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Harcèlement moral : l’effet “Harry Potter”

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 23.04.2013 |

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Harcèlement moral : l’effet “Harry Potter”

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Le droit trouve des racines dans la magie que connaissaient les sociétés archaïques (Georges Gurvitch, La Magie et le droit, Dalloz 2004). Pour Gurvitch, la notion même de droit individuel trouve sa source dans la magie, fondée sur le détournement d’un pouvoir collectif par l’individu à son profit. François Terré, qui préface l’ouvrage, voit dans la magie un prélude à la fraude et à l’abus de droit.

Dans une affaire soumise à la Cour de cassation (25 septembre 2012, pourvoi n° 11-18352), on peut se demander si, avec l’allégation de “harcèlement moral”, le droit contemporain ne renoue pas avec son passé archaïque, en accordant à celui qui s’en prévaut une véritable immunité contre le licenciement, lui attribuant les effets d’une formule magique dont on ne croyait capable, dans les temps récents, qu’Harry Potter.

Par lettre du 16 janvier 2008, la salariée d’une entreprise est convoquée à un entretien préalable au licenciement. La veille de l’entretien, elle se plaint de harcèlement moral auprès des délégués du personnel. La direction de l’entreprise en est immédiatement informée et, le jour de l’entretien, il lui est demandé de présenter les éléments de fait laissant supposer le harcèlement moral. Il semble qu’elle en ait été incapable. On voit donc ici que le harcèlement moral n’était invoqué que comme une formule magique.

Le 11 février 2008, l’entreprise lui notifie son licenciement pour « insuffisance professionnelle ». Les griefs sont précis et articulés à des e-mails. L’auteur de la lettre a voulu bien faire, trop peut-être. À la fin de la lettre, il évoque cette plainte pour harcèlement.

Contestant son licenciement, la salariée saisit le conseil de prud’hommes qui rejette sa demande de nullité de licenciement. La cour d’appel de Versailles l’écarte également. Tout d’abord parce que la relation des faits de harcèlement ne constituait pas un grief. Ensuite parce que ces faits n’avaient pas été pris en considération pour la licencier, sachant qu’il n’était pas établi qu’elle ait effectivement « relaté des faits » à la date d’engagement de la procédure. Enfin, parce que les faits de harcèlement soit n’étaient pas établis soit étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L’arrêt semblait inattaquable. Néanmoins, la Cour de cassation, au visa de l’article L. 1152-2 du Code du travail, dont elle déduit depuis 2009 que « le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis », va casser la décision.

Elle décide que le licenciement est nul : « Le grief énoncé dans la lettre de licenciement tiré de la relation d’agissements de harcèlement moral par la salariée dont la mauvaise foi n’était pas alléguée emportait à lui seul la nullité de plein droit du licenciement. »

Est-ce à dire que la simple allégation de harcèlement moral, étayée par aucun fait lors de la procédure de licenciement et évoquée dans la lettre, suffit à rendre nul le licenciement ?

Si tel est le cas, nous sommes bien en présence des effets d’une formule magique.

Pour notre part, nous pensons que la lettre de licenciement pouvait être jugée ambiguë. En effet, la portée du paragraphe sur le harcèlement n’était pas claire. S’agissait-il d’un élément cité à titre de contexte ou d’un grief ?

En faveur de la première thèse, on constate que l’évocation du harcèlement venait après le paragraphe marquant la volonté de licencier. En faveur de la seconde, on constate qu’après le paragraphe consacré au harcèlement moral, l’entreprise avait à nouveau marqué sa volonté de licencier.

Face à cette ambiguïté, la Cour de cassation a jugé que c’était un « grief » du licenciement. Conformément à sa jurisprudence, elle a décidé que la dénonciation d’actes de harcèlement moral ne pouvait justifier le licenciement d’un salarié que si cette dénonciation était faite de mauvaise foi. Dès lors que la mauvaise foi n’était pas alléguée, le licenciement était nul.

Aux auteurs de lettres de licenciement qui n’ont pas fréquenté “Poudlard-School”, sachez que certaines formules ne se prononcent pas impunément.

Laurent Carrié, avocat associé, et Ouassan Boukrim, avocate au Cabinet DDG, membres d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.