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LES ENTREPRISES PRIVÉES NE SONT PAS SOUMISES AU PRINCIPE DE LAÏCITÉ

Actualités | publié le : 26.03.2013 | EMMANUEL FRANCK

Dans son arrêt “Baby Loup” du 19 mars, la Cour de cassation estime qu’une crèche privée ne peut restreindre la liberté d’expression religieuse au nom de la laïcité. L’argument selon lequel l’image de marque de l’entreprise justifie une restriction sort affaibli de cette décision.

Les entreprises privées ne peuvent restreindre l’expression religieuse de leurs salariés au nom de la laïcité, au contraire des services publics. Ainsi en a décidé la Cour de cassation dans deux arrêts rendus le 19 mars. « Le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public », estiment les sages dans le très attendu arrêt “Baby Loup”, du nom de la crèche associative privée qui avait licencié une salariée refusant d’ôter son voile islamique.

La Cour de cassation estime que la crèche en question ne peut être considérée comme « une personne privée gérant un service public » et qu’en conséquence, le principe de laïcité ne pouvait être invoqué pour restreindre la liberté religieuse de la salariée. Ce que faisait le règlement intérieur de manière « générale et imprécise ». Le licenciement est donc considéré comme discriminatoire.

En revanche, la cour confirme, dans un autre arrêt, le licenciement d’une salariée, également en raison de son voile, mais travaillant cette fois dans une caisse primaire d’assurance maladie, considérée comme un service public.

Selon Silvain Niel, avocat associé au cabinet Fidal et président du Cercle des DRH, « la chambre sociale a toujours dit que le voile ne peut être interdit en soi, mais en fonction du risque qu’il fait courir. L’arrêt Baby Loup réaffirme cette position. » Il rappelle que des restrictions sont autorisées dès lors que l’hygiène, la sécurité et une perturbation de la clientèle sont en jeu. Mais il se demande si l’argument du ressenti de la clientèle ne sort pas affaibli de cet arrêt.

Contourner l’écueil

Dans un premier temps, l’arrêt Baby Loup ne devrait pas avoir beaucoup d’incidences dans les entreprises. D’abord parce que la grande majorité n’est absolument pas concernée par des problèmes d’expression religieuse: « Ce n’est pas la première préoccupation du moment dans les entreprises », estime Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH. Ensuite, parce que celles qui sont concernées savent qu’elles ne peuvent interdire l’expression religieuse en soi. Auchan a bien tenté de le faire, en 2007, mais s’est fait retoquer par la Halde et par l’inspection du travail (lire Entreprise & Carrières n° 1090). Pour contourner cet écueil, quelques-unes ont rédigé un “code” (Reed Elsevier) ou un “guide” (La Poste, EDF) relatant des situations types, ou s’appuient sur des usages anciens non écrits (PSA). Mais la plupart se contentent de traiter les questions au cas par cas.

En revanche, la décision de la Cour de cassation pourrait avoir des conséquences à terme. C’est en tout cas ce que redoute Alain Dalencourt, président (CGT) du tribunal des prud’hommes de Mantes-la-Jolie, qui avait jugé l’affaire Baby Loup en première instance: « Nous allons être noyés par les dossiers prud’homaux sur la liberté religieuse: des salariés n’hésiteront plus à aller devant le juge sur cette question ». Une crainte que partage Sylvain Niel: « Cette décision peut favoriser le prosélytisme et les effets d’aubaine. » Ce n’est pas l’avis de Jean-Christophe Sciberras: « Je ne pense pas que les revendications communautaristes vont augmenter dans les entreprises. En revanche, à force de vouloir faire de la question des signes religieux ostentatoires un problème, il y a un risque de crisper les salariés. »

Pour Sylvain Niel, la question, « que les entreprises ne peuvent plus ignorer », est désormais de savoir « jusqu’où elles peuvent tolérer le fait religieux ». Il conseille aux DRH d’« afficher clairement ce qui est autorisé ou non (absences, utilisation des salles) et d’expliquer pourquoi ». Alain Dalencourt estime, quant à lui, que le problème échoit maintenant au législateur, « qui a toujours été frileux et n’a jamais mis les choses au point sur la laïcité, y compris dans les services publics ». Le président de l’ANDRH ne voit pas l’intérêt de légiférer sur le sujet, « au risque de relancer le débat, d’autant qu’il n’est pas exclu que la loi soit jugée non conforme aux traités internationaux ».

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK