an, en général) à une action caritative comme la collecte à la Banque alimentaire, etc.
« L’idée de devenir actionnaire a déclenché un premier moment de surprise pendant un mois, jusqu’à des réflexions de type : « il faut payer pour travailler ? », décrit Denis Anthoni. Souvent, ce sont les conjoints qu’il a fallu convaincre et j’en ai personnellement rencontré certains. Ensuite, l’adhésion a été massive. » Gripple Europe a fixé le montant minimal à 1 000 euros, et ses statuts interdisent à un actionnaire de détenir à lui seul plus de 5 % du capital. De fait, la mise oscille le plus souvent entre 1 000 et 2 000 euros.
Ce fut le cas en 2011 pour Michèle Coinchelin, employée commerciale entrée chez Gripple huit ans auparavant. « J’ai été convaincue par le discours du fondateur que j’ai senti sincère dans sa volonté de faire des salariés les propriétaires de la société. C’était à contre-courant de la vague de délocalisations », relate-t-elle. Guy Muckensturm, autre commercial, s’est vu proposer le deal à son entretien d’embauche, l’an dernier. « J’ai été surpris, agréablement. Je n’y ai pas vu le moyen d’améliorer ma rémunération, mais celui de pouvoir maîtriser un peu mieux mon destin. Entre deux propositions d’embauche, cette possibilité a contribué à me faire opter pour Gripple », expose-t-il.
Lorsqu’un collaborateur quitte l’entreprise, il doit obligatoirement revendre ses actions à un ou plusieurs collègues. Les salariés actionnaires élisent deux des leurs afin de gérer les dividendes et leur répartition. Dans la philosophie de Gripple, ils font en même temps office de représentants du personnel, en l’absence d’instance représentative – les effectifs de la filiale française sont inférieurs au seuil de 50 salariés permettant l’instauration d’un comité d’entreprise.
Dans cette entreprise, mieux vaut, en tout cas, compter sur les dividendes pour compléter sa rémunération : participation, intéressement et primes sont des termes inconnus du vocabulaire maison.