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« Les PME ont besoin d’intermédiaires pour accéder à la formation continue »

Enjeux | publié le : 12.02.2013 | VIOLETTE QUEUNIET

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« Les PME ont besoin d’intermédiaires pour accéder à la formation continue »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

Les salariés, selon qu’ils travaillent en TPE-PME ou en grande entreprise, sont très inégaux face à l’accès à la formation continue. Un des leviers majeurs pour résorber cet écart est la présence d’intermédiaires pour faire le lien entre le dirigeant de PME et le système complexe de la formation.

E & C : Les salariés des grandes entreprises et ceux des PME n’ont pas le même accès à la formation continue. L’écart est-il important ?

Isabelle Alphonse-Tilloy : Oui, l’écart est très important, et il l’est d’autant plus que les effectifs des PME sont réduits. Le taux d’accès à la formation continue des entreprises ayant entre 50 et 250 salariés atteint 41,9 %, contre 54,6 % pour les entreprises de 500 à 1 999 salariés. Mais le taux n’est plus que de 23,1 % pour les entreprises de 20 à 49 salariés et de 15,7 % pour celles qui comptent entre 10 et 19 salariés. Il faut toutefois préciser qu’on parle ici d’accès à la formation continue traditionnelle, celle qui se mesure via la déclaration fiscale 2 483. Ne sont donc pas pris en considération d’autres modalités de formation. Il serait faux de dire que les PME ne sont pas formatrices : elles le sont moins sur la base d’une formation conventionnelle qui se situe à l’extérieur de l’entreprise, et davantage à travers des situations de travail vécues en interne, par du tutorat.

E & C : Comment s’explique cette inégalité d’accès ?

I. A.-T. : Par des obstacles à la fois internes et externes. Du côté des freins internes, l’un des plus importants est le coût que représente l’absence d’un salarié en formation.

C’est particulièrement le cas dans les plus petites entreprises, où il sera difficile, de répartir la charge de travail du salarié absent. Certaines études mettent aussi en avant la perception de la formation qu’a le dirigeant. S’il a une perception relativement faible de l’utilité de la formation traditionnelle, cela se répercute sur les pratiques internes, et donc sur un plus faible accès des salariés à la formation.

Enfin, la charge de travail administratif que représente la formation constitue aussi un frein interne important.

Du côté des barrières externes, l’offre des organismes de formation paraît souvent inadaptée aux besoins spécifiques des petites entreprises. Mais le frein principal est la complexité du système de formation professionnelle. Ne disposant pas en interne de ressources dédiées – aux RH en général et à la formation en particulier –, les PME perçoivent ce système comme très difficile d’accès. Les freins externes et internes se rejoignent, rendant les coûts d’information et de transaction pour accéder à la formation très élevés.

E & C : D’où l’importance, que vous avez mesurée dans une étude de terrain, d’intermédiaires chargés de traduire le système de formation au chef d’entreprise ?

I. A.-T. : Oui, l’étude porte sur les facteurs clés de succès d’opérations de préparation opérationnelle à l’emploi (POE) auprès de PME du bassin valenciennois. Ce dispositif est particulièrement bien adapté à la TPE, puisqu’il permet de former un salarié aux spécificités de l’entreprise au moment de son recrutement, le coût de la formation étant pris en charge par Pôle emploi et un Opca. Or ce dispositif est sous-utilisé par les PME, parce qu’il est long à mettre en œuvre et mobilise plusieurs acteurs institutionnels. Mais, lorsque le dirigeant de PME dispose de relais sur le terrain, capables de parler les deux langages – celui de l’entreprise et celui de la formation –, l’accès à la formation est facilité.

E & C : Les PME disposent déjà d’intermédiaires, avec les Opca.

I. A.-T. : En effet, et ils sont essentiels. L’accès à la formation est facilité, nous l’avons constaté, lorsque le dirigeant a une relation proche avec son organisme collecteur, à qui il délègue presque entièrement la gestion de la formation. Mais les relations entre l’Opca et le dirigeant d’entreprise sont rarement proches. La dernière étude d’Agefos-PME sur les entreprises et la formation (Perspectives 2013), indique que seules 4 % des TPE et 26 % des PME ont reçu une visite d’un conseiller Opca les six derniers mois ; 66 % des TPE n’en ont jamais reçu – 29 % pour les PME ! L’obstacle, à mon sens, est là, dans la difficulté qu’ont les collecteurs à mettre en place les services de proximité dont ils sont redevables depuis la loi de 2009. Si les deux Opca interprofessionnels parviennent à mailler le territoire, cela n’est pas le cas pour les organismes collecteurs de branche. Pourtant, nombre d’études mettent en évidence l’importance de leurs actions d’accompagnement et d’intermédiation pour le développement de la formation continue dans les petites structures.

Ce rôle d’intermédiation peut aussi être joué par les maisons de l’emploi, qui sont un outil partenarial. Il se révèle d’autant plus intéressant que leur mission a été revue en 2011. Les maisons de l’emploi sont désormais des structures d’accompagnement des entreprises, et non pas seulement celles des demandeurs d’emploi. Elles permettent de créer, au niveau du territoire, un réseau relationnel entre les différents acteurs institutionnels qui facilite la mise en place des dispositifs de formation.

E & C : La fusion des Opca peut-elle avoir un impact favorable sur l’accès à la formation continue des PME et TPE ?

I. A.-T. : Il est trop tôt pour le savoir. On peut supposer que le regroupement de moyens financiers leur permettra de mettre en place des possibilités de contacts plus importants avec les entreprises. Mais les territoires d’intervention sont aussi plus étendus. Cela passera donc – et c’est déjà souvent le cas – par la dématérialisation. Or, les contacts directs avec les dirigeants sont essentiels. Pour toucher davantage d’entreprises, les Opca devront innover en mettant en place des relais de terrain auprès d’organisations professionnelles, de clubs ou d’associations de PME.

E & C : Quel est l’enjeu d’un meilleur accès des PME à la formation continue ?

I. A.-T. : Dans de nombreux secteurs, les entreprises ont besoin de monter en compétences, de suivre l’évolution technologique de leur filière. La formation devient alors un véritable levier stratégique dans l’accompagnement du développement des entreprises. Il y a aussi un enjeu financier : les PME cotisent pour la formation continue, elles doivent pouvoir en espérer un retour.

PARCOURS

• Isabelle Alphonse-Tilloy, docteure en gestion, est maître de conférences en sciences de gestion à l’IAE de Valenciennes, où elle s’investit dans le développement de la formation continue.

• Elle est coauteure, avec Antoine Masingue et Jean-Michel Pottier, de l’article “L’accès à la formation continue dans les PME : impossible sans traducteur ?”, paru dans le n° 130 de Travail et Emploi (avril-juin 2012).

LECTURES

• “Formation et innovation dans les petites entreprises”, in Education permanente, n° 182, 2010.

• L’Appropriation des outils de gestion : vers de nouvelles perspectives théoriques ?, A. Grimand, S. Alcouffe, M.-L. Buisson, O. Brunel, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2006.

• Les Nouvelles Approches sociologiques des organisations, Ph. Bernoux, H. Amblard, G. Herreros, Y.-F. Livian, Seuil, 2005.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET