logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Pratiques

Les médecins incités à prendre leurs congés

Pratiques | publié le : 02.04.2013 | CAROLINE COQ-CHODORGE

Image

Les médecins incités à prendre leurs congés

Crédit photo CAROLINE COQ-CHODORGE

Après plusieurs années de négociation, un accord a été trouvé pour pérenniser et monétiser les comptes épargne-temps des praticiens hospitaliers. Il prévoit surtout une meilleure gestion de leur temps de travail.

« Longtemps, les médecins ont tellement travaillé qu’il ne venait à l’idée de personne de leur demander de justifier leur emploi du temps. Cette époque est révolue », explique Denis Fréchou, président de la Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier (CNDCH).

S’ils continuent à beaucoup travailler – dix demi-journées par semaine, avec un plafond de 48 heures hebdomadaires imposé par la législation européenne – les praticiens hospitaliers comptent désormais leur temps : leurs 20 jours de RTT annuels, comme leurs heures supplémentaires ou leurs jours de congés non pris. Depuis 2002 et l’instauration des 35 heures, ils les stockent sur un compte épargne-temps (CET). Au total, les 41 000 praticiens hospitaliers ont ainsi accumulé près de 1,8 million de jours.

De nouvelles aspirations

Signe d’une nouvelle aspiration à un équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, l’usage des CET évolue : « À la différence des plus âgés, les jeunes praticiens ont plutôt tendance à prendre leurs RTT », constate Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH). Cela reste cependant impossible dans certaines spécialités, soumises à des gardes ou à une activité non prévisible (anesthésie-réanimation, urgences, gynécologie-obstétrique, chirurgie, radiologie).

La Fédération hospitalière de France (FHF), qui a réalisé une enquête sur le sujet fin 2011, confirme une grande diversité de situations : « En moyenne, les praticiens disposent de 42 jours sur leur CET. Mais 25 % ont moins de 35 jours et 25 %, plus de 88 jours », explique Nadine Barbier, responsable du pôle ressources humaines hospitalières à la FHF. Les praticiens hospitaliers les plus âgés, aux CET les plus importants, les font généralement valoir avant leur retraite, cessant le travail avec plusieurs mois d’anticipation tout en restant payés. Ce qui déstabilise à la fois l’organisation du travail et l’équilibre financier des établissements, qui n’ont pas toujours les moyens de les remplacer.

Bombe à retardement

Cette bombe à retardement avait cependant une date limite : les CET ayant une validité de dix ans, les premiers, ouverts en 2002, allaient expirer au 31 décembre 2012. Pour préserver cet acquis, les syndicats hospitaliers ont négocié d’arrache-pied pendant plusieurs années. Et c’est à la dernière minute, dans le Journal officiel du 29 décembre, que sont finalement parus un décret et un arrêté réformant le compte épargne-temps des praticiens hospitaliers.

Première satisfaction des syndicats : la durée de validité de dix ans a été supprimée. Ils ont aussi obtenu le principe d’une monétisation : à compter du 1er janvier 2013, au-delà de 20 jours de RTT cumulés annuellement, les praticiens peuvent en réclamer le paiement au tarif de 300 euros par jour. En ce qui concerne les CET historiques, constitués jusqu’au 31 décembre 2012, les bénéficiaires peuvent se faire payer jusqu’à 80 jours de RTT, sur une période de quatre ans. Le plafond des CET est fixé à 300 jours, mais va redescendre à 208 jours au 1er janvier 2016.

Le but est bien de les dégonfler en étalant la charge financière car, au total, la dette des établissements s’élève potentiellement à 540 millions d’euros. « Les médecins voudront-ils se faire payer leurs jours ?, s’interroge Denis Fréchou, par ailleurs directeur du centre hospitalier de Saint-Maurice (94). Ce sont des sommes importantes. L’impact peut être terrible pour les établissements. » Autre contrainte budgétaire : ces derniers doivent désormais provisionner les jours de CET stockés.

« Mais le point le plus important de cette réforme est qu’elle introduit une obligation de planification annuelle des congés dans les contrats de pôle, » insiste Nadine Barbier, de la FHF. Créés par la loi Hôpital, patients, santé et territoires de 2009, les pôles sont le niveau d’organisation médicale des hôpitaux. L’article 1 du décret sur les CET indique que « le chef de pôle ou, à défaut, le responsable de la structure interne organise […] la prise des jours de congé sur certaines périodes de l’année, en fonction de l’activité ».

« C’est un changement majeur en matière de management, insiste Nadine Barbier. Les pôles vont devoir réfléchir en équipe, sous l’autorité hiérarchique du chef de pôle, à l’organisation des présences et des absences. » Une lecture contre laquelle s’élèvent certains médecins, comme Rachel Bocher : « Un chef de pôle n’est pas là pour contrôler les congés. Ce n’est pas un chefaillon. Il a affaire à des professionnels qui ont fait quinze ans d’études et sont responsables de leur temps de travail », estime la présidente de l’INPH.

Le chef de pôle au premier plan

Même discours chez Jean-Claude Samuelian, vice-président de la Conférence des présidents de commission médicale d’établissement (l’instance représentative des praticiens) de centre hospitalier universitaire (CHU) et chef de pôle à l’hôpital de la Timone à Marseille : « L’organisation du temps de travail serait une nouvelle mission des chefs de pôle ? Je suis dubitatif. Certains, très impliqués dans le management, l’ont déjà intégrée. Mais d’autres s’en désintéressent. Les praticiens hospitaliers ne sont pas soumis à un pouvoir hiérarchique. C’est la déontologie qui s’applique à eux. » Il est contredit ici par Denis Fréchou : « Le directeur a un pouvoir hiérarchique sur les praticiens hospitaliers dans le domaine non médical. »

Aux Hospices civils de Lyon, le deuxième CHU de France, Patrice Farci, directeur des affaires médicales*, a commencé à faire le tour de ses 25 pôles pour y faire œuvre de pédagogie : « J’explique le nouveau dispositif et la nécessité que nous avons d’organiser de manière plus contraignante le temps médical. Il faut pouvoir adapter les ressources aux besoins, aux flux. Les CET sont une contrainte. Ils nous coûtent de l’argent. Nous y avons tous un intérêt commun. »

Et pour que cet intérêt commun à l’établissement et aux praticiens soit bien compris, le centre hospitalier de Saint-Maurice a, pour sa part, provisionné le coût des 1 000 jours de CET dus à ses 175 médecins, et l’a imputé aux budgets des pôles : « S’ils étaient réclamés par les praticiens, ces 300 000 euros diminueraient leur marge de manœuvre financière, expose Gérard Taesch, directeur adjoint chargé des affaires médicales. Les chefs de pôle ont donc plutôt intérêt à inciter leurs collègues à prendre leurs jours… »

* Le directeur des affaires médicales a en charge la gestion des ressources humaines du personnel médical.

L’ESSENTIEL

1 Les 41 000 praticiens hospitaliers ont accumulé près de 1,8 million de jours sur leur compte épargne-temps, qui peut, aujourd’hui, être en partie monétisé.

2 Les chefs de pôles, qui pilotent les grands services hospitaliers, se voient confier la responsabilité de la gestion du temps de travail des médecins.

3 Certains praticiens contestent le rôle managérial du chef de pôle et la vision “hiérarchique” de l’équipe médicale.

Auteur

  • CAROLINE COQ-CHODORGE