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Urgences à l’hôpital : comment sortir du désordre ?

Pratiques | publié le : 26.02.2013 | CAROLINE COQ-CHODORGE

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Urgences à l’hôpital : comment sortir du désordre ?

Crédit photo CAROLINE COQ-CHODORGE

Flux croissant de patients, rigueur budgétaire, sentiment d’impuissance : les services d’urgence sont pris dans une spirale apparemment sans issue. À moins d’une réorganisation du travail dans l’ensemble de l’hôpital, comme au CHU de Metz.

« Je me sens devenir impuissant pour diriger le service. Nos moyens sont trop insuffisants, inadaptés, en regard de l’activité qui ne cesse de croître et de se compliquer. » Voilà ce qu’écrit Pierre Taboulet, chef de service des urgences d’un grand hôpital parisien, Saint-Louis, dans la lettre de démission qu’il a adressée, en septembre dernier, à la direction de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris. Pierre Taboulet est un urgentiste réputé et cette lettre a secoué le monde hospitalier. Car elle dresse un état des lieux sans concessions de la désorganisation du travail aux urgences. À l’Agence régionale de santé Île-de-France, Valérie Thomas, chargée de mission sur les urgences, reconnaît « la justesse » de son analyse.

L’origine des maux des urgences est connue : dans un contexte de rigueur budgétaire, elles doivent faire face à une augmentation constante de leur fréquentation, de 2 % à 5 % par an, selon les établissements. Y affluent les plus pauvres, les personnes âgées aux pathologies multiples, et tous ceux qui ne trouvent plus de médecins libéraux de garde le soir et le week-end. « On ne peut pas pousser les murs indéfiniment, constate, fataliste, Denis Garnier, assistant à la fédération FO santé. Les hôpitaux ont peu de marge de manœuvre : les enveloppes budgétaires sont fermées. » De nombreux services d’urgence fonctionnent donc en « mode dégradé », poursuit le syndicaliste. Le professeur Taboulet décrit ainsi les conditions de travail dans son service : le nombre d’urgentistes ou celui des infirmiers est « insuffisant », « les gardes de 14-15 heures sont épuisantes et mal payées, le nombre d’étudiants hospitaliers et d’internes décroît régulièrement », et le chef de service assiste, impuissant à la « valse des cadres ». « Les statuts des médecins sont plus précaires », complète Marc Giroud, président du Samu de France. Celui-ci dresse aussi le portrait d’une nouvelle génération qui aspire à un autre mode de vie, et n’est plus « taillable et corvéable à merci ».

Une « pénibilité indue, insupportable »

Une autre « pénibilité indue, insupportable », selon Marc Giroud, tient à un défaut d’organisation du travail de l’établissement lui-même. Alors qu’environ la moitié des hospitalisations proviennent des urgences, celles-ci ne sont que trop rarement prises en compte dans l’organisation des autres services. « L’hôpital a souvent du mal à gérer le flux des opérations programmées, auquel s’ajoute le flux des urgences », explique Ayden Tajahmady, responsable du programme de travail de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé. Autrement dit, « les autres professionnels de santé de l’hôpital n’aiment pas travailler sous la contrainte, qui est le quotidien des urgentistes », affirme Marc Giroud. Résultat : « L’activité la plus inutilement consommatrice de temps consiste à rechercher des lits », écrit Pierre Taboulet dans sa lettre de démission. Du temps médical perdu au cours duquel les patients échouent dans des couloirs, transformés en zones d’attente. Les urgences de Metz s’interdisent désormais cette « facilité », explique son chef de service, François Braun. Le service a investi, en septembre dernier, dans de nouveaux locaux, conçus en “cocarde”, pour répondre à une nouvelle organisation du travail. Au centre, se trouve la salle de soins, réservée aux soignants. Dans le cercle suivant, les blocs de soins sont la zone d’interface entre soignants et patients. Le cercle extérieur est dédié à l’arrivée de ces derniers. Ils y sont reçus par une infirmière organisatrice de l’accueil qui procède à un tri des patients vers cinq filières de soins : les urgences hyperspécialisées, les urgences vitales, la pédiatrie, les prises en charge courtes et ultracourtes. Pour chaque patient, un soignant est identifié, qui le suit de bout en bout de son parcours. Et la règle est que les patients restent dans les blocs de soins jusqu’à leur sortie ou leur transfert dans un autre service. « La fluidité du parcours aux urgences devient le problème de l’ensemble de l’établissement. Les urgences ne sont plus vues comme une unité à part, fonctionnant en autarcie », explique François Braun.

Une nouvelle fonction de “gestionnaire de lits”

Car le goulot d’étranglement des urgences ne se situe pas en amont mais en aval. « Pour résoudre le problème plus facilement, l’établissement doit identifier le flux de patients qui arrive des urgences », selon Ayden Tajahmady. « Il me faut 20 lits d’hospitalisation tous les jours, ils doivent être réservés dans les plannings des services, » explique François Braun. Pour y parvenir, le CHU de Metz est en train de mettre sur pied une nouvelle unité médico-administrative chargée de piloter le parcours des patients, des urgences aux services d’aval : elle sera dirigée par un cadre de santé, appuyé par un médecin ou une infirmière. Ayden Tajahmady parle de « gestionnaire de lits : c’est une fonction qui existe dans de nombreux pays. Tous les services, tous les personnels doivent intégrer cette fonction. Il y a cinq ou dix ans, elle relevait d’une utopie en France. Aujourd’hui, la réflexion est engagée dans de nombreux établissements. Dans certains cas, on peut aller jusqu’à un “ordonnancement”, pour gérer l’hospitalisation de l’entrée à la sortie ».

À Metz, la mise en place de cette nouvelle organisation du travail se double d’une réflexion sur la gestion des ressources humaines. Les personnels soignants tournent sur les différentes filières de soins, afin de diversifier leurs missions et de réduire la pénibilité. Les médecins urgentistes travaillent généralement 48 heures par semaine, rarement 60 heures. Ils sont « fidélisés » et s’engagent dans « une carrière d’urgentiste », assure François Braun. Les paramédicaux restent rarement plus de « trois à quatre ans », ce qui est « sain », car « la charge émotionnelle est forte ». En revanche, les effectifs restent « très inférieurs à une organisation de référence ». « Faut-il rappeler qu’un soignant satisfait rend le patient satisfait ? », feint de s’interroger Pierre Taboulet, le chef de service démissionnaire.

L’ESSENTIEL

1 Dans un contexte budgétaire contraint, tous les services d’urgence doivent faire face à une augmentation de leur fréquentation de 2 % à 5 % par an.

2 Le goulet d’étranglement des urgences ne se situe pas en amont, mais en aval des urgences : les patients attendent dans les couloirs leur transfert vers d’autres services.

3 Une nouvelle fonction de “gestionnaire de lits” est chargée de faciliter le parcours du patient entre les urgences et les autres secteurs.

Auteur

  • CAROLINE COQ-CHODORGE