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LES ENTREPRISES REPRENNENT LA MAIN

Enquête | publié le : 26.02.2013 | EMMANUEL FRANCK

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LES ENTREPRISES REPRENNENT LA MAIN

Crédit photo EMMANUEL FRANCK

De nombreuses entreprises tentent, depuis quelques années, de fusionner leurs établissements. Avec moins d’IRP, les procédures d’information-consultation sont racourcies, mais au risque que les représentants des salariés s’éloignent du terrain. Dans ce contexte, la loi sur la sécurisation de l’emploi s’apprête à cadrer les délais d’information-consultation.

S’il est un domaine dans lequel les DRH contribuent à la compétitivité de leur entreprise, c’est bien celui de la maîtrise des temps sociaux. Ils verront donc d’un bon œil la future loi sur la sécurisation de l’emploi qui devrait, en théorie, empêcher les représentants du personnel de jouer les prolongations sur les procédures d’information-consultation. Dans l’état actuel du texte – un avant-projet de loi avec une présentation en Conseil des ministres le 6 mars –, « le comité d’entreprise est réputé avoir été consulté » passé un délai fixé par accord d’entreprise ou à défaut par décret. S’il y a recours, le juge « statue dans un délai de huit jours » (lire l’encadré p. 22).

Autrement dit, les représentants du personnel ne pourraient plus retarder indéfiniment la remise de leur avis, et donc la mise en œuvre d’un projet de transformation émanant de la direction, en arguant qu’ils ne disposent pas d’informations claires et en multipliant les expertises. Cela vaut notamment en cas de licenciements collectifs.

Moins de procédures

Les entreprises accèdent ainsi à deux vieilles revendications : empêcher l’obstruction aux projets de réorganisation et réduire les dépenses d’expertises à leur charge. « Il n’est pas normal que le déploiement d’un projet prenne deux fois plus de temps en France qu’ailleurs à cause des délais de l’information-consultation », déclare Gérard Taponat, président de la commission dialogue social de l’ANDRH et directeur des affaires sociales de Manpower. La CGT, opposée à la loi, dénonce a contrario « des délais tellement courts que l’efficacité [de l’information et de l’intervention des représentants des salariés] est menacée ».

Gain de temps, meilleure réactivité, compétitivité accrue : les enjeux de la réforme ne sont pas négligeables sur le plan économique. Toutefois, le marché du travail français demeurera toujours aussi peu « compétitif » en raison de procédures collectives relativement contraignantes, ainsi que l’explique Andrea Bassanini, économiste principal à la direction de l’emploi de l’OCDE (lire p. 26). Sur le plan du dialogue social, l’enjeu n’est pas négligeable non plus, puisque la loi est supposée favoriser les négociations utiles et efficaces, au détriment des consultations formelles et procédurières.

Mais, à observer ce qu’ont déjà fait plusieurs entreprises pour rationaliser leur information-consultation, les bénéfices de la future loi seront vraisemblablement plus nuancés. En effet, certaines n’ont pas attendu l’accord national du 11 janvier et sa déclinaison légale pour réorganiser les institutions représentatives du personnel (IRP). Elles ont réduit leur nombre après la fusion des établissements. C’est une tendance à l’œuvre depuis trois ou quatre ans dans un nombre croissant d’entreprises. Ainsi chez Veolia, qui est passé de 10 établissements à 7. Ou dans le groupe de presse Mondadori, dont les quatre CE, CHSCT et DP ont été remplacés par une instance unique. BNP-Paribas, doté de plus de 100 établissements jusqu’en 2009, en compte maintenant neuf (lire p. 25). Tandis que Cap Gemini est passé, en 2011, de 14 établissements à 7. Chez Réseau transport d’électricité (RTE), un projet à l’étude pourrait réduire le nombre de CE de 18 à 4 et diviser par deux le nombre de CHSCT – 56 actuellement – (lire p. 23). Manpower a également tenté, en 2009, de fusionner ses établissements afin de réunir ses sept CE et son CCE dans une instance unique, et n’a pas renoncé à ce projet (lire p. 26).

Diminution du nombre de mandats

Ces entreprises veulent transformer leurs établissements géographiques en établissements métiers afin d’obtenir une plus grande efficacité opérationnelle. Elles n’affichent pas pour objectif de raccourcir les délais d’information-consultation – sauf chez Manpower –, encore moins de réduire le nombre de mandats des représentants du personnel. Les syndicats n’ont, bien sûr, pas le même point de vue. Reste que ce sont deux bénéfices objectifs d’une fusion des établissements. Par exemple, Axa Entreprises, qui regroupe les salariés travaillant sur la gestion des risques d’entreprises, devait, lorsqu’il comportait deux établissements, organiser trois consultations – les deux CE et le CCE – pour tout projet transversal, contre une seule consultation actuellement. Soit un gain, pour la direction, de deux consultations et d’une dizaine de mandats, a calculé la CFDT de l’assureur.

Autre technique pour rationaliser l’information-consultation : la négociation. Faute d’avoir pu fusionner les établissements de Manpower, Gérard Taponat, son directeur des affaires sociales, est passé par un accord d’entreprise. Ce texte préfigure clairement les nouveaux grands équilibres créés par la loi : raccourcissement et cadrage de l’information-consultation et des expertises, mais montée en puissance de la négociation d’entreprise. Moyennant 7 000 heures de délégation réservées aux mandats désignatifs, une enveloppe de fonctionnement de 500 000 euros et la reconnaissance du parcours du mandaté, quatre syndicats de Manpower ont accepté de réduire les prérogatives des CE et des CHSCT : centralisation de l’information-consultation au niveau du CCE, coordination des expertises au niveau d’un CCHSCT nouvellement créé, nombre de CHSCT limité à celui du nombre d’établissements.

Gain de temps

Quelles leçons tirer de ces expériences ? D’abord que l’information-consultation a bien gagné en rapidité dans ces entreprises, qu’elles aient fusionné leurs IRP ou qu’elles aient signé un accord. Mais que ce gain de temps tient à la qualité du dialogue entre les syndicats et la direction, qui est la meilleure garantie de l’efficacité de l’information-consultation. « Lorsque la direction d’Axa a annoncé, en 2009, qu’elle voulait délocaliser 1 500 emplois au Maroc, nous avons bloqué les consultations pendant dix-huit mois, se rappelle Frédéric Souhard, délégué syndical central CFDT (premier syndicat) d’Axa France. Mais nous savons aussi faire les choses en trois mois lorsque la direction est loyale. La loi ne changera rien à cela. » De son côté, Gérard Taponat explique que le dialogue social s’améliore grandement lorsqu’on supprime certains « irritants » aussi triviaux que l’impossibilité pour les représentants du personnel de prendre leurs heures de délégation ou de se faire rembourser leurs notes de frais. Deux sujets sur lesquels la future loi est muette.

La deuxième leçon est que substituer une négociation centralisée à de l’information-consultation de proximité ne va pas de soi. Comme le rappelle Étienne Jacqueau, délégué central CFTC de Manpower, la négociation et l’information-consultation n’ont pas la même fonction : seule la seconde permet de « discuter de ce qui se passe vraiment dans l’entreprise » et de faire émerger une « intelligence économique et sociale ». Tandis que la négociation produit de la décision.

IRP décentralisée

Ce que le dialogue social gagne en efficacité, il le perd en proximité, s’inquiètent les syndicats. C’est pourquoi Gérard Taponat, conscient du risque, a « réhabilité le délégué du personnel » chez Manpower, qui pourrait donc devenir l’IRP décentralisée de référence.

Enfin, la primeur donnée à la négociation, couplée au mouvement de fusion des instances représentatives, est une incitation au détachement à temps plein et à une professionnalisation de quelques représentants du personnel, qui doivent compenser par leurs déplacements l’absence d’IRP de proximité et maîtriser les dossiers techniques soumis à la négociation. Au moment même où le lien entre les salariés et leurs représentants se sont resserrés grâce aux élections de représentativité, il risque de nouveau de se distendre.

L’ESSENTIEL

1 L’avant-projet de loi sur la “sécurisation de l’emploi” fixe un délai pour que le comité d’entreprise rende son avis. Objectif : empêcher les représentants du personnel de retarder la mise en place d’un projet de transformation de l’entreprise.

2 Plusieurs entreprises ont déjà tenté de rationaliser la procédure d’information-consultation, après avoir fusionné leurs établissements.

3 Il ressort de leur expérience que l’information-consultation peut gagner en efficacité si le dialogue social est, au préalable, de qualité. Le risque est que les représentants du personnel s’éloignent des salariés.

Dialogue social : ce que change l’avant-projet de loi sur la sécurisation de l’emploi

1. L’accord d’entreprise monte en puissance

→ Un accord majoritaire de « maintien de l’emploi » peut aménager, pendant deux ans maximum, la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition, ainsi que la rémunération des salariés, avec l’accord de chacun d’eux.

→ Un accord majoritaire peut déterminer le contenu du PSE, les modalités de consultation du CE et de mise en œuvre des licenciements.

2. Délais d’« Info-consult » fixés

→ Les avis du CE sont rendus dans un délai fixé par accord d’entreprise ou, à défaut, par un décret en Conseil d’Etat. Le TGI statue dans un délai de huit jours.

→ L’avis du CE sur les orientations stratégiques de l’entreprise est rendu dans un délai fixé par accord avec les élus ou, à défaut, dans un délai de deux mois à compter de sa saisine.

→ Une base regroupant des données économiques et sociales à jour est accessible aux membres du CE et aux délégués syndicaux.

→ Lorsqu’un projet est commun à plusieurs établissements, la consultation d’une « instance de coordination » des CHSCT se substitue à celle des différents CHSCT concernés.

→ En cas de PSE, les modalités d’information-consultation du CE peuvent être décidées par accord.

→ Si le PSE est élaboré de manière unilatérale par l’employeur, le CE rend son avis dans un délai de deux, trois ou quatre mois, selon le nombre de licenciements.

3. Expertises cadrées

Le CE peut se faire assister d’un expert-comptable pour l’analyse des orientations stratégiques de l’entreprise.

→ L’expert-comptable et l’expert technique remettent leur rapport dans un délai fixé par accord ou, à défaut, par décret.

→ L’expert désigné par l’instance de coordination des CHSCT remet son avis dans des délais prévus par décret.

→ L’expert-comptable mandaté pour un PSE élaboré de manière unilatérale par l’employeur rend son avis au plus tard 15 jours avant que le CE rende le sien.

Auteur

  • EMMANUEL FRANCK