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Un DRH sinon rien

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 26.03.2013 | FRÉDÉRIC BRILLET

Pendant six mois, Thales, engagé dans un lourd processus de réorganisation, a vécu sans DRH groupe à part entière. Une gageure pour cette entreprise de défense et d’aéronautique qui emploie plus de 60 000 personnes. Le nouveau Pdg entend y mettre fin.

Dans le schéma classique, une entreprise engagée dans un processus de transformation fait travailler trois fonctions clés. Le Pdg est garant de la stratégie qui doit permettre à l’entreprise de s’adapter à son environnement. Le directeur des opérations ou le directeur général met en œuvre la transformation qui en découle. Le DRH, quant à lui, travaille à adapter les ressources humaines à la stratégie en actionnant différents leviers (formation, mobilité interne et externe…).

Double fonction

C’est pourtant de ce schéma rodé que Luc Vigneron, désormais ex-Pdg de Thales, a cru pouvoir s’affranchir l’été dernier. En juillet 2012, il remanie en profondeur son équipe dirigeante. Il se sépare alors du DRH groupe Loik Mahé. Mais plutôt que lui nommer un successeur, il confie le poste à son bras droit Patrick Fournié. Déjà directeur des opérations et, à ce titre, chargé des réorganisations, celui-ci devient DRH au niveau groupe, Luc Vigneron tenant à ce que son homme de confiance ait une prise directe sur les questions sociales.

« Vouloir se passer d’un DRH à part entière dans un tel contexte ne peut que dégrader le dialogue social, explique Jean-François Carrara, directeur associé du conseil en organisation Algoé. Les syndicats et les salariés risquent de l’interpréter comme une marque de désintérêt. À l’inverse, faire porter par le DRH le poids de la réorganisation mènerait aussi dans l’impasse. À chacun son rôle. »

Contradictions

Cette décision, alors même que le groupe annonce la suppression de 1 500 emplois, constitue la goutte d’eau qui fait déborder le vase de relations sociales déjà tendues (lire l’encadré) : les syndicats majoritaires (CFDT, CGC, CGT) se constituent en intersyndicale, évoquant une vacance de la fonction RH, son asservissement aux questions industrielles. Une manière de faire qui contrevient à la culture du groupe. « Nous avions l’habitude d’avoir un DRH à part entière pour prendre en compte les incidences sociales des réorganisations », explique Didier Gladieu, délégué central CFDT à Thales.

Pour les syndicats, la double casquette ne pouvait qu’aboutir à une impasse : « Non seulement c’est une tâche écrasante de cumuler ces deux fonctions, mais vous ne pouvez résoudre les contradictions entre les exigences opérationnelles et sociales dans cette configuration. Cela mérite un débat au sein de la direction entre le DRH et le directeur des opérations pour aboutir à un compromis », poursuit Bernard Carlier, membre du comité de groupe Thales et du comité européen sous l’étiquette CGT.

D’un point de vue tactique, Gilles Verrier, directeur général du cabinet Identité RH, émet des doutes sur la pertinence de ce type d’organigramme : « En phase de réorganisation, un DRH peut servir de fusible si les choses tournent mal. Le Pdg qui le révoque sans le remplacer se retrouve en première ligne. »

Thales refuse désormais de s’exprimer sur cet épisode, arguant que ce n’est plus un « sujet d’actualité », tout en contestant l’idée de vacance de la fonction RH. « L’ancien Pdg, Luc Vigneron, estimait que le chantier de transformation du groupe, dont le directeur des opérations avait la charge, comportait une forte dimension RH. Il voulait s’assurer que la transformation prenne en compte le facteur humain. D’ailleurs, le directeur des opérations, qui faisait office de DRH, passait 90 % de son temps à s’occuper de RH », plaide un proche de la direction.

Quoi qu’il en soit, à partir de début septembre, l’intersyndicale, qui représente 90 % des salariés, décide de boycotter les réunions avec la direction du groupe tant qu’elle ne dispose pas d’un interlocuteur RH à part entière. Une première dans l’histoire de Thales. Par deux fois, le Pdg convie les représentants du personnel à des réunions informelles, mais ils déclinent l’invitation. Même topo pour le CE européen qui s’est tenu le 13 décembre 2012. La situation s’enlise et les deux principaux actionnaires (Dassault et l’État) finissent par recevoir les syndicats qui réclament le départ du Pdg.

Sortir de l’impasse

Pour sortir de l’impasse, Jean-Bernard Lévy prend la succession de Luc Vigneron fin décembre 2012. Le nouveau Pdg annonce aux salariés qu’il va recréer un poste de DRH groupe à part entière et, qu’en attendant, il prend en charge cette fonction. Un geste symbolique, qui a déjà permis d’apaiser les tensions et prépare le rétablissement du dialogue social.

DES CONTENTIEUX MULTIPLES

Les contentieux entre la direction et les partenaires sociaux se sont accumulés ces dernières années. Ces derniers ont protesté contre l’application au pas de charge du plan d’économies baptisé Probasis et des programmes de réorganisation. « Durant une réunion du comité européen de l’été 2012, nous avons demandé une pause dans les transformations en cours afin d’évaluer leur impact. Mais le Pdg nous a répondu que les marchés n’attendaient pas », se souvient Bernard Carlier, de la CGT. La mise en place de centres de services partagés mutualisant des fonctions comme la formation et la paie a rapproché des salariés exerçant le même métier avec des statuts et salaires différents, d’où le mécontentement. La vente de la filiale Thales Business Solutions à la SSII GFI, dotée d’une convention collective moins avantageuse, a inquiété les salariés concernés. Enfin, la délocalisation à Singapour de la fabrication de calculateurs de vol destinés à Airbus n’a pas arrangé les choses.

Auteur

  • FRÉDÉRIC BRILLET