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LE DÉFI DU MAINTIEN DANS L’EMPLOI

Enquête | publié le : 19.02.2013 | ÉLODIE SARFATI

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LE DÉFI DU MAINTIEN DANS L’EMPLOI

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Les entreprises n’ont pas attendu l’ANI du 11 janvier pour négocier des accords de compétitivité. Dans quelles circonstances le font-elles ? Quelles mesures adoptent-elles ? Avec quels objectifs de maintien dans l’emploi ? Sur le terrain, les situations sont multiples.

Exit les accords de compétitivité-emploi, voici les accords de maintien dans l’emploi. Un an après la négociation interprofessionnelle – avortée – lancée par Nicolas Sarkozy début 2012, c’est donc l’ANI du 11 janvier 2013 qui leur fournit leur cadrage juridique. Ces accords « trouvent ainsi une légitimité renforcée et devraient se développer », prédit Jacques Freyssinet, président du conseil scientifique du Centre d’études de l’emploi (CEE). Le « frémissement » est même déjà palpable, pour Philippe Portier, secrétaire national CFDT métallurgie, qui constate que plusieurs entreprises ont entamé ce type de négociation ces derniers mois, visant à faire accepter des concessions en matière de temps de travail et de rémunération en contrepartie de garanties sur l’emploi.

Outre Sevelnord (lire p. 25), le cas le plus emblématique en France est celui de Renault, où la négociation est en cours. « La décroissance du marché européen depuis 2007 est indiscutable et nous oblige à poser la question de notre compétitivité, dans une approche globale et solidaire, explique le directeur des opérations France de la marque au losange, Gérard Leclercq. Nous voulons par exemple passer à 1 603 heures annuelles de travail effectif dans tous nos sites, où les accords signés depuis les années 1990 ont conduit, en échange de mesures de flexibilité, à diminuer le temps de travail, et de manière disparate. » (Voir Entreprise & Carrières n° 1127.)

Gains de productivité

À Valeo, des accords de flexibilité du temps de travail ont été signés fin 2011 sur le site de Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir), et fin 2012 sur celui d’Amiens. Des discussions similaires ont commencé à Châtellerault. « La direction a indiqué qu’elle n’envisageait pas de négocier d’accord au niveau du groupe, mais nous voyons bien qu’à chaque fois qu’un nouveau marché est attribué à une usine française, c’est conditionné à un accord de compétitivité », s’inquiète Denis Bréant, secrétaire CGT du comité de groupe.

L’industrie automobile n’est pas la seule concernée : Brittany Ferries a ouvert de difficiles négociations sur le temps de travail (lire p. 28). À Air France, le plan Transform 2015 vise à faire 20 % de gains de productivité, et s’est par exemple traduit, pour le personnel au sol, par une augmentation de dix jours de travail par an et un gel des salaires pour deux ans. Pour autant, toutes ces situations ne sont pas comparables, insiste Jean-François Foucard, secrétaire national de la CFE-CGC métallurgie : « Tout se mélange. Il y a parfois une volonté réelle de garder le lien avec le travail pour passer un cap, comme à Sevelnord, ou des effets d’aubaine pour accroître la compétitivité-coût. » Dans les groupes, les directions locales mettent en avant la concurrence interne des autres sites de l’entreprise pour justifier l’ouverture de négociations, comme chez AGC (lire p. 27).

Dans certaines entreprises, ce sont les représentants du personnel qui, face à des projets de PSE, sont à l’initiative des négociations : chez Chomarat Textile Industries, ils ont obtenu de réduire le temps de travail et les salaires pour sauver une quarantaine de postes (lire p. 29). À Dinard, les syndicats de Sabena Technics (maintenance aéronautique) proposent de passer de 35 à 39 heures pour préserver 102 postes sur les 156 licenciements prévus. Les discussions sont toujours en cours.

Contreparties diverses

Négociés dans des circonstances différentes, ces accords contiennent donc des contreparties diverses en matière d’emploi. Il s’agit la plupart du temps de promesses d’investissements. Mais peu d’entreprises prennent des engagements fermes comme Sevelnord – pas de PSE pendant trois ans – ou encore Magneti Marelli. Chez l’équipementier italien, l’accord signé en octobre à Châtellerault « maintient les effectifs de production jusque fin 2015 et prévoit l’embauche de 35 CDI cette année, confie un syndicaliste. Mais, sur le périmètre non industriel, les départs ne seront pas tous remplacés ». En échange, les syndicats ont accepté une modération salariale pour trois ans, une prime de nuit moindre pour les nouveaux embauchés et la suppression d’un ou deux jours de RTT.

