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« Pour pérenniser les démarches de RSE, Il faut y associer les syndicats »

Enjeux | publié le : 09.04.2013 | PAULINE RABILLOUX

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« Pour pérenniser les démarches de RSE, Il faut y associer les syndicats »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Les démarches de responsabilité sociale sont laissées à la bonne volonté des entreprises. Leur utilisation à des fins de marketing tend à en réduire la portée. Associer les syndicats à la RSE permettrait de l’inclure dans un nouveau contrat social d’entreprise.

E & C : Pourquoi vous semble-t-il nécessaire d’institutionnaliser la RSE ?

Marc Morin : Le concept de responsabilité sociale des entreprises se développe surtout à partir des années 1980, avec l’accélération de la mondialisation de l’économie et une prise de conscience de son impact dans la durée. La RSE résulte de demandes de la société civile – associations diverses, ONG… –, d’une meilleure prise en compte des impacts environnementaux, mais aussi économiques et sociaux d’une activité productive sur les salariés, les citoyens ou les consommateurs. Le paradoxe de la RSE est son extrême ambition, puisqu’elle concerne potentiellement tous les hommes, dans tous les aspects de leur vie et de leur activité, et son caractère complètement discrétionnaire puisque, à défaut de régulation provenant de sources extérieures aux marchés, il appartient aux seules entreprises de l’intégrer volontairement… ou pas. La RSE fait partie de ces soft laws non contraignantes, optionnelles et, partant, susceptibles de varier selon l’interprétation des entreprises et surtout selon leurs intérêts conjoncturels. D’où la tentation d’en faire un outil de marketing, souvent davantage destiné à soigner son image vis-à-vis de ses parties prenantes qu’à s’engager réellement. Bref, la RSE est toujours menacée de n’être qu’une figure de discours à la limite de l’incantation. Lui donner aujourd’hui une réalité revient à essayer de l’institutionnaliser pour en confirmer la nécessité morale et légale.

E & C : Par quel moyen institutionnaliser la RSE ?

M. M. : Institutionnaliser, c’est formaliser et pérenniser en encastrant de nouvelles conventions de comportement et de décision dans les organisations d’une culture donnée. Cela commence par le partage des valeurs, ici des valeurs de durabilité, donc d’équité, d’éthique, de responsabilité. Elles doivent être enseignées à l’école et à l’université, notamment dans les écoles qui forment les futurs managers. La définition rigoureuse et l’organisation des pratiques sont aussi nécessaires. La norme ISO 26000, initiée en 2001 par des organisations de consommateurs, présente par exemple des lignes directrices pour tout type d’organisation cherchant à assumer les impacts de ses décisions et à en rendre compte. Elle définit un objectif : « Contribuer au développement durable, y compris de la santé et du bien-être de la société » et des moyens : « Prise en compte des attentes des parties prenantes par l’écoute et le dialogue, respect des lois en vigueur et des normes internationales, intégration à l’ensemble de l’organisation et mise en œuvre dans toutes les relations de celles-ci. »

Au-delà de la bonne volonté fluctuante des entreprises, les relais concrets qui permettraient de pérenniser la démarche de RSE font toutefois défaut. Nous suggérons donc d’y associer les syndicats, puisqu’ils sont les premières parties prenantes au sein même de l’entreprise. De plus, du fait de leur organisation – sections, fédérations, unions départementales… –, ils sont sur le terrain à l’interface du politique, de l’économique et du social, donc à même de drainer les débats sociaux, environnementaux et sociétaux dans le cadre des négociations d’entreprise et de divers rapprochements avec les parties prenantes. Les syndicalistes sont à la fois salariés, riverains, consommateurs, acteurs politiques, spécialistes de la négociation. La plupart des confédérations françaises entretiennent des contacts avec les collectivités territoriales et des associations locales, régionales ou nationales, et nombre de syndicats comptent déjà en leur sein des associations de consommateurs – FO conso, créée en 1974, CGT consommateur, en 1979, Asseco-CFDT, en 1981…

E & C : Comment cela pourrait-il se traduire concrètement ?

M. M. : Nous n’avons pas en France une tradition de négociation qui pourrait en faire une pratique courante et coutumière comme en Allemagne ou dans les pays nordiques, et c’est dommage. On oublie trop souvent dans l’Hexagone que, si la négociation a un coût pour l’entreprise, dans la mesure où elle consiste à accorder des avantages, notamment salariaux, que celle-ci n’aurait pas donnés spontanément, elle a aussi de nombreux avantages : elle crée un contrat qui contribue à améliorer le climat social, la motivation, la productivité, la compétitivité par la qualité… Elle permet aussi de canaliser les revendications salariales dans un débat avec le management, dont l’issue peut être le compromis et la construction de règles communes, et non l’affrontement qui retentit toujours négativement sur la performance. Associer les syndicats aux problématiques de RSE reviendrait à la fois à faciliter les négociations avec les mouvements associatifs et, dans une période de reflux de l’audience syndicale, à consolider la légitimité des centrales en élargissant leur champ d’intervention.

E & C : Comment convaincre les employeurs de partager la RSE avec les représentants de salariés ?

M. M. : C’est parce que la RSE est laissée à l’initiative des seules directions qu’elle tend à perdre sa légitimité au profit d’une simple communication d’image de marque. Nous aboutissons au paradoxe d’une tendance à déresponsabiliser une démarche de responsabilisation, qui peut apparaître purement manipulatoire de l’opinion. Associer les syndicats à la RSE reviendrait à donner à la démarche assise et profondeur. N’oublions pas que les entreprises françaises souffrent d’un manque de compétitivité qui s’explique pour partie par leurs modes de management passablement autoritaires. Plusieurs travaux montrent que le climat social des négociations en France est l’un des plus difficiles des pays industrialisés. Du fait de cette défiance mutuelle, les expériences réellement participatives tournent court. Les journées de grève ont certes diminué au fil des ans, mais la démotivation, l’absentéisme, le présentéisme passif et différentes formes de grèves diffuses et plus individualisées coûtent cher aux entreprises en termes de productivité et de qualité. Cela dit, c’est évidemment à l’État qu’il appartient d’arbitrer entre les intérêts marchands et non marchands. Pourquoi ne pas mettre le débat sur la place publique en organisant des états généraux sur la RSE et en fixant plus précisément les règles d’un nouveau contrat social qui associerait vraiment les syndicats aux décisions stratégiques des comités de direction et des conseils d’administration ?

PARCOURS

• Marc Morin est professeur-responsable pédagogique en GRH à l’Institut supérieur de commerce de Paris et enseignant au Cnam. Docteur en économie et en sciences des organisations, ses recherches portent notamment sur l’économie sociale et le management des organisations. II met actuellement sur pied un groupe de recherche thématique sur la socioéconomie des négociations et le syndicalisme dans le cadre de l’Association pour la recherche interdisciplinaire sur le management des entreprises (Arimhe).

• Il est l’auteur de nombreux articles, dont « Responsabilité sociétale des entreprises et activité syndicale », paru dans Problèmes économiques (mars 2013, n° 3063, et auparavant dans la Revue des sciences de gestion).

LECTURES

• Sociologie de la négociation, R. Bourque et C. Thuderoz, La Découverte, 2002.

• Pourquoi les syndicats ?, R. Freeman et J. Medoff, Economica, 1987.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX