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Faut-il craindre une radicalisation des conflits ?

Actualités | publié le : 12.02.2013 | GUILLAUME LE NAGARD, EMMANUEL FRANCK

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Faut-il craindre une radicalisation des conflits ?

Crédit photo GUILLAUME LE NAGARD, EMMANUEL FRANCK

La multiplication des suppressions d’emplois dans l’industrie fait craindre des « explosions sociales », selon le ministre de l’Intérieur. Ce 12 février se tient le CCE de Goodyear en banlieue parisienne, sur fond de manifestation des enseignants : une journée test pour le gouvernement. Si les experts n’excluent pas des actions radicales, ils doutent qu’elles puissent faire tache d’huile.

Les forces de l’ordre sont sur les dents ce 12 février, alors que les enseignants ont prévu de défiler en masse au centre de Paris. Mais c’est plutôt à Rueil-Malmaison, dans la banlieue proche, que les plus fortes tensions étaient attendues dès la fin de la semaine dernière : au siège français de Goodyear, dont l’usine d’Amiens est sous la menace d’une fermeture, le CE prévu ce jour promet d’être houleux. Des coordinations syndicales d’entreprises en restructuration – Renault, PSA, Goodyear, Sanofi notamment – devaient se fédérer pour venir manifester devant le bâtiment. Le 6 février à Strasbourg, les manifestations de métallos français, belges et luxembourgeois d’ArcelorMittal ont déjà donné lieu à quelques affrontements avec les forces de l’ordre. Le ministre de l’Intérieur Manuel Valls l’a dit lui-même, il s’inquiète des risques « d’implosions ou d’explosions sociales » sur les sites industriels en conflit.

Et les foyers se multiplient : la situation reste tendue à Aulnay (93) chez PSA, dont l’usine doit fermer en 2014 (lire l’encadré), à Goodyear à Amiens, où aucune solution de reprise n’a été trouvée, à Petit-Couronne (76), où les salariés de la raffinerie Petroplus, sous administration judiciaire, voient passer des offres de reprise invalidées… La semaine dernière, à la fonderie DMI de Vaux, dans l’Allier, la tension avait même passé un cran supplémentaire, puisque des salariés avaient disposé des bouteilles de gaz dans le bâtiment et menaçaient de les faire exploser faute de compensations à leurs licenciements. L’expression d’un désespoir qui évoque le cas des Cellatex ou Metaleurop il y a quelques années.

Cette crainte de dérapages est-elle fondée ? Les ferments d’une radicalisation existent : le sentiment d’une perte irréversible des emplois industriels sur le territoire national, que les pouvoirs publics sont impuissants – voire peu empressés – à enrayer, pourrait radicaliser les actions de salariés ou de leaders syndicaux locaux. En trois ans, la France a perdu 1 087 usines, selon l’Observatoire de l’emploi et de l’investissement Trendeo publié le 5 février. L’an dernier, près de 24 000 postes ont été supprimés dans l’industrie manufacturière, dont plus de 12 000 dans l’automobile. Depuis 2009, ce sont plus de 120 000 postes qui ont disparu.

Par ailleurs, l’accord national sur la sécurisation de l’emploi signé le 11 janvier par les seules CFDT, CFE-CGC et CFTC fait craindre, pour les autres syndicats, une plus forte flexibilité du travail et un assouplissement des licenciements. Il traduit les fractures entre les organisations réformistes et les autres. « La proximité CFDT-CGT a été recherchée ces dernières années dans un syndicalisme rassemblé porté par une logique d’opposition, mais, sur le terrain des propositions, les divisions sont restées fortes et caractéristiques d’un modèle français, avec un pôle réformiste assumé et un syndicalisme de lutte incarné par la CGT, FSU et SUD notamment », analyse Guy Groux, chercheur au Cevipof et professeur à Sciences Po.