Même lorsqu’elles ne sont pas négociées pour réduire l’impact d’un PSE, les mesures de compétitivité peuvent s’accompagner de suppressions d’emplois. Ainsi, dans ses négociations, Renault s’est engagé à ne pas fermer d’usine et à accroître les volumes de production. Mais le constructeur fera disparaître quand même 7 500 postes nets, sans licenciements. À Air France, plus de 5 000 départs volontaires sont prévus. « En signant l’accord sur les personnels au sol, nous avons obtenu qu’il n’y ait aucun licenciement sec », explique Michel Salomon, le secrétaire adjoint de la CFDT. Même deal à Technicolor, à Rennes : contre l’abandon de 44 licenciements contraints, la CFE-CGC a signé en juin dernier un accord qui a réduit le nombre de RTT en contrepartie d’un plan de départs volontaires.

Retour à bonne fortune

Souvent, ces accords visent des adaptations structurelles, donc durables, et non conjoncturelles. « Mais cela ne doit pas empêcher les négociateurs de s’inspirer de la philosophie de l’ANI, et tenter d’obtenir des clauses de retour à bonne fortune ou l’application temporaire de certaines mesures », répond toutefois Philippe Portier. À Sabena Technics, le principe d’une durée déterminée de l’éventuel accord est acté. À Air France, « nous avons obtenu une clause de retour à bonne fortune et nous rediscuterons des rémunérations, du temps de travail et des congés en 2015 », assure Michel Salomon.

Ce qui a aussi motivé sa signature, c’est la conviction que la situation économique de l’entreprise justifiait ces mesures sociales : « Le constat est partagé, et nous nous réunissons tous les deux mois en commission de suivi pour examiner les effets du projet industriel et des mesures sociales sur les résultats de l’entreprise. » En effet, « pour être négociables, les accords de compétitivité emploi doivent être fondés sur des informations économiques précises, des discussions sur la stratégie industrielle », estime Philippe Portier. Chez Renault « des groupes de travail paritaires se sont réunis pendant six mois avant les négociations pour analyser toutes les données. Nous avons tout mis sur la table », assure Gérard Leclercq.

Mais le diagnostic commun n’est pas toujours de mise et de nombreux syndicats ont l’impression d’avoir cédé à un chantage à l’emploi. « Nous avons été un laboratoire de la flexibilité : l’État, les élus locaux ont fait pression pour que les syndicats signent vite l’accord, témoigne Stéphane Formery, secrétaire CGT du CE de Valeo de Nogent-le-Rotrou. Mais on ne voit toujours pas arriver les volumes de production promis. » À Continental, à Toulouse, CFDT et CGT ont refusé, en 2010, de signer l’accord de compétitivité que leur soumettait l’entreprise. « Tant mieux, car, deux ans et demi plus tard, on ne voit toujours pas où sont les difficultés économiques », tranche Philippe Portier.

Déstabilisantes pour le dialogue et le climat social, ces négociations peuvent se révéler sources de divisions internes. « Aujourd’hui encore, 80 personnes n’ont pas signé l’avenant à leur contrat et continuent de travailler aux anciens horaires, reprend le secrétaire du CE de Valéo. La direction leur a donné un nouveau délai pour se prononcer mais que se passera-t-il ensuite ? »

À Sabena Technics, les négociations tournaient, mi-février, autour des rémunérations : « Les salariés au smic devront être augmentés, mais nous ne voulons pas que cela écrase la grille des salaires, explique Hervé Le Maou, délégué syndical CGT. Nous demandons aussi que l’effort soit partagé entre cadres et non-cadres. Il faut éviter que le passage à 39 heures crée un sentiment d’amertume et démotive tout le monde. » Entre les économies réalisées d’un côté et le coût social éventuel des mesures, les entreprises qui ouvrent ces discussions ont intérêt à bien positionner le curseur.

L’ESSENTIEL

1 Renault, Air France, Brittany Ferries… les entreprises sont de plus en plus nombreuses à négocier des accords pour améliorer leur compétitivité par la baisse des coûts salariaux.

2 Si Sevelnord s’est engagé à ne pas faire de PSE pendant trois ans, ailleurs, ces mesures s’accompagnent parfois de suppressions d’emplois.

3 En cas de difficultés conjoncturelles, l’ANI du 11 janvier donne un cadre légal aux accords de maintien dans l’emploi, qui pourront s’imposer sur les contrats individuels des salariés.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI