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Le droit spécial du travail ne décolle pas à l’aéroport de Bâle-Mulhouse

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 04.06.2013 | C. R.

L’aéroport de Bâle-Mulhouse constitue une enclave dans le territoire français où s’applique, de fait, le droit du travail suisse pour les entreprises de cette nationalité. Remise en cause par la Cour de cassation, la pratique a été réintroduite par un accord entre les deux États en mars 2012.

Tout allait bien dans le meilleur des mondes à l’aéroport de Bâle-Mulhouse, jusqu’à ce que la justice s’en mêle. Sur cette plate-forme à statut binational, mais entièrement située en France, le droit du travail obéissait à un principe de fait : à chaque nationalité d’entreprise sa législation, la française pour les unes, la suisse pour les autres. Patatras le 29 septembre 2010 : la Cour de cassation ordonne l’application du droit français, au motif qu’il est plus favorable à des licenciés français d’une entreprise helvétique qui travaillaient sous contrat suisse.

Un statut particulier

L’arrêt déclenche la riposte “nucléaire”. Peu habitués à faire du sentiment, plusieurs employeurs suisses déclarent qu’ils envisagent sérieusement de quitter l’Euroairport pour se replier dans des zones plus accueillantes à leur conception de la relation avec les salariés, à commencer par l’intérieur de leur pays. La compagnie Farnair (160 personnes) passe d’ailleurs à l’acte.

Du côté des élus français, c’est le branle-bas de combat : pas question de laisser filer les 5200 emplois de la zone. La solution la plus simple serait de graver la coutume dans le marbre de la Convention franco-suisse de 1949, qui donne son statut particulier à cet aéroport binational, mais qui reste très évasive sur le droit social. La procédure est cependant jugée trop lourde – elle suppose une ratification des Parlements.

Un aménagement du droit suisse

La stratégie se concentre sur la rédaction d’un “accord de méthode” entre les deux États. Plus d’un an d’efforts débouche sur sa signature solennelle le 22 mars 2012. Son principe : le droit suisse continue à s’appliquer aux entreprises de cette nationalité, mais avec des aménagements qui le rendent compatible avec la législation française sur le temps de travail, les heures supplémentaires et la procédure de licenciement, de façon à éviter la reproduction de jugements analogues à celui de septembre 2010. Au final, les garanties seraient intactes pour les salariés.

L’affaire est-elle réglée ? Un an après, force est de constater que non. Certes, la menace de délocalisation semble écartée. Sur les 70 entreprises suisses de l’Euroairport, une cinquantaine a approuvé l’accord en le contre-signant. Les autres voudraient la révision de la Convention de 1949, expose Martin Dätwyler, directeur adjoint des CCI de Bâle. « L’accord clarifie la situation, sans atteindre une sécurité juridique à 100 % », estime-t-il. Pour cela, les employeurs attendent un guide pratique d’application qui permettrait de décliner l’accord-cadre par des accords d’entreprise. Ce mode d’emploi fournirait des avenants types aux contrats de travail. Or, il se fait désirer. En attendant, ils font comme avant.

Sans doute les administrations françaises et suisses du Travail, qui planchent sur sa rédaction, ont-elles fort à faire pour traduire en termes juridiquement sécurisés le contenu de l’accord de méthode. Celui-ci introduit pour les salariés français la notion inédite d’« équivalence globale de garanties reposant sur le haut niveau de protection (sociale) et le niveau élevé des salaires ». L’accord prévoit la modulation du temps du travail sans préciser sa durée moyenne (en Suisse, c’est 42 heures), la possibilité d’heures supplémentaires, à condition de les majorer au taux français. Il invite à privilégier « une procédure de résolution amiable » des conflits individuels, via une médiation binationale qu’il reste à constituer. Il cale la procédure de licenciement sur les règles françaises, mais l’exposé des motifs de rupture n’est pas obligatoire – il se fait « à la demande du salarié » – de même que l’indemnisation, qui doit être prévue dans le contrat.

Une valeur juridique relative

Tout ceci fait dire à ses opposants que le texte génère plus d’incertitudes qu’il n’en supprime. « Sa valeur juridique est toute relative. Son contenu ne garantit nullement aux employeurs qu’un jugement en prud’hommes ira dans leur sens. Il prend leur vision pour argent comptant : le haut niveau de protection, il faudra me le prouver. La référence au droit de l’Union européenne pour le contingent d’heures supplémentaires m’interpelle : signifie-t-elle que les entreprises peuvent faire travailler indéfiniment leurs salariés 48 heures par semaine ? », souligne Sabine Gies, secrétaire générale de la CFDT Alsace. « En matière de licenciement, on ne sait plus comment faire. Si les salariés français se trouvaient exclus du CSP [contrat de sécurisation professionnelle, NDLR] comme cela en prend le chemin, on aura tout faux. Nulle part l’accord ne dit qu’il leur retire des droits », proteste Jean-Luc Johanneck, président du Comité de défense des travailleurs frontaliers du Haut-Rhin.

Depuis mars 2012, l’Euroairport a, en outre, perdu 500 emplois, loin de l’objectif de l’accord de maintenir les effectifs. Il n’y a pas de relation de cause à effet, répond Jean-Pierre Lavielle, président de l’Euroairport. « La baisse a une seule origine : la crise du secteur de la maintenance aéronautique. L’accord de méthode, lui, a redonné la confiance des entrepreneurs suisses en notre plate-forme. » Cet état d’esprit, estime-t-il, a débloqué la construction d’une halle de fret qui créera 200 emplois à court terme.

Auteur

  • C. R.