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« Les thématiques RH sont quasiment similaires des deux côtés du Rhin »

Enjeux | publié le : 19.02.2013 | ÉRIC DELON

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« Les thématiques RH sont quasiment similaires des deux côtés du Rhin »

Crédit photo ÉRIC DELON

Solides partenaires économiques, piliers de la zone euro, la France et l’Allemagne présentent d’indéniables différences dans leur modèle de GRH, même si les sujets traités ne diffèrent qu’à la marge.

E & C : Quelles sont les spécificités du modèle allemand en termes de GRH, par rapport à ses voisins, notamment la France ?

Éric Davoine : Traditionnellement, il existe deux éléments importants et caractéristiques du modèle allemand de GRH.

D’une part, la formation professionnelle, d’autre part, le cadre juridique du dialogue social en entreprise, ce que l’on appelle la codétermination ou Mitbestimmung. Le système d’apprentissage - la formation professionnelle en alternance - concerne davantage de jeunes en Allemagne qu’en France. Conçu sur le modèle de formation des métiers artisanaux, il englobe l’ensemble des métiers de l’entreprise. D’où une culture organisationnelle moins centralisée et moins hiérarchique qu’en France, dans laquelle les compétences d’expert sont davantage valorisées, même au plus bas niveau de la hiérarchie. Ici, la formation professionnelle n’est pas reconnue par un diplôme de l’Éducation nationale. Elle fait l’objet de certificats délivrés par les chambres de commerce ou les chambres des métiers et est reconnue par l’entreprise. Autre caractéristique du modèle allemand : cette approche professionnelle est valorisée par des rémunérations relativement élevées et surtout par la société. En Allemagne, il est courant que des étudiants effectuent deux années d’apprentissage avant de rejoindre l’université.

E & C : Qu’en est-il du dialogue social “à l’allemande”, tant vanté dans l’Hexagone ?

É. D. : Ce dernier repose sur l’importance du Betriebsrat (conseil d’entreprise), qui possède un pouvoir bien plus important que le comité d’entreprise français. Il s’agit d’un véritable pouvoir de codétermination ou de cosignature pour les décisions RH concernant les recrutements, les licenciements, la flexibilité des horaires ou le règlement intérieur. Les conventions collectives de branche fixent des règles nationales pour les conditions et les horaires de travail ainsi que pour les rémunérations. Conséquence vertueuse : une politique RH plus consensuelle et qui “pense” à plus long terme. Outre-Rhin, le dialogue social est obligatoire et la relation entre direction et représentants du personnel est infiniment moins conflictuelle qu’en France.

E & C : Ce système allemand - de formation professionnelle et de dialogue social - a-t-il évolué au cours de la dernière décennie ?

É. D. : Oui. Les risques et les menaces de délocalisation ont affaibli le pouvoir des Betriebsräte sur les sites de production. Le droit du travail a été modifié et a amoindri leur pouvoir dans les situations de crise. Les conventions collectives sont également moins contraignantes depuis leur réforme en 2010. Toutefois, l’évolution reste lente. Il est difficile de transformer brutalement une culture de dialogue social qui existe depuis plusieurs décennies. S’agissant de la formation professionnelle, les entreprises allemandes poursuivent leurs efforts de formation en direction de leurs futurs salariés, les cultures métier étant encore très présentes.

Au-delà de la formation, la gestion des talents y est une problématique cruciale. Pour “faire carrière” aujourd’hui, la formation professionnelle est insuffisante. On constate de plus en plus - mais moins qu’en France - une mobilité externe des cadres, leur qualification étant de moins en moins liée à leurs entreprises. Ces dernières éprouvent, par ailleurs, de plus en plus de difficulté à gérer les carrières de leur personnel encadrant à long terme.

E & C : Comment exerce-t-on le métier de DRH en Allemagne ? Qu’en est-il, par exemple, des contraintes légales ?

É. D. : Les processus RH, et surtout les réunions qui conduisent à des décisions, doivent être très précisément documentés vis-à-vis du Betriebsrat. En Allemagne, la documentation écrite est particulièrement riche. Idem pour la rédaction des certificats de travail, très exhaustifs et formulés de manière “bienveillante” et codifiée. Mais le cadre juridique ne doit pas forcément être considéré comme plus contraignant que celui qui prévaut en France. Le contexte allemand peut rendre certaines pratiques plus faciles, par exemple la rémunération sur honoraires ou les rémunérations de temps partiel sur base forfaitaire, les fameux “mini-jobs” issus des lois Hartz - du nom de Peter Hartz, DRH de Volkswagen, qui inspira ces lois entre 2003 et 2005. Ces dernières sont controversées pour la réforme des prestations de chômage, des services et de l’organisation de l’agence de l’emploi. Mais la loi Hartz 2 a également encouragé le développement de contrats à temps partiel - moins de 15 heures hebdomadaires - payés moins de 400 euros mensuels, conçus comme des sources de revenus complémentaires pour des étudiants ou pour des personnes recevant des allocations chômage ou allocataires de l’aide sociale. Avant les réformes Hartz, le cadre légal et fiscal était déjà plus favorable au travail indépendant et aux revenus complémentaires qu’en France.

E & C : Quelles sont les thématiques prioritaires des DRH allemands ?

É. D. : En 2011, avec un certain nombre de collègues, nous avions mené une comparaison des études de tendances pour la France, la Suisse et l’Allemagne ainsi qu’une analyse des thématiques dans les revues de praticiens. Les mots-clés thématiques étaient étonnamment proches, en raison, me semble-t-il, de la similarité des facteurs de mutation des grandes économies: évolutions technologiques, pression concurrentielle, accélération des cycles, internationalisation des activités… En 2012 et 2013, les grands thèmes des congrès et des revues de l’ANDRH et de la DGFP* demeurent assez similaires: gestion des talents, de la diversité, de la performance, développement du leadership, réseaux sociaux, marque employeur, e-recrutement, GRH durable…

Mais attention, sous les mêmes vocables, les pratiques diffèrent souvent. La gestion allemande des talents se construit, ainsi, dans une tradition de carrières en interne et au sein d’un système éducatif qui n’accueille pas de grandes écoles. Autre exemple : la gestion de la diversité ici est moins liée à la question de l’origine ethnique qu’en France, les problématiques hommes-femmes et générationnelles étant jugées plus importantes.

* Association allemande pour la gestion des ressources humaines.

PARCOURS

• Éric Davoine est professeur de GRH et management interculturel à l’université bilingue de Fribourg en Suisse. Français diplômé de l’ESCP-EAP Paris-Oxford-Berlin, docteur de l’université de Friburg, en Allemagne, il a commencé sa carrière dans le service RH d’un groupe industriel allemand.

• Vice-président international de l’AGRH, il est membre des comités de plusieurs revues scientifiques (RGRH, @grh, Management International, IJOA).

• Il a publié de nombreux articles et coédité plusieurs ouvrages sur le management comparé et interculturel franco-allemand.

LECTURES

• A Handbook of Research on Comparative Human Resource Management Practice, C. Brewster, W. Mayrhofer, éd. E. Elgar, 2012.

• Gestion en contexte interculturel, E. Davel, J.-P. Dupuis et J.-F. Chanlat (dir.), Presses de l’université Laval et Teluq/Uqam, 2008.

• Management interculturel, Susan Schneider et Jean-Louis Barsoux, Pearson, 2e édition, 2002.

Auteur

  • ÉRIC DELON