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EMPLOIS EN TENSION LES ENTREPRISES S’ORGANISENT

Enquête | publié le : 18.06.2013 | ÉLODIE SARFATI

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EMPLOIS EN TENSION LES ENTREPRISES S’ORGANISENT

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Malgré l’explosion du chômage, des difficultés de recrutement perdurent. Métiers peu attractifs ou mal connus, manque de candidats formés aux compétences requises expliquent en partie ces phénomènes. Pour diminuer les tensions, les secteurs déploient leurs stratégies.

Cent CDI à temps plein proposés dans les services à la personne ? Six mois après la publication de ces offres, une quinzaine de postes restent à pourvoir chez O2, l’un des plus gros acteurs de la branche, qui a finalement opéré 50 % de ses recrutements en interne. Rien d’étonnant : comme les ingénieurs et cadres informatiques, cuisiniers, employés de l’hôtellerie ou aides-soignants, les aides à domicile font partie des métiers jugés difficiles à pourvoir, d’après l’enquête BMO (besoins de main-d’œuvre) de Pôle emploi ; 65 % des projets de recrutement sur ce type de poste seraient problématiques, selon les employeurs interrogés.

À quelques jours de la conférence sociale, les 20 et 21 juin prochains, la question des emplois en tension revient au centre des débats. Ainsi, le Medef a lancé en avril un Observatoire sur les difficultés de recrutement, décliné en fiches métiers pour lesquelles sont renseignés les nombres d’embauches réalisées, difficiles, ou abandonnées. « Nous voulons proposer à nos partenaires un outil qui permette d’établir un diagnostic partagé à partir d’éléments factuels afin de chercher des solutions », explique Benoît Roger-Vasselin, président de la commission relations du travail, emploi et formation du Medef. De son côté, le Conseil d’orientation pour l’emploi a engagé en janvier des travaux sur les « emplois vacants », afin « d’objectiver les débats » sur leur nombre et leurs causes.

Peu de candidats ou des expériences inadaptées

Les embauches abandonnées faute de candidats semblent toutefois relativement peu nombreuses (lire l’interview p. 27) – Pôle emploi les évalue à 116 300 en 2012. Les difficultés de recrutement concerneraient, elles, 40 % des projets d’embauches, d’après l’enquête BMO. Les situations sont effectivement diverses, comme en témoigne Jean-François Auclair, le DRH d’O2 : « En Ile-de-France, nous n’avons pas assez de candidatures ; en province, nous récoltons beaucoup de CV, mais qui ne correspondent pas, qualitativement, à ce que nous recherchons. Dans nos métiers, les prérequis en matière de savoir-être sont importants, notamment pour les métiers de la petite enfance. Du coup, les processus de recrutement durent longtemps et, parfois, le besoin disparaît entre-temps. »

Même problématique pour Florent Buisson, responsable du centre experts pour les métiers de la métallurgie et de la mécanique chez Randstad : « Une entreprise nous a chargés de recruter 160 personnes en soudure, mais c’est extrêmement difficile. Nous n’avons pas de candidats, ou bien ils n’ont pas l’expérience adaptée. » Pourtant, note-t-il, « dans les métiers de la maintenance industrielle, les salaires augmentent bien plus vite que la moyenne. Mais, avec 9 500 personnes formées par l’Éducation nationale et 12 000 départs à la retraite, cela ne suffit pas ».

Formation des demandeurs d’emploi

Alors, pour tenter de mieux faire se rencontrer l’offre et la demande, les employeurs s’organisent et se tournent vers la formation des demandeurs d’emploi. C’est le cas des entreprises du numérique en Bretagne (lire p. 25). Dans la branche du transport de voyageurs, environ 1 000 POE (préparations opérationnelles à l’emploi) ont été financées en 2012 pour aider les autocaristes à recruter des conducteurs. « Le permis D ne se passe qu’à 21 ans. Nous ne pouvons donc pas recruter de jeunes sortant du système scolaire ; nous devons nous adresser à des personnes en deuxième partie de carrière, ou après un accident professionnel », explique Bertrand Barthélemy, vice-président de la commission formation de la fédération (FNTV) et DRH de Transdev Ile-de-France.

Ces stratégies, élaborées à partir des besoins prévisionnels, ont leur efficacité. « Aujourd’hui, nous avons réussi à répondre à tous les besoins des entreprises de l’aéronautique de la région grâce à nos actions de reconversion », témoigne Philippe Almansa, directeur emploi-formation de l’UIMM Midi-Pyrénées (lire p. 23).

Dans la Cosmetic Valley – le pôle de compétitivité de la parfumerie et de la cosmétique, implanté dans le Centre, l’Ile-de-France et la Haute-Normandie –, une étude commandée à l’Apec a permis de mettre en évidence les besoins d’ici à 2015 (1 500 recrutements) et d’identifier les métiers critiques. Entre autres actions, « nous allons organiser deux sessions de formations par an dans les trois ans à venir pour des demandeurs d’emploi qui auront dès le départ un engagement d’embauche de la part de l’entreprise », explique Soline Godet, directrice de l’animation du réseau. À Chartres, une première promotion a permis de former 14 personnes au métier de fabricant cosmétique.

