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Discriminations : affirmer, établir des faits ou prouver ?

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE d’AVOSIAL | publié le : 26.02.2013 |

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Discriminations : affirmer, établir des faits ou prouver ?

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S’il est un domaine dans lequel le droit communautaire exerce une influence primordiale sur le droit national, c’est bien celui de la charge de la preuve en matière de discrimination. Sous l’influence de plusieurs directives concernant l’égalité de traitement, le principe du partage de la charge de la preuve entre demandeur et défendeur est désormais ancré.

La Cour de Cassation, avec l’arrêt fondateur du 23 novembre 1999 relatif à la discrimination (n° 97-42,940), puis le législateur ont procédé à une adaptation de la répartition de la charge de la preuve entre l’employeur et le salarié en matière de discrimination et de harcèlement moral (art. L. 1134-1, L. 1144-1 et L. 1154-1 du Code du travail).

Selon le droit communautaire, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement.

Le droit national évoque des faits laissant supposer ou permettant de présumer l’existence d’une discrimination. La pratique contentieuse a parfois fait oublier que le droit applicable adaptait, sans la renverser complètement, la répartition de la charge de la preuve.

Plusieurs décisions de la Cour de cassation rendues en 2012 permettent de rappeler limite et portée de ces principes.

Dans un arrêt du 7 février 2012 (n° 10-19,505), la Cour saisie de la question de la conformité des dispositions de l’article L . 1134-1 du Code du travail à l’article 6 de la CEDH a répondu par l’affirmative en soulignant que « l’aménagement légal des règles de preuve ne viole pas le principe de l’égalité des armes ». Sans doute la solution aurait-elle pu être différente s’il s’était agi d’un renversement de la charge de la preuve.

La Cour de Cassation rappelle régulièrement la démarche qu’il convient d’observer en matière de contrôle par les juges du fond en trois étapes.

1 – Le salarié doit établir la matérialité de faits précis et concordants constituant, selon lui, un harcèlement ou une discrimination. Établir la matérialité des faits suppose donc qu’il ne peut s’agir uniquement d’affirmations ou d’allégations. Par exemple, le juge communautaire avait précisé qu’il incombe au travailleur qui s’estime victime d’une discrimination de prouver qu’il perçoit une rémunération inférieure à celle versée par l’employeur à son collègue de l’autre sexe et qu’il exerce en réalité un même travail ou un travail de valeur égale, comparable à celui effectué par son collègue de référence, l’identité de classification conventionnelle ne suffisant pas (CJCE, 26 juin 2001, C-381/99 Susanna Brunnhofer).

2 – Le juge devra alors apprécier si ces éléments permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral ou d’une discrimination.

3 – Ce n’est que dans l’affirmative que l’employeur devra alors prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement ou d’une discrimination (Soc. 16 mai 2012, n° 10-10,623, Soc. 6 juin 2012, n° 10-27,766).

Pour autant, le défendeur ne peut se contenter de se retrancher derrière la règle de la preuve, l’aménagement de la charge de la preuve visant à alléger ce qui est exigé de la part du salarié.

C’est ainsi que les éléments produits par le salarié sont appréciés « dans leur ensemble », pour déterminer si ceux-ci laissent présumer une discrimination.

Dans les arrêts du 16 mai 2012 (n° 10-10623) et du 6 juin 2012 (n° 10-27766), les cours d’appel avaient indûment procédé à une analyse séparée de chacun des éléments de fait produits par les demandeurs, déboutant à tort ceux-ci de leurs demandes.

Par deux arrêts du 19 décembre 2012 (n° 10-20,526 et 10-20,528), la Cour de cassation a admis que des salariés puissent saisir la formation de référé du conseil de prud’hommes pour demander, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, à ce que leur soient communiqués des bulletins de salaire et contrats de collègues, dans le cadre d’un contentieux en discrimination.

Ainsi, les règles de procédure viendront au secours de celui qui ne serait pas à même de satisfaire aux conditions minimales d’établissements de faits.

Franck Morel et Florent Millot, avocats au Cabinet Barthélémy, membres d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.