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Le programme peine à séduire entreprises et salariés français

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 09.04.2013 | STÉPHANIE MAURICE

Le don sur salaire existe depuis trois ans en France, mais peu d’entreprises entrent dans le dispositif, et le taux de participation en interne oscille entre 15 % et 25 %. La manne potentielle espérée par les associations n’est pas encore au rendez-vous.

Une nouvelle recrue et une bonne nouvelle pour l’Arrondi solidaire : La Française des jeux (1 200 salariés) vient d’adhérer à ce concept de « générosité par le bulletin de salaire », comme l’appelle Olivier Cueille, fondateur de Microdon, initiateur français de cette nouvelle forme de charité. Chaque mois, les salariés volontaires donnent à une association les arrondis du net à payer de leur bulletin de paie, voire plus (jusqu’à 10 euros) s’ils le souhaitent.

Succès dans les pays anglo-saxons

La Française des jeux suit les traces de quelques précurseurs, comme Eutelsat, opérateur satellite, ou Soparind Bongrain, groupe d’agroalimentaire (Valrhona, Elle & Vire, Coraya, etc.). Car l’Arrondi solidaire ne rencontre pas le succès espéré en France, contrairement aux pays anglo-saxons. « En Grande-Bretagne, le payroll giving existe depuis trente ans, concerne 780 000 salariés et rapporte 100 millions de livres sterling par an », note Olivier Cueille.

Microdon reste discret sur le nombre d’entreprises adhérentes dans l’Hexagone, mais estime le nombre de salariés potentiellement concernés à 20 000. C’est peu. Pourtant, il a dans ses soutiens un acteur majeur, qui lui assure une forte visibilité auprès des grands comptes : ADP, spécialiste de la gestion externalisée des services de paie, qui propose cette offre de service RH à ses clients, « sans aucun bénéfice pour nous », précise Jean-Luc Barbier, directeur général en charge de la relation client.

Enthousiasme sans suite

L’idée avait mûri en 2008, après une rencontre avec Jacques Attali, président de PlaNet Finance, une association de microcrédit à l’international. « Générer de l’emploi grâce au don alors qu’on entrait dans une crise nous paraissait pertinent », se souvient Jean-Luc Barbier. Il réunit lors d’un petit déjeuner les DRH qu’il connaît. Enthousiasme immédiat… resté sans suite, ou presque, même si ADP a montré l’exemple en proposant l’Arrondi solidaire à ses 2 300 collaborateurs. Selon Olivier Cueille, « quand les salaires n’ont pas augmenté depuis deux ans, que des licenciements sont annoncés dans une filiale, ce n’est pas le bon moment. »

ADP avait restreint volontairement le nombre d’associations bénéficiaires : elles ne sont que deux, PlaNet Finance et l’Adie, qui finance des microprojets en France. « Notre choix était de favoriser l’emploi. Mais il y a, en France, des milliers d’associations, et chacun veut soutenir la sienne. C’était un peu trop restrictif », analyse Jean-Luc Barbier. Nicolas Hamel, directeur des partenariats de l’Adie, salue le courage d’ADP : « Ils auraient eu un plus grand nombre d’adhésions avec le Téléthon ou l’Unicef. » Mais le chômeur ne suscite pas la même empathie qu’un enfant malade. Une réflexion est en cours pour élargir le spectre : la Française des jeux, par exemple, a sélectionné d’autres associations, déjà soutenues par sa fondation.

Une autre difficulté se pose. « Nous avons déchanté sur le taux de participation, compris entre 15 % et 25 % selon les entreprises », reconnaît Olivier Cueille. À ADP, 26 % des salariés sont donateurs, avec une moyenne de 17,56 euros annuels chacun. L’entreprise double la mise, ce qui fait un total de 22 000 euros collectés par an. Une goutte d’eau par rapport au budget annuel de 30 millions d’euros de l’Adie.

Toucher un nouveau public

Microdon espérait toucher un nouveau public, mais « ceux qui donnent sur bulletin de salaire sont ceux qui donnent déjà », constate Olivier Cueille. Et la mentalité française admet mal cette intrusion de l’entreprise dans la vie privée. « Il y a un côté jardin secret : “Je donne à qui je veux et c’est mon problème” », note Jean-Luc Barbier.

La DRH de Soparind-Bongrain, Anne Dekowski, adoucit le constat, plaidant d’abord la lenteur de la montée en charge dans cette « fédération de PME » qui compte 8000 salariés et qui s’est lancée dans le dispositif en novembre 2011 : « Il a fallu un an pour faire le tour de nos filiales. » Fin décembre 2012, le taux d’adhésion était de 7 %, fin mars, il atteignait 10 %. Elle constate ensuite une adhésion de la génération Y, qui se démarque du profil traditionnel des donneurs, généralement des seniors. « L’Arrondi solidaire fait partie intégrante de notre livret d’accueil et nous avons un excellent retour de nos nouveaux embauchés, surtout les jeunes. »

Une forme de cooptation

Pour développer le dispositif, Soparind-Bongrain cultive la proximité en demandant aux micro-entrepreneurs bénéficiaires de venir témoigner. « C’est en concrétisant les dons qu’on aura plus d’adhésions », assure Anne Dekowski. Une démarche dont Nicolas Hamel apprécie les bénéfices pour l’Adie : « C’est pour nous un vecteur de visibilité très forte, avec une forme de cooptation de l’entreprise concernée. » Même s’il voudrait que « les entreprises misent un peu plus sur les associations », sans attendre l’adhésion de leurs salariés pour créer un effet d’entraînement et augmenter les montants récoltés.

Car l’Arrondi solidaire est aussi un bon vecteur de communication pour les sociétés. « Les agences de notation apprécient cette mise en avant », explique Anne Dekowski. Le risque ? Voir certains employeurs en profiter pour faire valoir leur responsabilité sociétale d’entreprise (RSE), sans s’investir réellement. Mais, au-delà de ces écueils, l’Arrondi solidaire reste une bonne idée, de l’avis unanime des acteurs. Et Olivier Cueille de se consoler : « Notre feuille de route n’est pas sur six mois, mais sur dix ans. »

Auteur

  • STÉPHANIE MAURICE