Les actions de GPEC territoriale permettent en effet d’agir à plus long terme, souligne Pierre Lamblin, directeur des études et recherche de l’Apec : « Anticiper la volumétrie des métiers stratégiques évite de laisser se créer les tensions futures, en permettant d’adapter les dispositifs de formation et en donnant à voir, notamment aux jeunes, les vocations de demain. Mais il faut, d’une part, une coopération de tous les acteurs, d’autre part que les entreprises acceptent de se projeter et de partager l’information quant à leurs besoins en compétences, ce qui n’est pas toujours évident. » « Ce qui fait la différence » dans l’action menée par la Cosmetic Valley, c’est bien, selon Soline Godet, « l’implication des chefs d’entreprise dans la démarche, parfois même des responsables d’ateliers qui encadrent les stagiaires ».

Les programmes de reconversion de demandeurs d’emploi nécessitent aussi que les entreprises s’ouvrent à d’autres profils. Car, poursuit Pierre Lamblin, « les tensions de recrutement ne viennent pas seulement d’un manque de compétences disponibles ou d’anticipation. Le comportement des recruteurs est aussi un facteur, lorsqu’ils puisent dans les mêmes viviers, les mêmes écoles. Le clonage peut créer des pénuries artificielles ».

« Voir arriver dans les ateliers de métallurgie un ancien boucher n’est pas évident ! Notre challenge est de faire tomber certains tabous », abonde Jean-Marc Reydet, directeur de l’association d’ingénierie RH Alpège, dans la vallée de l’Arve. Avec ses partenaires du pôle de compétitivité, il a créé en août 2012 un Geiq pour aider les PME locales du décolletage à anticiper leurs besoins, mais aussi à trouver de nouveaux candidats en modifiant leurs habitudes de recrutement. Ici, les techniciens régleurs sont particulièrement recherchés, et les tensions, structurelles. En cause : la concurrence des entreprises suisses, où les salaires sont plus élevés, et surtout le manque d’appétence des jeunes pour les filières mécaniques. C’est pourquoi, en parallèle, le pôle de compétitivité travaille à redorer l’image de ses métiers auprès de ce public (lire l’encadré p. 22).

Déficit d’image et conditions difficiles

Pour Jean-François Auclair aussi, les services à la personne « doivent sortir de l’image des petits boulots, qui pèse sur leur attractivité ». Il propose depuis l’an dernier à 350 de ses salariés de passer un CAP petite enfance, afin de donner des perspectives, de réduire le turnover et de compléter le temps de travail. Car le déficit d’image n’explique pas tout, quand les métiers s’exercent dans des conditions difficiles. Pour réduire le temps partiel subi, le DRH d’O2 joue sur d’autres leviers : « Depuis trois ans, nous essayons de développer la polyvalence en proposant des contrats signés avec deux agences spécialisées. Cela permet notamment d’augmenter le temps de travail des gardes d’enfants – qui peut ne représenter qu’une dizaine d’heures par semaine. »

Un problème pour lequel les transports de voyageurs cherchent aussi des solutions (lire p. 26). Il faut dire qu’il y a urgence à convaincre les candidats : dans le secteur, les plus de 50 ans sont cinq fois plus nombreux que les moins de 30 ans, et 42 % des effectifs devront être renouvelés dans les dix à douze prochaines années.

L’ESSENTIEL

1 Les difficultés de recrutement seront à l’ordre du jour de la prochaine conférence sociale ; elles concerneraient 40 % des projets d’embauches.

2 Pour répondre aux besoins, certaines entreprises anticipent et s’impliquent dans des programmes de reconversion des demandeurs d’emploi.

3 Quelques secteurs, comme le transport de voyageurs, tentent d’agir sur les mauvaises conditions d’emploi, en l’occurrence le temps partiel subi.

VALLÉE DE L’ARVE : L’INDUSTRIE TRAVAILLE SON IMAGE

Dans le pôle de compétitivité Arve Industries, spécialisé dans la mécanique de précision, on fait feu de tout bois pour rendre la filière attractive auprès des jeunes : visites d’entreprises, journées d’information pour les conseillers d’orientation ou encore organisation d’un salon interactif (Smile). Destiné aux élèves de la 4e à la 2nde, son concept est original : « Nous reconstituons une entreprise avec l’ensemble de ses métiers, de l’assistante administrative au Pdg, en passant par le technicien de maintenance, le commercial…, explique Jérôme Akmouche, son responsable. À partir d’un cahier des charges élaboré par les classes, les élèves assistent par groupes de 15 à la fabrication d’un objet. Ils sont accueillis par des binômes composés d’un professionnel et d’un jeune en formation. Chacun joue son rôle, et propose des animations interactives sur son métier. » Objectif : casser les idées reçues. « Pour les élèves, l’industrie c’est l’usine, un univers sale. Mais quand on les interroge à la fin, ils mettent l’accent sur le travail en équipe, l’organisation. »

Au-delà du salon, la mobilisation du pôle de compétitivité semble porter ses fruits, car les filières de formation affichent des taux de remplissage en hausse, se réjouit Jérôme Akmouche : « Certaines classes sont complètes, ce n’était pas arrivé depuis des années. »

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI