logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

CONTRAT DE GÉNÉRATION ORGANISER LE PASSAGE DE TÉMOIN

Enquête | publié le : 04.06.2013 | HÉLÈNE TRUFFAUT

Image

CONTRAT DE GÉNÉRATION ORGANISER LE PASSAGE DE TÉMOIN

Crédit photo HÉLÈNE TRUFFAUT

Exit les accords seniors, place aux contrats de génération qui font la part belle aux transferts du savoir-faire détenu par les tempes grises. Au vu des premières tentatives en la matière, pas sûr que toutes les entreprises jouent le jeu. Il y a pourtant beaucoup à faire dans le domaine de la coopération intergénérationnelle. Mais cela ne s’improvise pas.

Le dispositif est opérationnel depuis le 17 mars. Issu de la loi n° 2013-185 du 1er mars 2013, le contrat de génération est censé remédier à deux dysfonctionnements majeurs du marché du travail : la précarité et le chômage des jeunes, et le faible taux d’emploi des seniors. La formule incluant la transmission des savoirs et des compétences dont l’organisation, au sein des entreprises, est présentée comme « une nécessité économique et sociale ». Pour celles de plus de 300 salariés, le temps presse. Car, faute d’avoir établi un diagnostic et conclu un accord – ou, à défaut, d’avoir déployé un plan d’action sur le sujet – d’ici au 30 septembre, les entreprises s’exposent à une pénalité financière (lire l’encadré p. 23). La Société générale a d’ailleurs pris les devants en intégrant le contrat de génération dans son accord de GPEC, signé en février (lire p. 23).

Ces nouvelles dispositions, qui se veulent un trait d’union entre les jeunes et leurs aînés, suscitent en tout cas de fortes attentes chez ces derniers. Selon le dernier Baromètre seniors Entreprise & Carrières/Notretemps.com/Groupe Menway (lire Entreprise & Carrières n° 1141), les salariés de 44 ans et plus sont majoritairement enclins à penser que le contrat de génération est une solution pour l’emploi des seniors. Et 67 % des seniors se disent prêts à être candidat au tutorat, le taux d’adhésion passant à plus de 80 % dans les entreprises de 500 à 1 000 collaborateurs.

Une vision collective et globale de l’organisation du travail

Jusqu’ici, pourtant, les employeurs ne se sont dans l’ensemble guère saisis du sujet. Un récent bilan de la Direction générale du travail (DGT) concernant les précédentes négociations sur l’emploi des salariés âgés révèle que, lorsque les missions de tutorat sont prévues dans l’accord ou le plan d’action, elles « ne sont pas toujours accompagnées de formation à la fonction de tuteur et les conditions matérielles – rémunération, heures dédiées… – ne sont pas systématiquement prévues ». Les entreprises ayant « finalement rarement réussi à mettre en place un réel tutorat, souvent par manque de temps ». Du reste, ajoute la DGT, « les accords ou plans d’action en faveur des salariés âgés ne s’inscrivent que trop rarement dans une vision collective et globale de l’organisation du travail » (1).

« Nous avons du mal à nous défaire d’une culture de départ précoce des seniors qui sont vus comme une variable d’ajustement », estime Cécile Cottereau, secrétaire confédérale CFDT en charge des questions de sécurisation des parcours et d’emploi des seniors. Mais il y aura de plus en plus de salariés vieillissant dans l’entreprise et cela va changer la façon d’organiser le travail. »

Avec le relèvement de l’âge de départ à la retraite et l’extinction des préretraites, le taux d’activité des 55-59 ans s’élève, selon l’Insee (2), à 69 % en 2011, contre 53 % en 2000 (celui des 60-64 ans atteint 20 %). Mais seules 41,5 % des personnes âgées de 55 à 64 ans sont en emploi (contre 47,4 % dans l’Union européenne).

Des prévisions peu optimistes

Le contrat de génération, pour lequel les négociations sont engagées dans plusieurs grandes entreprises, contribuera-t-il vraiment à améliorer la situation des seniors ? On peut en douter au vu des résultats du 4e baromètre Défis RH 2013 ANDRH/Inergie/Entreprise & Carrières (lire Entreprise & Carrières n° 1145). Les DRH interrogés ne sont que 18 % à penser que le dispositif va les inciter à garder des seniors en poste. Et 37 % seulement estiment que son objectif de transmission des savoir-faire et des compétences répond aux besoins de leur entreprise. « Le contrat de génération ne sera pas déterminant pour maintenir les seniors dans l’emploi, convient Sylvie Brunet, coprésidente de la commission intergénérationnelle de l’Association nationale des DRH (ANDRH). Ce qui primera, c’est la politique d’emploi et de recrutement de l’entreprise. »

Cécile Cottereau en convient : « Ce ne sera évidemment pas un outil miracle. » Mais elle y voit tout de même plusieurs avantages par rapport aux précédents accords seniors. À commencer par la priorité donnée à la négociation entre partenaires sociaux, même si « en situation de crise et avec des délais de négociation assez courts, le contexte n’est pas simple », reconnaît-elle. En outre, « on n’oppose plus les jeunes et les seniors comme on l’a toujours fait. On pense les deux ensemble. Il y a donc des chances pour que, finalement, on travaille sur tous les âges en entreprise ».

Tel qu’initialement présenté par François Hollande dans ses propositions de campagne, le « tutorat » doit permettre l’accompagnement des jeunes embauchés « par un salarié plus expérimenté, qui sera ainsi maintenu dans l’emploi jusqu’à son départ à la retraite ». Dans les faits, il ne se matérialisera pas forcément sous cette forme.

Dans une foire aux questions du site web du ministère du Travail, il est précisé que le jeune et le senior peuvent ne pas travailler au même endroit. Et que le transfert des compétences est à organiser en fonction des besoins de l’entreprise : « Les savoir-faire du salarié âgé peuvent être transmis à un autre salarié si cela apparaît pertinent. Par ailleurs, le salarié âgé n’est pas automatiquement le référent du jeune. »

Pour Cécile Cottereau, la mayonnaise ne pourra de toute façon prendre qu’à la condition de « casser les schémas tout faits de transmission des compétences que l’on a en tête ».

Une méthodologie à élaborer

Un avis que partage Nicole Raoult, dirigeante de Maturescence (cabinet spécialisé dans le management des âges) : « La transmission est l’un des objectifs continus des entreprise. Mais la méthodologie reste à élaborer. Cela ne se passe pas forcément entre la génération des partants et celle des entrants, considère-t-elle. La modalité du tutorat me semble d’ailleurs désuète, sauf dans certains secteurs comme l’artisanat, le bâtiment ou encore l’aéronautique, où il y a un tour de main opérationnel, un savoir-faire issu de l’expérience. » Comme par exemple chez Snecma, filiale de Safran, où le transfert de compétences techniques se pratique à grande échelle (lire p. 26).

Mais ce n’est pas le cas dans la majorité des organisations où, « du fait des processus informatisés, du respect des normes, etc., on a fait la chasse à tous les savoir-faire informels », expose la consultante.

Favoriser le mentorat

Certaines entreprises ont, du coup, intérêt à favoriser le mentorat. Il peut s’agir d’un parrain, d’un coach interne, d’un référent qui va aider le jeune collaborateur à s’approprier les codes et les valeurs maison, à gagner du temps, à se constituer un réseau interne ou tout simplement à prendre du recul.

« Dans les grandes structures, le référent est un très bon outil, assure Sylvie Brunet, de l’ANDRH. Les plus jeunes ont besoin de gens chevronnés sur des aspects comportementaux ou relationnels. Comment, par exemple, fait-on face à un client mécontent ? Comment gère-t-on un conflit ou les relations avec les collègues ? Cela remet l’accent sur ce que l’on n’apprend pas à l’école, notamment dans le management. »

Pour exercer ces missions d’accompagnement, faut-il pour autant atteindre la “seniorité” – notion polysémique qui renvoie, selon les cas, à différentes étapes de la seconde partie de carrière, de 45 ans jusqu’à l’approche de la retraite ? Poser la question, c’est y répondre. « Lorsque le tutorat est proposé, ce sont souvent les générations intermédiaires qui se manifestent », observe d’ailleurs Cécile Cottereau.

« On étiquette les gens “seniors”, mais ça ne veut pas dire grand-chose, et certainement pas que l’on sache tutorer, admet Sylvie Brunet. Les entreprises le savent. Mais il faut aujourd’hui trouver des dispositifs innovants pour accompagner le fait qu’on ne part plus en retraite à 55 ans. Et en profiter pour recréer du lien intergénérationnel. »

Pour Rodolphe Delacroix (3), consultant au sein du cabinet de conseil Towers Watson, il est aussi nécessaire de sensibiliser les managers. « Ils continuent de penser qu’avoir un senior dans leur équipe est un poids mort. Ils doivent comprendre qu’il faut de la diversité dans les équipes. On touche là au cœur du dispositif », conclut-il.

(1) Document présenté au Conseil d’orientation des retraites, le 21 novembre 2012, lire Entreprise & Carrières n° 1121.

(2) Emploi et salaires, éditions 2013, Insee Références.

(3) Rodolphe Delacroix a publié, en 2012, Si Senior ! Travailler plus longtemps en entreprise, c’est possible, éditions Lignes de repères.

L’ESSENTIEL

1 Le contrat de génération est opérationnel depuis le 17 mars et, dans les entreprises de plus de 300 salariés, les premiers accords sont sur la table des négociations. Mais il faut aller vite.

2 Si les entreprises ne partent pas de zéro, le tutorat n’a guère été utilisé dans les précédents accords seniors. Or, la transmission des savoir-faire est au cœur des nouvelles dispositions.

3 Le succès de l’opération repose sur la méthode. Un processus déjà bien rodé dans de grandes entreprises industrielles. Cible privilégiée, les seniors ne sont cependant pas les seuls concernés.

L’ESSENTIEL DU CONTRAT DE GÉNÉRATION

Il s’applique aux employeurs de droit privé, ainsi qu’aux Epic de 300 salariés et plus, mais les conditions de sa mise en œuvre diffèrent selon la taille de l’entreprise.

Il permet à celles de moins de 300 salariés de bénéficier d’une aide de 4 000 euros par an pendant trois ans, si elles embauchent un jeune de moins de 26 ans en CDI et maintiennent dans l’emploi un senior de 57 ans (avec des restrictions sur les licenciements).

Pour celles de 50 à 299 salariés, l’aide est conditionnée à l’établissement d’un diagnostic sur la situation des jeunes et des seniors, puis à la négociation d’un accord collectif ou, à défaut, à l’établissement d’un plan d’action. Aucune date limite n’est prévue pour ces entreprises qui, en l’absence d’accord ou de plan, pourront être couvertes par un accord de branche.

Les entreprises de plus de 300 salariés ne bénéficient d’aucune aide, mais sont tenues, après établissement d’un diagnostic, de négocier un accord ou, à défaut, de déployer un plan d’action avant le 30 septembre 2013. Faute de quoi elles s’exposent à une pénalité qui peut aller jusqu’à 1 % de leur masse salariale ou 10 % des allègements dont elles bénéficient.

Le décret n° 2013-222 du 15 mars 2013 relatif au contrat de génération, publié au Journal officiel du 16 mars 2013, définit le contenu des diagnostics, des accords collectifs et plans d’action, le montant des pénalités et les modalités d’attribution de l’aide.

Un arrêté du 26 avril 2013 précise, notamment, le contenu de la fiche descriptive des accords collectifs et plans d’action et du document d’évaluation relatifs au contrat de génération.

Le ministère du Travail a ouvert, en mars, un site dédié : <www.contrat-generation.gouv.fr>.

Auteur

  • HÉLÈNE TRUFFAUT