Leaders charismatiques

Michèle Rescourio-Gilabert, co-auteure avec Jean-Pierre Basilien de la note de conjoncure d’Entreprise & Personnel en octobre 2012, confirme l’analyse qu’elle faisait alors d’une « constestation sociale bloquée ». Et elle ne croit pas à la radicalisation de la CGT : « La radicalité de Thierry Lepaon [qui prendra la tête de la CGT au mois de mars] est une posture de pré-congrès. Quant à Bernard Thibault, il prend soin, lorsqu’il s’exprime sur l’ANI, de ne pas rompre avec le gouvernement. » En revanche, les actions les plus revendicatives, telles que celles menées à Aulnay ou à Amiens, bénéficient du charisme des leaders syndicaux locaux qui ont émergé dans l’actualité nationale à cette occasion, tels Jean-Pierre Mercier à PSA et Mickaël Wamen à Goodyear. « Le phénomène n’est pas nouveau, il y a eu Maurad Rhabi à Cellatex (Givet), Xavier Mathieu à Continental (Clairoix), voire Charles Piaget, le leader des Lip en 1973, constate Guy Groux. Mais, de plus en plus, dans notre démocratie d’opinions, ce qui importe est ce qui est visible, spectaculaire. Dans un contexte de fermeture de sites, de pertes d’emplois, ces mouvements et leurs leaders bénéficient de l’empathie d’une partie de la population. Un éventuel discours rationnel des confédérations devient d’autant plus difficile à entendre, voire à tenir. »

Tensions localisées

Autre élément remarquable, contrairement à ceux de la période 2009-2010, qui avait vu naître des conflits violents mais très locaux, les leaders de la contestation chez Renault, PSA, Goodyear… se concertent aujourd’hui. En témoignent la manifestation des PSA à Flins, le 23 janvier, ou celle de Rueil-Malmaison aujourd’hui, Mickaël Wamen ayant appelé « tous les salariés de France des entreprises en difficulté à venir […] rejoindre » les Goodyear.

Mais Michèle Rescourio-Gilabert, à l’instar de Guy Groux et de la plupart des experts, exclut le scénario de la tache d’huile, considérant que les tensions devraient rester localisées : « On se gardera de donner le sentiment que ces conflits représentent l’ensemble des entreprises. Ils ont chacun leur spécificité, leurs enjeux de politique locale, leurs acteurs ; en outre, il y a des tensions au sein des équipes syndicales. Ils n’ont donc pas d’unité. »

UNE MOBILITE EN URGENCE POUR LES “PSA AULNAY”

Un CCE extraordinaire est convoqué le 15 février à PSA pour lancer la “mobilité interne temporaire” des salariés de l’usine d’Aulnay. Et, dès le 13, le constructeur monte un pôle d’information pour les candidats à cette mobilité. La direction emboîte ainsi le pas aux syndicats non grévistes (SIA, FO, CFTC, CFE-CGC), qui demandaient des départs accélérés en réponse au « climat de terreur » dont ils estiment le site de Seine-Saint-Denis victime depuis le déclenchement par la CGT, mi-janvier, du conflit social qui paralyse la production. Selon ces organisation syndicales, l’absentéisme atteint jusqu’à 30 % dans certains ateliers parmi les non-grévistes. Motif : la peur des actions des grévistes. « Venir au boulot pour se prendre un boulon dans la figure ou subir des crachats et des insultes, c’est insupportable », tempête Christian Lafaye, délégué central FO. La mesure spécifique à Aulnay et Rennes – mais, de fait, elle est conçue d’abord pour l’usine de Seine-Saint-Denis – « sera un moyen de sécuriser les salariés qui le souhaitent. Elle leur servira en même temps de banc d’essai avant un projet de mobilité définitif, interne ou externe », ajoute Michel Segura, élu CFE-CGC au CCE. Elle permettra de partir sur un autre site PSA sans attendre l’issue des négociations sur le PSE, qui devrait intervenir fin février ou début mars.

Mais le dispositif ne devrait pas être assorti d’aides financières : les mesures d’accompagnement viendraient plus tard, dans le cadre normal du PSE, une fois celui-ci enclenché, afin d’invalider la critique de la CGT d’une application avant l’heure du plan.

CHRISTIAN ROBISCHON

Auteur

  • GUILLAUME LE NAGARD, EMMANUEL FRANCK