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« On peut mieux vivre au travail grâce au numérique »

Enjeux | publié le : 02.04.2013 | VIOLETTE QUEUNIET

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« On peut mieux vivre au travail grâce au numérique »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Les technologies numériques sont souvent présentées comme stressantes et envahissantes. Pourtant, certaines, d’un type nouveau, peuvent améliorer la qualité de vie et la santé au travail. Déjà utilisées à titre personnel, elles vont pénétrer peu à peu le monde de l’entreprise.

E & C : Selon vous, les technologies numériques sont les meilleures alliées de la qualité de vie au travail. Pourquoi ?

Christophe Deshayes et Jean-Baptiste Stuchlik : Cela peut paraître troublant, car, à première vue, on pense plutôt aux aspects négatifs des technologies. Instantanéité, rupture permanente, accélération sont indéniablement des facteurs de stress. Mais nous décrivons surtout des technologies d’un nouveau type. À la différence de l’informatique classique, elles ne sont pas conçues dans un objectif de contrôle et de productivité, mais mobilisent le soutien social et des leviers cognitivo-comportementaux totalement nouveaux, qui permettent d’augmenter considérablement nos chances de réussite dans nos engagements personnels – par exemple faire du sport, manger équilibré, arrêter de fumer. Il s’agit de véritables coachs numériques, qui nous aident à prendre soin de nous et des autres.

E & C : Comment ces technologies au service du bien-être peuvent-elles s’appliquer dans l’entreprise ?

C. D. et J.-B. S. : Nous donnons plusieurs exemples. Une première application des technologies numériques : la surveillance de la santé des salariés. Des services ou applications permettent d’identifier, de diagnostiquer et de faire prendre conscience d’un risque en matière de santé par rapport à une activité professionnelle, une posture. Certains dispositifs permettent même de corriger de mauvaises postures, tel le service iPosture, qui alerte la personne quand elle conserve trop longtemps une attitude trop éloignée de la posture idéale en situation de travail. L’entreprise peut aussi inciter ses collaborateurs à adopter un comportement sain – pratiquer une activité physique, manger moins, plus équilibré – par des concours de bien-être au travail. C’est ce que font des sociétés anglo-saxonnes ou scandinaves grâce à des plates-formes technologiques, avec à la clé des récompenses virtuelles ou réelles. Aux États-Unis, le marché des plates-formes de “wellness” au travail est considéré comme très prometteur.

La gestion du ressenti des salariés est un autre exemple. Certaines entreprises, peu convaincues par le traditionnel baromètre social, lui préfèrent un suivi en continu du moral de leurs salariés. Chaque soir, ou plusieurs fois par semaine, le collaborateur évalue en ligne sa journée de travail selon plusieurs critères d’analyse. Une information plus instantanée et plus brute, qui joue le rôle d’une alerte plus objective.

E & C : Cela rencontre-t-il l’intérêt des DRH ?

C. D. et J.-B. S. : On n’en est qu’au début, mais il est certain que ces technologies répondent à une problématique très importante pour eux. La lutte contre les TMS et celle contre les risques psychosociaux sont à leur agenda. La pression monte sur la responsabilité juridique des entreprises dans ce domaine. Ce qui est intéressant avec ces technologies, c’est qu’elles peuvent être mises en place facilement, indépendamment de l’organisation du travail et de la culture managériale. Pour les DRH, c’est un soulagement de pouvoir avancer sans obligatoirement poser le prérequis du changement de l’organisation du travail et des façons de manager.

Par ailleurs, certains dispositifs peuvent avoir un effet contagieux. Si on aide les gens à positiver, manger mieux, bouger plus, l’effet sera bénéfique pour eux, mais cela se verra aussi dans leurs relations aux autres et aura tendance à essaimer. Des études montrent que des programmes – via des plates-formes technologiques – de remise en forme ou de thérapie cognitive sont plus efficaces contre le stress que les séances de massage que certaines entreprises ont pu mettre en place et, surtout, qu’ils sont un moyen de créer un projet collectif grâce à l’effet d’entraînement. On s’est rendu compte que même des personnes isolées, ou dans une condition physique extrêmement détériorée, profitent de cette dynamique collective. Bref, c’est un levier de mobilisation dans les entreprises.

E & C : Jusqu’où l’entreprise peut-elle aller dans la recherche du bien-être de ses salariés ? Comment garantir, notamment, la préservation de la vie privée et l’anonymat des données ?

C. D. et J.-B. S. : Pour qu’un dispositif soit adopté, il est évident qu’il doit présenter des garanties de confidentialité. Et, bien entendu, être décrit aux salariés et à leurs représentants avant d’être mis en place. Dans l’exemple de l’évaluation du ressenti des salariés, il est géré par un prestataire extérieur qui garantit l’anonymat des données. L’entreprise n’a pas accès aux données individuelles mais seulement à celles agrégées.

Ce type de dispositif n’est peut-être pas parfait, mais il constitue une alternative intéressante aux pratiques classiques. Actuellement, un dirigeant a le choix entre les études de climat social, qui coûtent cher, dont les résultats sont peu convaincants, et les remontées d’informations par la hiérarchie et les instances syndicales, potentiellement biaisées et incomplètes. Nous ne prétendons pas que ces dispositifs sont l’alpha et l’oméga de l’écoute sociale en entreprise ! Mais ils ont le mérite d’ouvrir un champ qui nous paraît intéressant et prometteur.

E & C : Les plates-formes proposant des services numériques de santé et bien-être au travail aux États-Unis arriveront– elles un jour en France ?

C. D. et J.-B. S. : Il y a sans doute encore des freins culturels à lever, mais on y viendra. Pour l’instant, il semble naturel de poser la question du bien-être au travail sur la base de la gestion des risques : le salarié ne doit pas être en plus mauvais état à la fin de journée qu’au début ! Avec les plates-formes de bien-être, on est sur une tout autre dimension : on considère que des collaborateurs bien dans leur tête et dans leur corps seront plus dynamiques, plus productifs et plus investis dans l’entreprise. Celle-ci y a un intérêt, mais les personnes aussi. Indépendamment de ces plates-formes, qui sont très liées à la culture américaine de la compétition et de la responsabilisation individuelle, être en forme, s’occuper de soi, vivre mieux est dans l’air du temps, c’est une préoccupation sociétale. Les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle sont de plus en plus poreuses, donc il est évident que cela entrera dans l’entreprise.

PARCOURS

• Christophe Deshayes, diplômé de l’Inseec, est président de Tech2innovate, conférencier d’entreprise, spécialisé dans les nouvelles technologies. Il a écrit, avec Michel Berry, Les Vrais Révolutionnaires du numérique (Autrement, 2010).

• Jean-Baptiste Stuchlik, Pdg de Tech2innovate, a dirigé les secteurs Santé et Public de plusieurs cabinets de conseil internationaux.

• Ils viennent de publier Petit traité du bonheur 2.0 (Armand Colin), complété par le site <www.ateliers numériquesdubonheur.com>

LECTURES

• Petite Poucette, Michel Serres, Éditions Le Pommier, 2012.

• Peste & Choléra, Patrick Deville, Seuil, 2012.

• Je suis à l’Est, Joseph Schovanec, Plon, 2012.

• Pourquoi la nature nous fait du bien, Nicolas Guéguen et Sébastien Meineri, Dunod, 2012.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET