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Protection sociale complémentaire : plus de liberté, moins d’égalité

Actualités | publié le : 19.03.2013 | SABINE GERMAIN

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Protection sociale complémentaire : plus de liberté, moins d’égalité

Crédit photo SABINE GERMAIN

Dans une décision très attendue, la chambre sociale de la Cour de cassation est revenue sur le principe d’égalité de traitement entre les salariés, qui tendait à s’imposer au fil des jurisprudences : il ne s’applique pas dans le domaine de la protection sociale complémentaire.

« L’égalité de traitement ne s’applique qu’entre salariés relevant d’une même catégorie professionnelle. » En une phrase, la chambre sociale de la Cour de cassation a tranché le débat qui agite les acteurs de la protection sociale complémentaire depuis plus de quinze ans : les entreprises peuvent-elles proposer des régimes de santé et de prévoyance différenciés à leurs salariés, en fonction de la catégorie professionnelle à laquelle ils appartiennent ?

Les trois arrêts rendus simultanément le 13 mars dernier (lire ci-contre) sont sans équivoque : oui, les employeurs sont libres de proposer des niveaux de couverture ou de financement différents à leurs salariés relevant de différentes catégories professionnelles; non, l’égalité de traitement ne s’impose pas dans la sphère de la protection sociale complémentaire. Et seulement dans cette sphère : « Le débat sur l’égalité de traitement des salariés a également porté sur d’autres avantages sociaux tels que les titres restaurant, les congés payés ou les indemnités de licenciement, commente Bruno Serizay, responsable du département droit de la protection sociale au sein du cabinet d’avocats Capstan. La chambre sociale de la Cour de cassation cantonne sa décision aux régimes de protection sociale complémentaire. »

Les attendus insistent en effet sur « les particularités des régimes de prévoyance couvrant les risques maladie, incapacité, invalidité, décès et retraite, qui reposent sur une évaluation des risques garantis en fonction des spécificités de chaque catégorie professionnelle, prennent en compte un objectif de solidarité et requièrent dans leur mise en œuvre la garantie d’un organisme extérieur à l’entreprise. »

Fermer la porte au contentieux

« Par ces trois décisions, la Cour de cassation me semble avoir voulu fermer la porte au contentieux, estime Jean-François Cesaro, professeur de droit à l’université Paris 2 Panthéon-Assas. Elle a fait le choix de laisser une certaine liberté aux acteurs de la protection sociale complémentaire et de redonner de l’espace à la négociation collective. » En revenant, du même coup, sur une décennie de jurisprudences en faveur de la notion d’égalité de traitement. Et en prenant le contre-pied du décret du 9 janvier 2012 - assorti d'une circulaire de la DSS (Direction de la sécurité sociale) - « relatif au caractère collectif et obligatoire des garanties de protection sociale complémentaire », qui prévoit que, pour être considéré comme collectif - et bénéficier, à ce titre, d’une exonération de cotisations sociales -, un régime doit couvrir l’ensemble des salariés ou des catégories de salariés « que leur activité professionnelle place dans une situation identique au regard des garanties concernées ». Catégories qui ne peuvent être définies qu’à partir de critères objectifs fixés par le décret.

Validité du décret

« À la lumière de ces décisions, on peut légitimement s’interroger sur la portée ou même la validité du décret du 9 janvier 2012 », soulève Frank Wismer, avocat associé du cabinet Fromont Briens. Bruno Serizay va encore plus loin : « Alors que la Cour de cassation aborde la notion de catégorie professionnelle avec d’infinies précautions, je ne vois pas pourquoi la Direction de la sécurité sociale se permet de s’immiscer sur ce terrain. Ses circulaires sur ce thème sont tout simplement abusives. »

Dans les mois qui viennent, le débat sur l’égalité de traitement pourrait donc se déplacer sur la notion de catégorie professionnelle et des critères qui les fondent. À moins que les acteurs de la protection sociale complémentaire montrent qu’ils ont définitivement intégré la notion d’égalité de traitement que tendait à imposer la jurisprudence ces derniers temps : depuis quelques années, la quasi-totalité des nouveaux régimes se mettent en place uniformément pour tous les salariés, quelle que soit la catégorie professionnelle à laquelle ils appartiennent.

« Mais de nombreux régimes plus anciens restent différenciés », observe Bruno Serizay. La décision de la Cour de cassation lève le risque juridique qui pesait sur eux. « Elle montre également que les juges ont compris la façon dont la protection sociale s’est généralisée, poursuit-il : elle s’est propagée par conquêtes successives de certaines catégories professionnelles, qui ont ensuite été étendues à l’ensemble des salariés. Si l’on avait voulu les mettre en place tout de suite pour tout le monde, ces conquêtes auraient été tuées dans l’œuf. »

UNE DÉCISION TRÈS ATTENDUE

Si leur décision était aussi attendue, c’est parce que les magistrats de la Cour de cassation ont pris le temps de consulter toutes les parties concernées par le débat sur l’égalité de traitement des salariés en matière de prévoyance : « Nous avons auditionné des organismes de protection sociale ainsi que les partenaires sociaux, explique Pierre Bailly, doyen de la chambre sociale. Nous avons notamment voulu mesurer l’attachement des syndicats de salariés à la notion d’égalité de traitement. » Un attachement réel du côté des syndicats de salariés, qui n’a toutefois pas empêché les magistrats de redonner de l’espace au dialogue social : « Aux partenaires sociaux de se mettre d’accord sur les éléments pouvant justifier des différences de traitement », poursuit Pierre Bailly.

Pour donner davantage de force à leur arrêt, les magistrats ont rendu simultanément trois décisions : il s’agit, dans les trois cas, de salariés non cadres demandant à bénéficier des mêmes avantages que les cadres dans l’accès à une complémentaire santé ou prévoyance.

→ 124 salariés non cadres de la Société générale de logistique ont saisi le conseil de prud’hommes de Melun pour bénéficier, tout comme les cadres et les agents de maîtrise, du financement intégral de leur complémentaire santé, alors que la leur n’était financée qu’à hauteur de 60% par l’employeur.

→ Une assistante de communication employée par l’Adresse des conseils immobiliers a demandé réparation du préjudice subi du fait qu’elle n’a pu bénéficier du régime de santé et prévoyance institué au profit des seuls cadres.

→ Un agent de maintenance de la société Grupo Antolin Vosges a réclamé un rappel de salaire (et sa prise en compte dans le calcul de son indemnité de licenciement) correspondant à la participation plus élevée que l’employeur consacrait au financement de la complémentaire santé des cadres.

Ces salariés ont tous été déboutés par la Cour de cassation, « avec des motivations qui me semblent relever davantage des circonstances que du fond, observe Bruno Serizay, responsable du département Droit de la protection sociale au sein du cabinet d’avocats Capstan. Mais la cour a affirmé le principe de différenciation des régimes de protection sociale complémentaire avec force. » 

S. G.

Auteur

  • SABINE GERMAIN