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LES ENTREPRISES SOIGNENT LE DIAGNOSTIC

Enquête | publié le : 12.02.2013 | VIRGINIE LEBLANC

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LES ENTREPRISES SOIGNENT LE DIAGNOSTIC

Crédit photo VIRGINIE LEBLANC

Depuis plus d’un an, les entreprises doivent déterminer la proportion de salariés exposés à un facteur de pénibilité. Cela les conduit à examiner l’ensemble des risques auxquels ils sont exposés et à aborder les enjeux de prévention de long terme. Toutes n’y vont pas à la même vitesse.

« Le dispositif pénibilité va révolutionner les pratiques des employeurs en matière de santé au travail », n’hésite pas à affirmer Nicolas Fourneyron, manager métiers santé-sécurité au travail à Bureau Veritas. Comment ? En incitant notamment à adopter une démarche globale de prévention des problèmes de santé et à anticiper le développement de l’usure des salariés dans la perspective de l’allongement de la vie au travail. Depuis janvier 2012, les entreprises ont en effet pour obligation de déterminer la proportion de salariés exposés à l’un des facteurs de pénibilité définis par le décret du 30 mars 2011 (lire l’encadré p. 24). Puis, le cas échéant, de négocier un accord ou de présenter un plan d’action, tels que prévus par les décrets du 7 juillet 2011.

Pour l’heure, les données quantitatives relatives à l’implication des entreprises et des branches dans le dispositif n’impressionnent pas, mais, « au regard du délai réduit accordé aux entreprises pour négocier sur ce nouveau thème – six mois seulement ont séparé la publication du décret précisant le contenu des accords et plans d’action de leur entrée en vigueur –, les résultats s’avèrent plutôt encourageants », notait la Direction générale du travail dans une note transmise au Conseil d’orientation des retraites le 21 novembre 2012. Onze accords de branche, dont sept s’inscrivant stricto sensu dans le dispositif pénibilité, étaient recensés au 1er juin 2012, ainsi que 1 422 accords d’entreprise ou plans d’actions.

Une nouvelle dynamique

Au 24 janvier 2013, le nombre d’accords de branche n’a pas évolué, mais celui des accords ou plans d’entreprise a plus que doublé pour atteindre 3 249 (dont 52 % de plans et 48 % d’accords). « Une dynamique de négociations se crée, même si le sujet est difficile à aborder sur le fond et nécessite du temps », commente Clélia Delpech, chef de bureau responsable de la politique et des acteurs et de la prévention, au sein de la sous-direction des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail. Une étude de la Dares sur un panel restreint d’entreprises devrait également paraître prochainement.

Ce délai de mise en œuvre s’explique notamment par le temps de diagnostic préalable, qui doit permettre aux entreprises de savoir si elles dépassent le seuil de 50 % de salariés exposés à la pénibilité, seuil qui déclenche l’obligation de négocier ou d’élaborer un plan d’action (lire l’encadré p. 25). C’est l’occasion aussi de remettre à plat ou de compléter le document unique : « Ce n’est pas un hasard si, en 2012, nous avons eu des demandes de prestations de mise à jour du document unique », remarque Audrey Voisin, consultante formatrice au cabinet Catéis, expert CHSCT et spécialiste de la prévention des risques et de la santé au travail.

« Bien souvent, les entreprises partent de zéro sur ce sujet, elles ne savent pas précisément déterminer les postes pénibles au regard de la législation. Nous leur proposons alors d’étudier avec elles les seuils adaptés à leurs métiers et nous leur suggérons toujours de les présenter aux partenaires sociaux, indique Nicolas Fourneyron. Les entreprises nous demandent aussi parfois quels sont les seuils retenus par leurs concurrents pour s’aligner et permettre une évaluation sectorielle homogène des risques. »

Négociations en cours

Toutefois, de nombreux employeurs ont agi bien que moins de la moitié de leurs effectifs soient soumis aux facteurs de pénibilité. Dans son accord relatif à la qualité de vie au travail conclu le 31 mai 2012, Areva a spécifié que la démarche de prévention de la pénibilité devait se déployer, « y compris au sein des entreprises du groupe n’atteignant pas le seuil de 50 % ». Carrefour Market, qui a recensé 41 % de ses salariés exposés à au moins un facteur de pénibilité (lire p. 27), a néanmoins négocié sur le sujet. Et l’entreprise s’est appuyée sur les seuils fixés par l’accord de branche du 25 janvier 2012 conclu dans le secteur du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Le législateur avait volontairement refusé de fixer des indicateurs précis de mesure de la pénibilité pour laisser ouverte la discussion dans les branches et les entreprises. Ces dernières disposent d’ailleurs d’une panoplie de références qu’elles peuvent utiliser, comme les guides et accords des branches, les documentations de l’INRS, les données de l’enquête Sumer, ainsi que l’a envisagé l’entreprise de finition du bâtiment Lagarde & Meregnani (lire p. 28). Et le site du ministère du Travail, <www.travailler-mieux.gouv.fr>, dans sa rubrique prévention de la pénibilité, fournit de multiples informations pratiques et des repères pour la construction d’un accord ou d’un plan d’action.

Des repères qui ne sont pas inutiles quand, concernant l’environnement de travail, « d’un secteur à l’autre, les seuils de températures extrêmes ne sont pas les mêmes », explique Bruno Gourévitch, directeur associé d’Altaïr Conseil.

Faire les choix opportuns

Le consultant indique avoir aidé les entreprises à faire les choix opportuns en collaboration avec les médecins du travail. Autre exemple, « pour atténuer les expositions de certains postes, nous nous sommes aperçu qu’il était possible d’agir sur les niveaux de bruit avec des investissements limités, affirme-t-il. On a pu aussi se rendre compte que certains horaires de prise de poste dans la nuit étaient calés sur des habitudes alors qu’en les différant d’une heure, on améliore nettement l’exposition du salarié à ce facteur de pénibilité. »

Nul doute que le sujet a non seulement incité les entreprises à recourir à des prestataires spécialisés, mais il a aussi renforcé les liens entre les RH et les responsables santé et sécurité. Nexans, signataire d’un accord, fait collaborer en réseau ses RRH, ses responsables qualité sécurité environnement, les infirmières et les CHSCT (lire p. 25). Après avoir travaillé avec Bureau Veritas sur l’élaboration du document unique, « nous avons souhaité être accompagnés également sur la démarche pénibilité, assez complexe et chronophage, témoigne de son côté André Decoutère, DRH du groupe d’hôtellerie et de casinos Lucien Barrière (environ 6 000 salariés en France, et 60 % à 70 % des effectifs concernés par le travail de nuit et les changements de rythme). Le groupe a même décidé de recruter un intervenant en prévention des risques professionnels.

Fiches individuelles

Par ailleurs, qu’elles aient ou non 50 % de leurs effectifs soumis à des facteurs de pénibilité, toutes les entreprises doivent élaborer des fiches individuelles de prévention des expositions. L’article L. 4121-3-1 du Code du travail prévoit qu’y soient consignées les conditions de pénibilité auxquelles le travailleur est exposé, la période durant laquelle cette exposition est survenue et les mesures de prévention mises en œuvre pour faire disparaître ou réduire ces facteurs durant cette période. À défaut, l’entreprise est passible d’une contravention de cinquième classe (amende de 1 500 euros, appliquée autant de fois qu’il y a de salariés concernés par l’infraction).

Ce travail n’est pas toujours aisé pour les DRH. « Il est compliqué de définir les unités de travail. Certaines ne sont pas exploitables, car elles sont géographiques, et il est difficile de traiter les postes polyvalents », souligne Nicolas Fourneyron. Aussi, Bureau Veritas utilise-t-il la notion de « groupe d’exposition homogène », pour regrouper les salariés exposés au même type de risques. Par exemple, chez Lucien Barrière, qui accueille des métiers très différents, huit groupes ont été constitués dans le secteur de l’hôtellerie (femmes de chambres et gouvernantes, bagagistes, standardistes…), sept dans celui de la restauration (cuisiniers, personnels de service en salles, plagistes…), sept dans celui des casinos (hôtesses, croupiers, responsables de salles de jeux) et cinq dans celui des loisirs (régisseurs, jardiniers, maîtres nageurs…).

La traçabilité des expositions

« Selon moi, les fiches individuelles d’exposition sont le préalable même à toute démarche de prévention de la pénibilité, avance Béatrice Pola, avocate au cabinet Proskauer, car ensuite les entreprises peuvent déterminer si 50 % de leurs salariés sont exposés aux facteurs de pénibilité, mais je ne suis pas certaine que toutes aient travaillé de cette façon. » Ludovic Bugand, chargé de mission à l’Anact (lire l’interview p. 28) regrette également que peu d’entreprises fassent le lien entre la question de la traçabilité des expositions professionnelles et leur action sur la pénibilité.

