logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

COMMENT NÉGOCIER SUR LA CARRIÈRE DES SYNDICALISTES

Enquête | publié le : 09.04.2013 | EMMANUEL FRANCK

Image

COMMENT NÉGOCIER SUR LA CARRIÈRE DES SYNDICALISTES

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

Alors que de plus en plus de sujets sont soumis à la négociation d’entreprise, les employeurs ont l’obligation de signer un accord sur la carrière de leurs salariés ayant un mandat de représentant du personnel. Dans les rares entreprises qui parviennent à adapter les objectifs de ces derniers et à les évaluer, les syndicats estiment que l’image du mandatement s’améliore et qu’ils enregistrent davantage d’adhésions.

Le syndicalisme ou la carrière. Afin que les mandatés n’aient plus à choisir, la loi du 20 août 2008 réformant la démocratie sociale a enrichi le Code du travail d’une nouvelle obligation pour les entreprises. Ces dernières doivent déterminer par accord les mesures à mettre en œuvre pour « concilier la vie professionnelle avec la carrière syndicale » de leurs mandatés, et pour « prendre en compte l’expérience acquise » dans l’exercice du mandat (L. 2141-5). Ce n’est certes pas la mesure la plus emblématique de cette loi, ni la plus respectée par les entreprises, mais les syndicats commencent à y tenir, pour diverses raisons : en finir avec les discriminations, faire monter leurs négociateurs en compétences (dans un contexte où de plus en plus de sujets sont soumis à la négociation d’entreprise), attirer de nouveaux militants afin de rajeunir les effectifs.

Expérience qualifiante

« Si l’on prend le texte au pied de la lettre, explique François Clerc, en charge des questions de discrimination à la CGT, les entreprises ont l’obligation de signer un accord pour prendre en compte l’expérience des mandatés, considérée comme qualifiante. » Les accords de dialogue social signés dans les entreprises comportent souvent désormais un chapitre sur la carrière des mandatés, mais ils vont rarement aussi loin que ce que préconise François Clerc. Les signataires créent ou officialisent un entretien de prise de mandat au cours duquel il est notamment question de l’adaptation du poste ; fixent les règles de l’entretien d’évaluation (qui ne doit concerner que l’activité professionnelle) et décrivent la procédure de fin de mandat. Dans les grandes entreprises, les accords distinguent les mandats lourds (la moitié ou les deux tiers du temps consacré au mandat) et les légers.

Plus rarement, les accords de dialogue social traitent de validation (ou de “valorisation”) de l’expérience acquise dans le mandat. Encore plus rarement, cette validation est confiée à un organisme extérieur. C’est le « nec plus ultra », selon François Clerc. Ainsi, une quinzaine d’entreprises (Axa, Banque postale, LCL, Veolia Environnement, Veolia Propreté, PSA, BNP, Oséo, BPCE, Danone, Orange, Verallia [Saint-Gobain], Total, DCNS), mais aussi une municipalité (Suresnes, dans les Hauts-de-Seine) et la branche de la banque ont confié à Sciences Po Paris, depuis trois ans, le soin de certifier 338 de leurs syndicalistes à l’issue d’une VAE complétée d’une courte formation de quinze jours. L’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence a créé un dispositif similaire en partenariat avec la CFE-CGC. À noter que Casino propose à certains de ses mandatés un parcours de certification tutoré à distance “management et communication” à l’Essec.

L’état d’esprit dans lequel les directions appliquent ces accords va de l’offensif au très défensif. LCL fait de gros efforts pour adapter les objectifs, notamment de ses commerciaux, au mandat qu’ils occupent, ouvre à un public relativement large le parcours de certification de Sciences Po, et valorise (officieusement du moins) cette certification par une progression (lire p. 24). Les syndicats constatent que l’image du mandatement s’en trouve améliorée et disent enregistrer des adhésions. Dassault Aviation est au contraire beaucoup plus défensif et souhaite avant tout se prémunir contre les procès en discrimination. L’accès à sa VAE syndicale interne est très restreint, et l’un de ses syndicats préfère même ne pas en profiter pour éviter tout soupçon de collusion (lire p. 26). Bayer Santé a signé un accord ambitieux en novembre dernier, qui comporte un engagement de progression après la VAE (lire p. 25). Il est toutefois trop tôt pour en tirer un bilan.

Adapter le poste au mandat

La principale difficulté à laquelle se heurtent les syndicats et les directions, nonobstant la bonne volonté de ces dernières, réside dans l’adaptation du poste au mandat ; difficulté encore augmentée lorsque le mandaté perçoit un salaire variable sur objectifs. Les objectifs du mandaté ont beau être officiellement diminués, voire supprimés pour les mandats lourds, la business unit du mandaté n’en conserve pas moins des objectifs inchangés. Ce qui explique que les managers ne voient que des inconvénients au fait d’avoir un mandaté dans leur équipe. C’est le problème que rencontre le groupe d’édition Place des éditeurs (lire p. 26). LCL s’en tire mieux, mais il faut dire que, dans cette grande entreprise, les objectifs sont plus facilement redistribués. Selon un syndicaliste de cette banque, l’idéal serait de disposer d’un budget dédié pour combler le delta entre les objectifs prévisionnels et réalisables.

À l’arrivée, les efforts, petits et grands, des entreprises en direction de leur mandatés ont-ils une incidence sur la syndicalisation, sur la qualité de la négociation et sur la résorption des discriminations ? Ponctuellement oui, comme à LCL, où deux syndicats témoignent qu’ils attirent davantage d’adhérents. Ou dans les entreprises inscrites dans le parcours qualifiant de Sciences Po, qui estiment que leurs négociateurs sont plus professionnels (lire l’interview de Jean-Dominique Simonpoli p. 27). Les augmentations automatiques de salaires ou de primes sont en général appréciées parce qu’elles réduisent les écarts de rémunérations, mais sans traiter les causes.

Toutefois, au niveau global, trop peu d’entreprises signent des accords de dialogue social (9 % l’ont fait en 2011) et prennent à bras-le-corps la conciliation mandat-travail et la validation de l’expérience syndicale pour que cela ait des conséquences mesurables. Les entreprises auraient quand même intérêt à se montrer attentives à cette disposition un peu oubliée de la loi sur la démocratie sociale. « Le combat à venir portera sur l’expérience acquise en cours de mandat », prévient François Clerc. Lui-même peut se targuer d’avoir réussi à obtenir de la direction de PSA, son employeur, qu’elle multiplie son salaire par 2,3, après qu’il a passé la certification de Science Po en novembre 2011. Il espère que son exemple fera tache d’huile. « J’ai menacé d’aller en justice, j’ai été promu cadre », se réjouit cet ex-technicien, dont la méthode pour démontrer les discriminations obtient des succès devant le juge, « ce qui incite de plus en plus de syndicalistes à suivre cette voie ».

Deuxième argument, la signature d’un accord est le seul moyen pour une direction de s’extraire de cette contradiction qui lui interdit de dispenser un élu de son entretien d’évaluation, au cours duquel elle n’a pas non plus le droit de parler de son activité syndicale (Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 08-40988). De quoi inspirer le tout récent Observatoire des discriminations syndicales et faire monter la pression sur les DRH.

L’ESSENTIEL

1 Afin que la négociation collective d’entreprise soit efficace, les directions ont besoin d’interlocuteurs syndicaux de plus en plus compétents. De leur côté, les syndicats ont besoin d’attirer de nouveaux militants.

2 Pour ces raisons, les syndicats et les directions ont un intérêt commun à encadrer la carrière professionnelle des mandatés et à valoriser les compétences acquises dans ce cadre.

3 Les deux difficultés principales sont d’adapter les objectifs du mandaté et de créer un référentiel de compétences reconnu dans l’entreprise et à l’extérieur.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK