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UNE POPULATION À BIEN ENCADRER

Enquête | publié le : 02.04.2013 | ÉLODIE SARFATI

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UNE POPULATION À BIEN ENCADRER

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

À mi-chemin entre les études et l’emploi, les stagiaires seraient plus de 1,5 million à franchir les portes des entreprises chaque année. De la sélection au tutorat, en passant par l’intégration ou la formation, certaines d’entre elles peaufinent leurs outils RH.

Heureux, les stagiaires ? Depuis l’an dernier, pas moins de deux labels (Happy Trainees et StageAdvisor) se font forts de sonder leur satisfaction quant à leur environnement de travail ou encore la qualité de leur mission. En parallèle, quelques cabinets dédiés au recrutement de ces profils, comme Stagora ou AJstage, ont fait leur apparition sur le marché. Autant d’indices démontrant que ces étudiants – le Conseil économique, social et environnemental évalue leur nombre à 1,6 million contre 600 000 en 2006 – forment une population cible non négligeable pour les entreprises.

Dans les secteurs en tension, le stage joue le rôle de période d’essai, comme pour la SSII Keyrus (lire p. 23). Chez Ginger, groupe du BTP de 1800 salariés, l’accueil d’une petite centaine de stagiaires tous les ans répond aussi à un enjeu de « visibilité », explique Laurent Cossin, le responsable du recrutement : « Nous ne sommes pas très connus et devons déployer beaucoup d’efforts pour recruter. Nous avons une politique forte d’intégration des stagiaires, à différents niveaux, pour provoquer ensuite un flux spontané de candidature vers nous. »

Chez Kompass International (annuaires d’entreprises, 200 salariés), qui a accueilli dans ses murs 17 stagiaires en 2012, les perspectives de CDI sont plus incertaines, mais les stagiaires en sont informés lorsqu’ils sont retenus, indique Albane David, responsable recrutement et développement RH : « Cela fait partie de notre rôle de participer à l’insertion des jeunes. Nous les formons ; en retour, ils nous apportent leurs idées, leur fraîcheur, ainsi qu’un appui au service dans lequel ils travaillent ». Le stage est aussi une façon efficace de tester une formation.

Marque employeur

Même s’ils ne restent que quelques mois dans l’entreprise, l’attention portée aux stagiaires n’est pas à négliger : « Beaucoup retournent ensuite dans leur école poursuivre leurs études. Si le stage s’est mal passé, toute la promotion le sait, avertit Adrien Ledoux, cofondateur de JobTeaser, créateur de StageAdvisor. Or, les entreprises les mieux notées par les stagiaires sont celles où le service RH s’implique dans leur accueil et leur accompagnement. »

La SNCF a d’ailleurs comme projet de “professionnaliser” le lien avec ces jeunes, en impliquant davantage la direction des cadres, notamment pour les bacs + 4 et bacs + 5, explique Françoise Tragin, chef de projet pour le recrutement des ingénieurs : « Nous allons mener un benchmark en interne afin d’uniformiser nos pratiques d’encadrement des stagiaires. En parallèle, nous voulons mettre en place un suivi personnalisé avec eux, au niveau de la direction des cadres, et avec les établissements. »

Avec sa taille bien plus modeste (1 200 salariés), Ferrero France ne lésine pas non plus sur les outils : forum de recrutement dédié, puis journée d’intégration à destination des stagiaires et des alternants, « qui découvrent alors nos métiers, notre culture d’entreprise… », indique Axellane Deluzurieux, responsable RH Ventes. Comme chez Colas (lire p. 25), le confiseur prévoit des bilans réguliers avec chaque stagiaire : « Au milieu et à la fin de la mission, nous lui indiquons ses points forts et ses points faibles. Il ne s’agit pas d’évaluer les résultats, mais de regarder son implication, sa rigueur… Cela lui permet de progresser, et à nous, de mesurer son potentiel ».

Encadrement au quotidien

De leur côté, les étudiants semblent globalement satisfaits de leur passage en entreprise, si l’on en croit les résultats d’une enquête menée en 2012 par RegionsJob. Deux tiers des sondés considèrent que le stage leur a permis de développer leurs compétences. Pour cela, au-delà des outils RH, c’est bien l’encadrement au quotidien qui fait la différence. Marion, jeune diplômée en droit, garde un souvenir douloureux de son stage de fin d’études : « J’étais intégrée dans une équipe, mais sans référent, et sans mission clairement définie. Du coup je devais répondre aux demandes de dix personnes, dont l’une considérait que je devais la servir. J’ai dû gérer énormément de pression. »

Le management des stagiaires « est l’un de nos points de vigilance, affirme Albane David, à Kompass International. Nous insistons auprès des managers sur le fait que l’autonomie n’est pas la même que pour un autre salarié et qu’il y a un travail de suivi à faire, pour ne pas laisser le stagiaire livré à lui-même et pour que le stage lui soit pleinement profitable ». Chez France Télécom-Orange, les tuteurs sont formés, et reconnus (lire p. 24).

La reconnaissance, justement, les stagiaires ne sont que 54 % à la ressentir, selon l’étude de RegionsJob. En cause : la gratification. Certes, des (grandes) entreprises ont adopté une grille interne, évolutive en fonction du niveau de qualification ou des écoles de formation. Axa France affiche un barème allant de 436 euros pour les niveaux bac à bac + 2 (le minimum légal), à une fourchette de 1031 à 1 445 euros pour les bacs + 5. Ferrero rémunère de 900 à 1 356 euros, selon la durée du stage, et leur donne accès à divers services, comme la conciergerie. Mais 55 % des stagiaires sondés par RegionsJob indiquent percevoir moins de 400 euros par mois.

Tous les étudiants ne sont donc pas logés à la même enseigne, y compris dans l’accès aux entreprises. Si les étudiants en dernière année d’école de commerce ou d’ingénieurs, quasi opérationnels, sont souvent courtisés, les premiers niveaux de formation ont parfois du mal à trouver des lieux d’accueil (lire l’encadré ci-contre). Ferrero accueille l’été une vingtaine d’étudiants de première année de formation commerciale pour des stages de vente de deux mois. « Nous leur faisons découvrir le milieu de la grande distribution, ce que peu d’entreprises du secteur proposent à ce niveau-là », remarque Axellane Deluzurieux. Ferrero accueille également une cinquantaine de stagiaires, de niveau bac + 4 et bac + 5 pour des périodes plus longues, de six à douze mois. « Il faut le temps de les former, de les faire progresser », justifie-t-elle.

Lutte contre les abus

Mais les stages de cette durée pourraient bientôt être bannis, dans le cadre de la réforme annoncée par la ministre de l’Enseignement supérieur, pour lutter contre les « stages abusifs » (lire ci-dessous). De fait, du stage formateur à la main-d’œuvre bon marché, il n’y a parfois qu’un pas, surtout en période de morosité économique. « Avant la crise, on voyait des stagiaires très diplômés remplacer des postes de cadres ; aujourd’hui, des emplois peu qualifiés sont aussi transformés en stage », affirme un porte-parole de Génération précaire, qui a notamment pointé du doigt les magasins Virgin.

L’ESSENTIEL

1 Pour les entreprises, l’accueil d’étudiants en stage est un mode privilégié de prérecrutement, mais aussi une main-d’œuvre supplémentaire.

2 Elles se doivent cependant de les encadrer soigneusement pour assurer aux stagiaires une montée en compétences.

3 Le gouvernement annonce une réforme prochaine pour éviter les stages dits abusifs.

DES ENTREPRISES DIFFICILES À TROUVER

La préfecture des Hauts-de-Seine a mené une étude en 2012 portant sur les jeunes en lycées professionnels, préparant des diplômes de niveau bac à bac + 2 : « Près de 11 000 élèves doivent effectuer un stage chaque année pour valider leur formation, explique Céline Brézillon, chargée de mission développement économique. Or, nous avons constaté que beaucoup d’entre eux font des stages qui ne correspondent pas à leur formation, faute de trouver les entreprises adéquates. Les élèves qui viennent de zones défavorisées sont encore plus pénalisés. »

Pour identifier les freins, la préfecture a monté un groupe de travail avec des représentants de l’Éducation nationale et des entreprises ; 140 d’entre elles ont été interrogées. Bilan ? « Les petites entreprises mettent en avant les problèmes économiques. Elles ne veulent pas investir en temps pour encadrer des jeunes pas assez qualifiés pour pouvoir leur confier des tâches et avoir un retour sur investissement. À ce niveau-là, c’est une démarche bienveillante d’accueillir un stagiaire. Les grandes entreprises sont mieux outillées, mais certaines ne ciblent que les hauts niveaux. »

Le lien entre les écoles et les entreprises gagnerait aussi à être « approfondi, poursuit Céline Brézillon. Les lycées voudraient une implication plus forte des professionnels, pour avoir un retour par rapport à la formation dispensée aux élèves. De leur côté, les entreprises mettent en avant leur difficulté à identifier les formations existantes pour cibler leurs recrutements ».

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI