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L’évaluation des performances ou la course à l’échalote ?

Enjeux | LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL | publié le : 12.02.2013 |

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L’évaluation des performances ou la course à l’échalote ?

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Avec le jugement du TGI de Lyon du 4 septembre 2012 interdisant à la Caisse d’épargne d’avoir recours à son système d’organisation du travail fondé sur le benchmark, le débat sur le mode d’évaluation des performances se trouve relancé à deux niveaux : celui d’un mode d’organisation jugé en lui-même “anxiogène”, condamnable au titre de l’obligation de sécurité de résultat (art. L. 4121-1 du Code du travail) d’une part, celui des systèmes d’évaluation des salariés, d’autre part.

Le TGI de Lyon relève que le système de mise en concurrence intensive des commerciaux reposait exclusivement sur une comparaison publique et permanente de leurs résultats (benchmark) avec pour seul objectif celui « de faire mieux que les autres ». Ainsi, non seulement nul ne peut savoir s’il a correctement travaillé, puisque l’appréciation dépend avant tout des résultats des autres (d’où un stress permanent), mais cela contribue, en outre, à détériorer les relations sociales, les mauvais résultats d’un salarié impactant ceux de l’agence et donc la part variable de ses collègues. Il paraît donc légitime que le TGI condamne une telle organisation !

Cette condamnation est dans la ligne de la position déjà retenue par la Cour de cassation à l’encontre de Snecma en 2008, condamnant cette dernière pour atteinte à la sécurité et à la santé de ses salariés du seul fait de son mode d’organisation (Cass. Soc. 5 mars 2008). De même, la cour d’appel de Versailles avait retenu pratiquement la même argumentation pour condamner Renault après le suicide d’un salarié (CA Versailles 19 mai 2011).

Le TGI revient sur certaines pratiques condamnables (et condamnées) d’évaluation des salariés. Nous avions déjà commenté la condamnation de la société IBM en mars 2002 pour avoir mis en place un système de “ranking et rating”, inspiré du principe recommandé par Jack Welch (ex-Pdg de General Electric) visant à éliminer chaque année les 10 % de salariés les moins bien notés. Nous avions ironisé dans un article publié par la revue Personnel en février 2009 sur ce qui pouvait ressembler au “tir au pigeon” et/ou au “maillon faible”, et recommandé un meilleur usage des bilans de compétences et des entretiens périodiques d’évaluation, fondés sur des critères objectifs.

Il convient de rappeler que la cour d’appel de Paris avait condamné le 3 novembre 2006 le groupe Mornay à respecter deux obligations avant la mise en place d’un système d’entretiens individuels : d’une part, avec une déclaration simplifiée à la Cnil, d’autre part, en procédant à une consultation préalable du CHSCT, au motif que « l’entretien d’évaluation constitue par lui-même des conditions stressantes ».

Certes, cet argumentaire reposant sur un tel présupposé paraît excessif, mais il résulte sans doute des mauvaises conditions dans lesquelles ces entretiens d’évaluation sont trop souvent préparés et conduits.

Plus que jamais, il convient de s’inspirer des principes dégagés par le jugement du TGI de Paris du 6 mars 2012 condamnant le groupe Sanofi à supprimer son système d’évaluation des compétences. Le TGI a en effet estimé qu’« un système d’évaluation des salariés doit être objectif et pertinent au regard de la finalité poursuivie, ne pas porter atteinte aux libertés individuelles et ne pas avoir pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés, ni évidemment constituer un outil disciplinaire. […] (Si) des critères reposant sur le comportement ne sont pas a priori illicites, encore faut-il qu’ils présentent un caractère exclusivement professionnel et suffisamment précis pour permettre au salarié de les intégrer dans une activité concrète, et à l’évaluateur de les apprécier avec la plus grande objectivité possible ».

Le TGI de Paris a jugé que deux critères (sur sept) reposant sur une compétence comportementale ne répondant pas à ces conditions… c’est l’ensemble du système qui doit être supprimé !

Ainsi, la boucle paraît bouclée sur les deux aspects concernant l’évaluation des performances dans le cadre d’un entretien d’évaluation ou d’un mode d’organisation du travail. Il conviendrait de tirer les leçons de ces recommandations si l’on souhaite éviter les contentieux, et notamment ceux engagés par les CHSCT, de plus en plus vigilants.

Il y va du rétablissement de la confiance des salariés, trop souvent mise à mal par l’image du « principe de décimation » instauré par Jack Welch.

Jacques Brouillet, avocat au Cabinet ACD, membre d’Avosial, le syndicat des avocats en droit social.