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Une optimisation fiscale coûteuse

Pratiques | RETOUR SUR… | publié le : 22.01.2013 | NICOLAS LAGRANGE

En septembre 2010, la filiale française du géant américain de logiciels avait dû verser à ses salariés 10 millions d’euros de participation à la suite d’un redressement fiscal. Depuis, deux autres régularisations sont intervenues, et le feuilleton continue.

En septembre 2010, chaque salarié d’Oracle France avait reçu la bagatelle de 6 200 euros de participation, après des années sans le moindre versement. Le résultat d’un contrôle de l’administration fiscale entamé en 2006 et d’un compromis trouvé quatre ans plus tard avec la filiale française du géant américain de logiciels.

En cause, selon Franck Pramotton, délégué syndical central CFDT, la stratégie d’optimisation fiscale au niveau du groupe : « D’abord, Oracle Corporation a progressivement réduit à 1 % le taux sur les ventes de licences reversé à sa filiale française. Ensuite, elle lui a fait supporter le rachat de PeopleSoft France en 2004 et la totalité des coûts de restructuration. En forte expansion, Oracle France est alors passé dans le rouge, artificiellement, sans avoir à acquitter d’impôt sur les sociétés et de participation avant 2013. »

Des choix comptables épinglés

Tenaces, les services des impôts ont effectué d’autres contrôles. Résultat : en octobre 2011, Oracle France doit débloquer une enveloppe de participation de 2,5 millions d’euros, soit 1 350 euros par salarié. Cette fois, c’est Sun Microsystems, autre groupe américain racheté par Oracle en 2009, qui est épinglé pour ses choix comptables. Mais c’est Oracle qui doit régler la note. Et ce sont tous les salariés de la filiale française de l’éditeur présents l’année du redressement (pas seulement les ex-Sun) qui bénéficient de ce versement exceptionnel.

En octobre 2012, un nouvel accord est trouvé entre Oracle et le fisc avec, à la clé, 2500 euros pour chacun des 1 800 salariés.

De nouveaux contrôles en cours

En 2007 et 2008, le géant américain avait encore plombé les comptes de sa filiale hexagonale en lui imputant l’essentiel des coûts de restructuration liés aux volets français des opérations d’acquisition menées dans l’intervalle. Concernant l’exercice 2009, l’administration aurait d’ores et déjà trouvé un nouveau compromis avec Oracle et l’exercice 2010 serait en cours de contrôle… Contactée, la direction d’Oracle France n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.

« Le cas d’Oracle n’est pas isolé, estime Franck Pramotton. C’est la déclinaison d’un exercice de style assez courant dans les multinationales. Nous ne nous battons pas contre Oracle France, dont le pouvoir décisionnaire est restreint, mais contre un modèle d’optimisation fiscale porté par Oracle Corporation et par d’autres grands groupes, y compris français, avec l’aide des grands cabinets de conseil. »

Très active sur son blog, la CFDT a interpellé la direction sur le dossier de la participation par le biais du comité d’entreprise, où elle est majoritaire. L’institution a mandaté le cabinet Syndex dès 2002 pour contrôler la participation. À charge pour les experts de se plonger dans les méandres des prix de transfert et dans la chronologie des restructurations.

« Les relations avec la direction ont été très tendues pendant longtemps, assure Franck Pramotton. Nous étions considérés au mieux comme des poids morts, au pire comme des terroristes. À l’image du droit social français vu du siège américain. Mais l’arrivée, il y a plus de trois ans, d’un nouveau DRH et les changements à la direction générale ont permis un vrai partenariat dans les relations sociales. »

De fait, la pratique contractuelle se porte bien, y compris en matière d’épargne salariale : un accord sur le Perco a été conclu en octobre 2012 (jusqu’à 450 euros d’abondement) ; des rattrapages salariaux entre les hommes et les femmes sont programmés ; le congé paternité est désormais rémunéré à 100 % quel que soit le salaire…

Si le dialogue social est apaisé, les salariés restent en alerte. Quasiment tous cadres, en majorité commerciaux, avec une forte individualisation des salaires – la rémunération totale médiane se situe aux alentours de 80 000 euros par an –, ils se sont souvent impliqués (discrètement) et plus rarement syndiqués. Aujourd’hui, ils continuent de suivre avec intérêt les épisodes du feuilleton pluriannuel de la participation.

UNE PRATIQUE COURANTE

Pour Jean-Pierre Laporte, expert-comptable associé au cabinet Syndex, les deux problèmes les plus fréquents en matière de participation sont soit des erreurs dans l’application de la formule, souvent involontaires, soit une optimisation fiscale visant à réduire l’impôt sur les sociétés à acquitter en France, ce qui affecte du même coup la participation.

Le bénéfice fiscal, sur lequel est assise la formule de la participation, peut beaucoup varier en fonction des lois fiscales très changeantes de la création de filiales et des règles de facturation entre sociétés d’un même groupe (prix de transfert).

Syndex est de plus en plus sollicité sur des dossiers où le bénéfice a été masqué par des prix de transfert inadaptés, ce qui ampute la participation. « On arrive le plus souvent à prouver aux entreprises que l’on a raison et elles régularisent, explique-t-il. C’est préférable en termes d’image, de relations sociales et à l’égard des salariés. » Les procédures judiciaires sont rares, mais la jurisprudence a évolué récemment et pourrait être un levier efficace pour les représentants du personnel : « Désormais, c’est le commissaire aux comptes qui est tenu pour responsable d’un bénéfice fiscal ou de capitaux propres mal évalués, c’est lui qui peut être poursuivi pour une erreur sur le calcul de la participation. »

Auteur

  • NICOLAS LAGRANGE