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PRÉVENIR LES TMS SUR LE LONG TERME

Enquête | publié le : 19.03.2013 | VIRGINIE LEBLANC

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PRÉVENIR LES TMS SUR LE LONG TERME

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Les troubles musculo-squelettiques (TMS) demeurent, année après année, en tête du palmarès des maladies professionnelles. Les entreprises seraient-elles impuissantes face à cette épidémie qui touche tous les secteurs ? La complexité de la maladie n’explique pas tout. Les résultats sont là quand les entreprises abordent le sujet de façon globale et durable et qu’elles acceptent d’interroger leur organisation du travail.

Air France Cargo qui, grâce à un programme de prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS) déployé depuis plus de huit ans, a réussi à faire diminuer de façon spectaculaire les accidents du travail liés aux maux de dos (lire p. 25), doit faire des envieux. Car les TMS demeurent inexorablement, année après année, la première cause de maladie professionnelle en France.

En 2011, plus de huit maladies d’origine professionnelle sur dix sont des TMS, soit une augmentation de près de 10 % par rapport à 2010. Cette même année, plus de 47 400 nouveaux cas de TMS ont été indemnisés. Au total, les TMS ont engendré la perte de 10,4 millions de journées de travail et 1,02 milliard d’euros de frais couverts par les cotisations des entreprises.

Pourtant, ce n’est pas faute de campagnes de mobilisation et de prévention. Celle initiée par le ministère du Travail, de 2008 à 2011, à la fois destinée au grand public, aux entreprises, aux organisations professionnelles et aux préventeurs, a mobilisé les partenaires institutionnels spécialistes de la prévention des risques professionnels : la Cnamts, l’INRS, la CCMSA, l’Anact et l’OPPBTP*. Sans compter les multiples initiatives propres à ces acteurs. Et, dans le second plan santé au travail 2010-2014, en toute logique, les TMS font partie des risques prioritaires.

Un lien avec les RPS

Lors du troisième congrès francophone sur les TMS, organisé en mai 2011 à Grenoble, un large focus avait été réalisé autour du lien entre risques psychosociaux et TMS et, plus généralement, autour des outils et méthodes actuellement mobilisés (les actes du congrès peuvent être consultés sur le site <www.anact.fr>).

« Malgré tous les efforts de sensibilisation et d’information, de multiples facteurs expliquent la persistance des TMS : des objectifs de productivité de court terme, une population vieillissante, une vie professionnelle qui s’allonge… sans compter les effets délétères de certaines méthodes de travail des nouvelles organisations facilitant la parcellisation et la standardisation des tâches et rendant impossible l’entraide », souligne Agnès Aublet-Cuvelier, responsable du laboratoire de biomécanique et d’ergonomie de l’INRS.

Mais, même quand les entreprises mettent en place des plans d’action, d’autres obstacles apparaissent, notamment leur difficulté à se mobiliser dans le temps, soulignée de façon récurrente par les préventeurs. « Lorsque le maintien en poste des directions n’est que de trois ans, il devient difficile d’assurer le suivi des actions mises en place ! », témoigne Sandrine Nahon, directrice générale du cabinet Solutions Productives.

En outre, les salariés exposés à cette maladie et éloignés temporairement de leur poste, lorsqu’une opération chirurgicale est nécessaire par exemple, ne disposent pas forcément de meilleures conditions de travail à leur retour. « Les syndromes du canal carpien s’opèrent très bien, illustre Yves Roquelaure, professeur de médecine du travail au CHU d’Angers. Mais, après la chirurgie, la plupart du temps le poste de travail n’est pas réaménagé. »

Une prévention multidimensionnelle

« Les TMS étant une pathologie multifactorielle, poursuit-il, il faut convaincre les DRH et les dirigeants de l’intérêt d’une prévention multidimensionnelle qui touchera à l’organisation du travail. Je conseille aux entreprises, plutôt que d’attendre le stade de l’expression des douleurs, de rechercher, au préalable, quelles sont les difficultés d’exécution des tâches. »

L’entreprise de services à la personne Maison & Services en Mayenne (lire p. 24) a fait le pari d’écouter ses intervenantes aides ménagères et de leur proposer des formations adaptées à leurs difficultés tout en acceptant de revoir son organisation et son management. « Nous recommandons aux entreprises de s’intéresser à l’ensemble des facteurs de risques et à leurs déterminants, indique Agnès Aublet-Cuvelier, de favoriser une démarche participative qui permette l’expression des acteurs, une approche multidisciplinaire et un engagement clair des directions pour accorder des moyens financiers, humains et temporels. »

De son côté, Patrick Benguigui, ingénieur conseil à la Carsat Nord Picardie, regrette que les entreprises n’aient pas le réflexe d’associer les représentants du personnel à la réflexion sur l’aménagement des postes de travail : « Dans le cadre d’un programme spécifique, nous suivons 1 000 établissements qui concentrent 60 % des maladies professionnelles, précise-t-il. Alors qu’elles présentent des risques avérés de TMS, moins de 30 % de ces entreprises associent les CHSCT et les IRP. »

Quand cela est possible, certaines entreprises abordent les TMS à la source en travaillant sur la conception des produits ou des process. C’est d’ailleurs un sujet qui fait l’objet d’enseignements à l’université de technologie Belfort-Montbéliard, qui propose un diplôme d’université dont l’objectif est de former des professionnels à l’ergonomie, en prenant en compte l’homme dans toutes ses dimensions, à la fois physiques et émotionnelles, pour intégrer ces connaissances dans la conception ou l’aménagement des postes et des systèmes de travail.

Ergonomie

Le coordinateur ergonome de Faurecia Automotive Exteriors a obtenu, en 2012, le diplôme « Ergonomie : analyse des conditions de vie au travail et conception des systèmes de travail ». Une approche dans la droite ligne de la volonté de l’entreprise de prendre en compte l’ergonomie le plus tôt possible dans la conception des produits et des process (lire l’encadré ci-après). « Il est intéressant d’introduire des personnes compétentes en ergonomie dès la conception, par exemple quand on installe une nouvelle ligne de production, souligne également Bruno Hermetz, ingénieur de prévention à la Carsat Nord Picardie. La démarche de prévention s’engagera alors sur le long terme. Mais ce type d’interventions est malheureusement très rare. »

Comme est encore rare et exemplaire l’initiative de la Fédération des entreprises de propreté (FEP), qui a impliqué toutes les parties prenantes pour lutter contre les TMS (lire ci-contre) : les clients chez lesquels les entreprises interviennent, les concepteurs des bâtiments et les salariés eux-mêmes, en lançant un vaste programme de formation de tous les niveaux hiérarchiques. Le tout avec un suivi sur le terrain de la bonne mise en application des formations. Un point souvent faible, qui explique en partie les échecs de certains plans d’action. « Pour les années à venir, nous souhaiterions développer avec d’autres secteurs d’activité le même type d’initiatives que celle qui a été mise en place dans la branche de la propreté, affirme Thierry Fassenot, ingénieur-conseil à la direction des risques professionnels de la Cnam, en charge du dossier TMS. Avec l’INRS, nous souhaitons aussi organiser un suivi à grande échelle de milliers d’entreprises sur au moins quatre ans, afin que les dynamiques engagées ne s’éteignent pas au fil du temps. » C’est bien l’enjeu de la prévention durable des TMS.

* Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics.

L’ESSENTIEL

1 Les TMS représentent 85 % des maladies professionnelles. Mais il n’existe aucun remède miracle à cette pathologie multifactorielle.

2 Pour autant, il est possible d’anticiper l’apparition de TMS en analysant le travail et en écoutant les salariés. Des préalables indispensables à la construction d’actions avec tous les acteurs concernés.

3 Les entreprises qui acceptent de faire évoluer leur organisation ou même d’introduire l’ergonomie dès la conception de leurs produits ou de leurs locaux ont les meilleures chances d’obtenir des résultats durables.

Une ergonomie dès la conception des produits à Faurecia

Depuis de nombreuses années déjà, Faurecia développe ses propres outils d’analyse des situations de travail, et l’équipementier automobile dispose aussi de son mémorandum d’ergonomie. Au sein de son activité Extérieurs d’automobile Division Europe du Sud, Faurecia a souhaité, comme dans d’autres entités, mobiliser aussi le département R & D « afin de prendre en compte l’ergonomie le plus tôt possible dans la conception des produits et des process », explique Jacques Buisson, coordinateur ergonome, rattaché au site d’Audincourt (Doubs).

Un exemple de ce travail : « Les mains et les poignets étant très sollicités par le mouvement de clipsage de pièces sur les pare-chocs, nous avons étudié, avec les équipes de développement, la forme des clips. Aujourd’hui, sur tous les nouveaux projets, cette manipulation a fait l’objet de progrès considérables, comme en témoignent les opérateurs. De plus, le délai d’assemblage a été raccourci et la qualité globale accrue », rapporte Jacques Buisson.

Par ailleurs, cette division de Faurecia a réalisé une cartographie complète de tous les postes de travail. Sur 800 postes observés et 15 000 à 20 000 opérations analysées, 90 % sont conformes aux règles d’ergonomie et 10 % sont encore identifiées à risques. L’entreprise s’est fixé un objectif de diminution de 30% par an du nombre de postes à risques, objectif qui a déjà été atteint en 2012.

Le coordinateur a également formé des correspondants en ergonomie dans chaque usine de la division et, tous les mois, ces relais se réunissent afin d’échanger leurs bonnes pratiques.

« Aujourd’hui, les salariés sont amenés à changer de poste régulièrement pour éviter la répétition des mêmes gestes ; c’est un bon moyen de prévenir les TMS. Mais ce n’est pas évident à réaliser pour tous les salariés, car certains ont des restrictions d’aptitude, et la moyenne d’âge dans la fabrication est de 46 ans et demi », remarque Valérie Bouchet, représentante de la CFDT sur le site d’Audincourt. Et les marges de manœuvre ne sont pas les mêmes sur les anciennes installations et sur les nouvelles.

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  • VIRGINIE LEBLANC