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NOUVEAUX PROFILS, NOUVEAUX OUTILS

Enquête | publié le : 26.03.2013 | NICOLAS LAGRANGE

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NOUVEAUX PROFILS, NOUVEAUX OUTILS

Crédit photo NICOLAS LAGRANGE

Mobilité intrazone, missions courtes, commuting… les formes alternatives à l’expatriation classique se développent, en lien avec de nouveaux outils de gestion (hubs, CSP) et des packages en baisse, tandis que les recrutements locaux s’amplifient. Un phénomène accentué par la prise en compte des nouveaux risques liés à la sécurité.

Un poste-clé, une rémunération avantageuse, des primes diverses, l’accompagnement du conjoint et la prise en charge intégrale des frais de logement et de scolarité… cet âge d’or de l’expatriation est bel et bien révolu pour la plupart des expatriés des grands groupes français, qui restent très majoritairement de sexe masculin, mais dont les origines sont de plus en plus diverses. En 2009, il y avait encore 45 % de Français parmi les expatriés de la cinquantaine de multinationales membres du Cindex (Club interentreprises de l’expatriation); ils n’étaient plus que 34 % fin 2011.

« Il y a encore quelques années, la nationalité de la maison mère avait un impact fort sur celle des expatriés, c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui, assure Didier Hoff, avocat associé chez Fidal, responsable des activités Human capital. On ne peut plus avoir une politique ancrée dans la culture du pays d’origine, les groupes doivent gérer au plus près du business, s’imprégner des spécificités des pays d’accueil, recruter davantage de salariés locaux et adapter leur organisation. » D’autant que de nombreux pays exigent désormais un quota de salariés locaux pour valider les projets d’implantation des groupes étrangers.

Entité juridique autonome

Pour refléter la diversité des nationalités parmi les expatriés, Sodexo mise depuis cinq ans sur une bourse d’emplois globale, via une newsletter en anglais publiée tous les 15 jours sur l’intranet du groupe et sur celui de chaque pays. « Près de 200 postes sont ainsi proposés à la mobilité internationale, ce qui nous permet d’attirer sur ces postes des candidats internationaux, explique Nathalie Blarel, directrice du recrutement et de la mobilité internationale. Cela nous aide aussi à repérer ceux qui souhaitent bouger. La présence de 37 nationalités au siège du groupe est un des résultats probants de cette recherche de diversité. » Pour s’adapter à un environnement plus global, le groupe international de services prévoit de renforcer ses outils de pilotage de la mobilité internationale.

Avec des flux d’expatriation désormais tous azimuts, de nombreux groupes ont créé une GEC (Global employment company). Il s’agit d’une entité juridique autonome, souvent située en Suisse, qui gère les expatriés tout au long de leur carrière selon un statut unique, avec des charges sociales et fiscales réduites. D’abord utilisé par les groupes pétroliers, ce nouvel outil s’est étendu à d’autres secteurs comme le BTP ou l’automobile. Mais il ne fait pas l’unanimité, parce qu’il supprime l’ancrage des expatriés dans leur pays d’origine, se heurte au problème des retraites et présente des risques juridiques non négligeables, comme Vivendi et Total en ont fait l’expérience. Désormais, beaucoup préfèrent parler de “hubs”, un terme moins connoté.

Hubs régionaux

« Les hubs peuvent avoir du sens pour embaucher directement des salariés ayant des profils très internationaux, estime Florence Bequet, avocate en droit social chez Landwell & Associés. Mais un salarié français dont le contrat serait transféré sur un hub pourrait revendiquer le maintien de ses droits sociaux antérieurs. » D’où le traitement spécifique souvent réservé aux Français. Au-delà des gains financiers, cette structure indépendante peut également servir à fidéliser les salariés dans certaines régions. Spie Oil & Gas Services, filiale de Spie, compte ainsi un hub à Abu Dhabi depuis 2009 (lire p. 25).

Désormais, de nombreux groupes français et européens planchent sur la mise en place de hubs régionaux en Asie-Pacifique (Singapour notamment), au Moyen-Orient, en Amérique latine, en lieu et place d’un hub unique. Ou optent, à l’instar d’Alcatel-Lucent, pour des centres de services partagés régionaux, qui assurent la gestion administrative, mais sans domiciliation du contrat de travail. Ces nouvelles formes d’organisation permettent aussi de répondre au développement d’une mobilité intrazone, très souvent souhaitée par les salariés. « Nous avons de plus en plus de salariés latino-américains en mobilité au sein de leur propre zone, explique Lucia Xing, directrice de la mobilité internationale chez Danone (lire p. 25). Une solution qui, de surcroît, s’avère moins coûteuse pour les entreprises.

Davantage de missions courtes

Les formes d’expatriation elles-mêmes ont sensiblement évolué. « Depuis la crise de 2008, les missions de courte durée, inférieures à deux ans, se sont fortement accrues, analyse Yves Girouard, président du Cercle Magellan (réseau d’échanges entre responsables RH et mobilité des grands groupes). Les entreprises ont besoin de recruter plus de salariés locaux et de transférer leur culture d’entreprise et leur savoir-faire dans les pays d’implantation. » Ainsi, Michelin peut envoyer quelques dizaines d’expatriés durant 18 à 24 mois pour démarrer une usine en Inde, EADS former les salariés chinois à l’assemblage des Airbus et Spie transmettre ses compétences à ses clients sur les plates-formes pétrolières en Libye et en Irak.

Développement de solutions rotationnelles

« Plusieurs événements géopolitiques (printemps arabes, crises africaines…) ont également favorisé le raccourcissement des missions, estime Yves Girouard. Pour limiter les risques liés à la sécurité, les entreprises réduisent les déplacements de longue durée en famille. D’où le développement de solutions rotationnelles, sans les familles, au-delà du champ des compagnies pétrolières, traditionnelles utilisatrices. » Illustration chez Rio Tinto : sur près d’un millier d’expatriés, environ 40 % effectuent des rotations, une proportion en forte hausse. Ces “fly in-fly out”, dans le jargon du groupe minier, se développent en Australie, compte tenu de l’étendue du territoire, et en Guinée, où la rareté des infrastructures a débouché, pour les expatriés, sur une formule associant quatre semaines de travail et deux semaines de repos dans le pays d’origine.

Dans un contexte très différent, le commuting gagne aussi du terrain, notamment dans les secteurs de la banque, de l’assurance ou de l’automobile. « Cela se fait le plus souvent à la demande des salariés, note Ghislaine Desmet-Marchand, directrice du Cindex. Le conjoint peut conserver son travail et les enfants ne changent pas d’école. Mais cette solution n’est pas toujours tenable dans la durée pour la vie de famille. » Fiscalement et juridiquement, le commuting est complexe à gérer. « Si un cadre en mobilité travaille dans deux pays différents, par exemple en Europe, il peut être imposable dans les deux pays, en fonction de son temps de présence, ce qui nécessite un suivi rigoureux du salarié et de ses déplacements pour éviter tout redressement », affirme Didier Hoff, du cabinet Fidal.

« Au plan social, les commuters français peuvent parfois rester sous contrat français, mais certains pays exigent un double contrat, prévient Florence Bequet, de Landwell & Associés. En cas de licenciement, cela veut dire double rupture du contrat de travail avec deux motifs distincts. »

Pour réduire les coûts liés à la mobilité, les entreprises ont quasiment toutes révisé leur packages et mis en place des formules “light”, en particulier les “Local Plus” (conditions locales avec quelques avantages supplémentaires). Une politique facilitée par les salariés eux-mêmes, notamment les plus jeunes. « Les candidats à des missions internationales sont plus nombreux, plus mobiles et acceptent des packages allégés en échange d’une expérience valorisante », témoigne Jean-Flavien Le Besque, 30 ans, responsable RH pour le groupe Safran depuis 2008.

En famille

D’abord en VIE (Volontariat international en entreprise) en Chine puis aux États-Unis, où il avait en charge une population d’expatriés, il est revenu en France durant trois ans et repart aux États-Unis pour trois ans en famille, à la mi-avril, comme responsable des RH internationales de Safran USA. Avec à la clé un contrat d’expatriation comprenant notamment une prise en charge des procédures d’immigration et des frais d’emménagement, mais sans les primes récurrentes de logement, de transport ou de scolarité. Son salaire net, déterminé conformément au marché du travail américain, sera plus élevé qu’en France, mais il devra cotiser à titre privé pour sa protection sociale française.

Aujourd’hui, à l’issue d’un contrat d’expatriation, les grands groupes se demandent systématiquement s’il est nécessaire de le renouveler. Et proposent parfois à l’expatrié qui désire rester dans le pays d’accueil de devenir un salarié local. Alcatel-Lucent va plus loin, puisque l’équipementier généralise les contrats aux conditions locales depuis 2010 pour ses salariés en mobilité. D’ores et déjà, 40 % d’entre eux ont signé des contrats locaux (lire p. 23). Pour autant, l’inquiétude de nombreux expatriés français à l’égard de leur future pension et l’hétérogénéité des systèmes de retraite font encore hésiter un certain nombre de sociétés…

L’ESSENTIEL

1 La mobilité intrazone se développe, en lien avec de nouveaux outils de gestion : hubs, CSP ou antennes régionales.

2 Les missions de courte durée, le rotationnel et le commuting répondent de plus en plus aux souhaits des expatriés ou à des exigences de sécurité.

3 Les packages continuent de se réduire et les contrats locaux gagnent du terrain.

Auteur

  • NICOLAS LAGRANGE