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Le Byod en manque de codes

Pratiques | publié le : 30.04.2013 | JOSÉ GARCIA LOPEZ

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Le Byod en manque de codes

Crédit photo JOSÉ GARCIA LOPEZ

L’utilisation de terminaux mobiles personnels dans le cadre professionnel (Byod pour Bring your own device) gagne du terrain. Cette pratique comporte certains risques pour les collaborateurs et pour les employeurs. Faute d’un cadre juridique précis, ces derniers ont tout intérêt à fixer eux-mêmes les règles du jeu.

C’est une lame de fond pour certains, une vaguelette pour les autres. En 2012, la moitié des salariés utilisant des terminaux mobiles intelligents dans le cadre professionnel avaient recours à leur matériel personnel. Et 71 % des collaborateurs utilisaient aussi à titre professionnel des applications non mises à disposition par leur entreprise. C’est du moins ce que révèle une étude (1) de Markess international selon laquelle, en revanche, moins de 20 % des décideurs RH voient dans les usages mobiles des projets innovants à mener d’ici à 2014. Une attitude en décalage avec l’énorme succès grand public des smartphones et tablettes numériques. « Les digital natives ne voient pas pourquoi, une fois dans l’entreprise, ils ne pourraient pas travailler avec des outils aussi performants que les leurs », constate Charles-Henri Besseyre des Horts, professeur à HEC.

Moyen de fidélisation

Certaines entreprises l’ont bien compris et voient dans le Byod (Bring your own de-vice) (2) un moyen d’attirer et de retenir les talents. Tel Cisco, qui permet aujourd’hui à ses collaborateurs d’utiliser au bureau leur équipement personnel, téléphone ou tablette. Une démarche entamée depuis un peu plus de trois ans. Auparavant, l’équipementier en télécommunications fournissait lui-même à ses cols blancs (soit la quasi-totalité des 700 salariés en France) des appareils qui étaient rarement au goût de cette population friande de modèles dernier cri. Selon Caroline Jessen, DRH de Cisco France, le Byod est un moyen de fidélisation qui facilite l’engagement des salariés : « Permettre aux collaborateurs d’être connectés par leurs propres moyens, c’est contribuer à leur bien-être et à leur efficacité. »

Proservia, entreprise de services du numérique (ESN), filiale du groupe Manpower, préfère mettre à la disposition de ses salariés un catalogue d’outils professionnels pouvant être utilisés à des fins personnelles. C’est le Choose your own device (Cyod), variante du Byod. Stéphane Clément, directeur général développement, reconnaît que, du point de vue de la sécurité des données, le Byod est un casse-tête pour les directions informatiques. Mais il part du principe qu’un employé satisfait travaillera mieux : « Le Byod permet de favoriser la créativité des collaborateurs. Plus libres, ils deviennent plus disponibles pour l’entreprise. »

Cependant, le procédé s’entend donnant-donnant. Si l’employeur accepte que le salarié utilise son terminal à des fins personnelles pendant ses heures de travail, le collaborateur doit pouvoir rester joignable après. Ce qui pose la question du droit à la déconnexion face à d’éventuelles dérives : surcharge de travail, dépassement des horaires légaux.

Le Byod, un télétravail qui ne dit pas son nom ? La loi Warsmann du 22 mars 2012, qui apporte des précisions sur le travail à distance, ne mentionne pas le concept. Et plusieurs questions restent à ce jour sans réponse : qui est responsable en cas de perte de données, de vol ou de casse du matériel ? L’employeur doit-il participer financièrement ?

Absence de cadre juridique précis

« Le Byod soulève une nouvelle problématique juridique sur laquelle la Cour de cassation s’est déjà exprimée : l’atteinte à la vie privée lors du contrôle des données dans le matériel de l’employé [lire ci-contre, NDLR] », signale Alexandra Stocki, avocate associée chez Bird & Bird. Pour le reste, en l’absence de cadre juridique précis, les entreprises ont tout intérêt à fixer elles-mêmes les règles du jeu. « La charte informatique annexée au règlement intérieur reste le meilleur outil pour encadrer l’utilisation des terminaux personnels », conseille-t-elle.

Pour Stéphane Clément, « l’employeur doit préalablement informer les représentants du personnel », car un programme de Byod peut aller jusqu’à la modification des contrats de travail. « Certains de nos clients établissent des avenants où sont recensés les terminaux que le collaborateur met au service de l’entreprise », témoigne Yael Malka, manager au sein du cabinet de conseil ConvictionsRH.