« L’urgence pour les entreprises porte aujourd’hui davantage sur les éléments de preuve – dont les fiches et les plans d’action relatifs à la pénibilité font partie – dans le cadre de leur éventuelle mise en cause pour faute inexcusable. Ceci d’autant plus que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 oblige l’employeur à rembourser, sans délai et en capital, à la caisse d’assurance maladie la majoration de la rente qu’elle aura avancée, dès lors que la faute inexcusable est reconnue par une décision de justice. » Un argument supplémentaire en faveur de la prévention.

L’ESSENTIEL

1 La réglementation relative à la pénibilité oblige les entreprises à observer à la loupe les situations de travail.

2 Un diagnostic qui conduit à faire collaborer DRH, CHSCT, médecins du travail, responsables santé-sécurité et préventeurs, afin d’aboutir à la mise en place d’actions spécifiques.

3La démarche est utile à la fois pour prévenir l’usure au travail des salariés et le risque juridique de la faute inexcusable qui pèse sur l’employeur.

DIX FACTEURS DE PÉNIBILITÉ

La loi du 9 novembre 2010 vise trois familles de facteurs de pénibilité : ceux qui sont liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou aux rythmes de travail, tout en précisant que ces expositions doivent être susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé.

Le décret n° 2011-354 du 30 mars 2011 retient dix facteurs de pénibilité : les manutentions manuelles de charges ; les postures pénibles (positions forcées des articulations) ; les vibrations mécaniques ; les agents chimiques dangereux mentionnés aux articles R. 4412-3 et R. 4412-60 ; les activités exercées en milieu hyperbare ; le bruit ; les températures extrêmes ; le travail de nuit ; le travail en équipes successives alternantes ; le travail répétitif.

UN FONDS DE SOUTIEN PEU UTILISÉ

Un Fonds national de soutien relatif à la pénibilité a été créé à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2013.

Il fonctionne depuis le 12 avril 2012 et est doté d’un budget de 20 millions d’euros. Placé auprès de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, il contribue, sous forme de subventions, au financement de travaux ou d’actions d’expertise, d’ingénierie, de tutorat, de formation, d’évaluation ou de promotion menées par les branches et les entreprises, en faveur de la prévention de la pénibilité.

L’apport du fonds est plafonné à 100 000 euros par projet et par entreprise. Le montant global des aides publiques, apport du fonds compris, ne peut dépasser 70 % des coûts totaux du projet.

L’entreprise doit être couverte par un accord de branche ou d’entreprise créant un dispositif d’allégement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles.

La date limite de dépôt des dossiers auprès des caisses régionales (Carsat, Cramif, Caisses générales de sécurité sociale présentes dans les DOM) est fixée au 2 septembre 2013.

Les critères d’éligibilité au fonds sont restrictifs et difficiles à remplir, ce qui explique sans doute que beaucoup d’entreprises ont été intéressées mais que peu d’entre elles ont été éligibles. Au 28 janvier, 11 projets ont été financés pour un montant total d’environ 352 000 euros avec des taux de subvention variant de 30 % à 70 %.

Les obligations légales concernant les accords et plans d’action

L’obligation de négocier des accords ou d’élaborer un plan d’action en faveur de la prévention de la pénibilité s’applique aux entreprises de plus de 50 salariés (ou appartenant à un groupe d’au moins 50 salariés), si au moins 50 % de l’effectif est concerné par un ou plusieurs facteurs d’exposition à un risque professionnel (article L. 138-29 du Code de la sécurité sociale). L’accord ou le plan d’action doit traiter de certains thèmes obligatoires précisés dans la loi (article D. 138-27 du CSS). Une circulaire de la Direction générale du travail en date du 28 octobre 2011 a détaillé ces obligations.

Les entreprises de 50 à 300 salariés sont dispensées de cette obligation si elles sont couvertes par un accord de branche étendu de prévention de la pénibilité. À défaut, elles encourent une pénalité financière modulable en fonction des efforts constatés et égale au plus à 1 % de la masse salariale des salariés exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité.

Depuis l’entrée en vigueur du dispositif le 1er janvier 2012, l’approche de la DGT est avant tout pédagogique. Néanmoins, à l’occasion de contrôles au fil de l’eau, les inspecteurs du travail sont amenés à rappeler la réglementation. « Aucune pénalité n’a été prononcée, précise Clélia Delpech, chef de bureau responsable de la politique et des acteurs et de la prévention, au sein de la sous-direction des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail. Des mises en demeure ont eu lieu, qui se sont accompagnées d’un dialogue avec les entreprises, qui se sont par la suite mises en conformité. »

Auteur

  • VIRGINIE LEBLANC