Sensibiliser et communiquer sur les risques

Mais quelles bornes fixer au Byod, tant pour les salariés que pour les employeurs ? « Nous voulons définir des bonnes pratiques sans brimer les utilisateurs », assure François Francon. Le DRH du groupe immobilier Akerys (1 600 salariés) souhaite faire évoluer sa charte informatique pour prendre en compte une pratique tolérée depuis plusieurs années dans son entreprise. Il s’appuie sur Sandrine Estrade, salariée du service RH et correspondante informatique et libertés (CIL) de l’entreprise. « Nous trouvons auprès de la Cnil les réponses à nos interrogations sur l’utilisation de logiciels ou encore la protection des données personnelles », indique-t-il. Pour la CIL, il s’agit d’abord de sensibiliser les salariés et de communiquer sur les risques liés aux pertes ou au piratage des données de l’entreprise : « Le travail de fond consiste à responsabiliser les salariés, indique-t-elle. Notre objectif est aussi d’introduire une culture de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Mais limiter le temps de travail à l’extérieur de l’entreprise est délicat. » Raison pour laquelle l’employeur a entamé des discussions avec les instances représentatives du personnel en vue d’aboutir à un accord collectif sur ce thème.

Cisco n’envisage pas d’intervenir de la sorte. Caroline Jessen mise beaucoup plus sur l’autonomie des utilisateurs : « Nos collaborateurs gèrent eux-mêmes leur temps, explique-t-elle. Nous sommes néanmoins vigilants sur ce point et sensibilisons les managers au respect des frontières entre vie privée et vie professionnelle. Des comportements d’autorégulation émergent. »

Cela peut-il suffire à prévenir les risques psychosociaux liés à « l’hyperconnectivité » ? François Silva, professeur associé au Cnam, considère qu’il faut aller beaucoup plus loin en matière de contrôle du Byod : « Un plan de suivi s’avère nécessaire pour mesurer la mise en pratique des chartes et des actions de sensibilisation. On peut ainsi évaluer le nombre de mails envoyés, la fréquence ou les horaires des envois et agir en conséquence pour limiter les dérives. » Des solutions techniques existent d’ailleurs pour bloquer l’accès aux mails professionnels en soirée ou le week-end.

Une chose est sûre : « Une entreprise ne peut pas imposer le Byod sans l’accord de l’employé », rappelle Yael Malka. Une organisation peut-elle a contrario en interdire la pratique ? Ce serait se priver d’un levier pour le télétravail, prévient la consultante. Et ce, sans garantie de mettre fin à des usages non déclarés. Plutôt que de subir le raz-de-marée annoncé, mieux vaut donc l’anticiper.

(1) “Solutions en réponse aux nouveaux enjeux RH : réseaux sociaux, applications mobiles, dématérialisation… France, 2012-2014”. Étude menée auprès de 100 décideurs en charge de projets RH et de 110 cadres managers et collaborateurs.

(2) Littéralement “apportez votre propre appareil”. Depuis le 24 mars 2013, la Commission générale de terminologie et de néologie préconise l’usage de l’acronyme Avec pour « Apportez votre équipement personnel de communication ».

L’ESSENTIEL

1 Sous la pression des nouvelles générations de salariés, le Byod s’installe dans les entreprises, mais rares sont les décideurs RH à prendre la mesure du phénomène.

2 Selon les entreprises ayant adhéré au concept, l’utilisation de terminaux personnels permet d’améliorer la satisfaction et l’efficacité des salariés.

3 Au-delà des problèmes de sécurité informatique, il appartient aux responsables RH d’encadrer les pratiques pour limiter les autres risques.

Le contrôle des données se complique

Les rares avis des juges sur le Byod concernent le respect de la vie privée du salarié. Par deux fois, la chambre sociale de la Cour de cassation a examiné des cas de contrôle d’informations contenues dans le matériel appartenant au salarié et utilisé à des fins professionnelles. Elle applique la même jurisprudence que celle qui prévaut en matière de contrôle des fichiers informatiques personnels, lesquels doivent être clairement identifiés. Mais elle distingue les appareils personnels selon qu’ils sont reliés ou non au système d’information de l’entreprise. Ainsi, dans un arrêt du 23 mai 2012, la Cour a décidé qu’un employeur ne pouvait vérifier le contenu du dictaphone personnel d’une salariée en son absence ou sans l’avoir appelée. Le 12 février dernier, les juges ont, en revanche, décidé qu’un employeur pouvait contrôler le contenu d’une clé USB personnelle si elle était connectée à un ordinateur professionnel, en l’absence même du salarié et sans l’avoir prévenu.

Auteur

  • JOSÉ GARCIA LOPEZ